« Il y aura décroissance quoi qu'il en soit. Soit on l'organise, et ça fait moins mal, soit on la subit de la nature, et là, ça va être très, très violent. » Selon Yves-Marie Abraham, professeur en gestion, il ne s'agit plus de limiter les effets du réchauffement climatique – une bataille perdue de toute façon –, mais bien de préparer nos sociétés à la vie avec moins de ressources. En compagnie du communicateur scientifique Jérémy Bouchez, de l'auteur écologiste Serge Mongeau et de la consultante zéro déchet Mélissa de Lafontaine, il explique à Catherine Perrin en quoi la protection de l'environnement est liée aux inégalités sociales.
Nos invités étaient de passage à l’approche du premier Festival de la décroissance, qui aura lieu le 6 octobre au Campus MIL de l’Université de Montréal.
« L’espoir qu’on nous vend, c’est un découplage entre croissance économique et [conséquences] écologiques. Tout montre que nous ne sommes pas capables d’accomplir ce découplage », affirme Yves-Marie Abraham, rappelant que même la production à partir de matières recyclables a des effets environnementaux.
Droit de panique
« Je revendique d’être catastrophiste. Ce n’est plus une honte, je le dis clairement, dit-il également. Parlant de ses plus récents contacts avec des chercheurs scientifiques, il ajoute : « J’ai parlé à des gens qui étaient en problèmes de santé mentale. Ils voient ce qui arrive, ils ont les données, ils voient l’inaction générale. C’est comme quelqu’un qui serait au fond d’un bus, qui verrait le mur droit devant et qui crierait, et personne ne l’écouterait. C’est terrible. »
« Les utopistes, aujourd’hui, ce sont ceux qui continuent de défendre ce système [de la croissance]. C’est inadmissible, c’est criminel, même, de défendre ce monde-là. Les réalistes, aujourd’hui, c’est vraiment nous. »
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L’illusion du développement durable
« Le plus loin que les gouvernements vont, actuellement, c’est de parler de développement durable, déplore Serge Mongeau, père du concept de la simplicité volontaire. Or, le développement durable, c’est continuer dans notre société de consommation, mais retarder un petit peu les échéances. Passer de l’auto à essence à l’auto électrique, ce n’est pas un vrai progrès. On [utilise] moins d’essence, mais finalement, on va la prendre dans la production d’électricité, pour produire tous les métaux que ça prend pour faire des autos, etc. Les gouvernements […] disent : "On va essayer d’améliorer [les choses], mais on ne changera pas fondamentalement. »
« On n’a rien réglé et on ne réglera rien en donnant un pouvoir d’achat plus grand à tout le monde »
Moins de biens, plus de liens
« Le système économique dominant crée des inégalités parce qu’il n’y a pas de redistribution des richesses et qu’on les surexploite en plus, observe Jérémy Bouchez. Ce qu’on dit beaucoup en décroissance, c’est : moins de biens, plus de liens. Les liens sont là aussi pour recréer l’égalité entre les gens et […] avec les autres espèces. On représente 0,01 % de la masse des êtres vivants sur la planète, et on est responsables de 85 % des dégâts environnementaux et de la problématique de la sixième extinction. Donc, c’est plus large que les inégalités entre êtres humains, c’est avec toutes les espèces. Mais fondamentalement, vivre sur une planète avec des ressources limitées et de les surexploiter, ça crée forcément des inégalités. C’est presque une conséquence logique. »
« Il ne faut pas que ça vienne seulement d’en haut. Il va falloir que des choses viennent d’en haut, mais qu’elles soient attendues et souhaitées en bas. »
Nécessaire double discours
« On essaie de communiquer aux gens de bouger et d’être actifs, mais si on dit des choses négatives, ils ont tendance à figer, à se mettre en boule et à ne rien faire, constate Mélissa de Lafontaine. Il faut, d’un côté, savoir ce qui s’en vient, mais rester positif dans notre discours pour donner le goût aux gens de venir vers nous et d’amener des changements dans leur vie. Ce n’est absolument pas simple. »