Ruptures, adultères, grandes conversations philosophiques, débats enflammés, dérapages et effronteries... Les gens qui nous servent au restaurant sont témoins de tout cela, et de plus encore. Le réalisateur de Garçon!, une nouvelle websérie sur l'univers des serveurs, Stéphane E. Roy, et trois serveurs d'expérience, Colin Gravel, Alain Mallette et Ève Couture, racontent à Isabelle Craig ce qu'ils ont vu et vécu durant leurs années dans les restaurants.
« Une fois qu’un client vous a dit que vous faites le meilleur martini à Montréal, c’est difficile de retrouver cet amour-là ailleurs! »
Colin Gravel a longtemps travaillé au restaurant Leméac, à Montréal, un emploi dont il s’ennuie maintenant « comme d’une drogue » en raison de l’adrénaline qu’il pouvait ressentir lors d’un quart de travail.
Il raconte : « Un jour, des Américains faisaient beaucoup de bruit, dépensaient beaucoup d’argent, avaient énormément de plaisir et ça dérangeait les clients autour. Alors, un serveur est allé les aviser. » L’une des personnes à l’origine des plaintes était le patron de l’établissement. « La réponse [des clients] a été : "Qu’il vienne nous le dire s’il y a un problème!" » Le patron s’est donc présenté en personne. « On lui a répondu sèchement : "Et qui es-tu?" La réponse du patron a simplement été de prendre les quatre coins de la nappe et de l’emporter au complet. Les deux clients se sont retrouvés avec une table vide et un serveur qui leur a dit : "Eh bien, je pense qu’il est temps de partir!" »
Premier épisode de Garçons!
Faits vécus
Stéphane E. Roy a lui-même déjà été serveur. Il s’est inspiré de quelques-unes de ses propres expériences et a même écrit Garçon! au restaurant. « Le souper dans un restaurant chic, c’est souvent un moment pour faire une déclaration d’amour, pour dire : "Je te quitte", pour signer un contrat, indique-t-il. Des fois, les serveurs n’ont pas toute la conversation. Ils repartent au passe-plat avec un mauvais bout de la conversation et s’inventent une histoire : "D’après moi, il est en train de la laisser." "D’après moi, elle veut mettre fin à ses jours." Puis, on réalise que ce n’était pas ça du tout. […] C’est comme deux mondes, la cour et l’antichambre du roi. »
« J’adore le passe-plat. C’est l’endroit où on se dit "les vraies affaires". »
Souper-spectacle
« Pour moi, le service, c’est de faire un show, dit Ève Couture. Lorsqu’on arrive à une table, on donne un spectacle. On a quelque chose à donner. Je n’arrive pas en tant qu’Ève, j’arrive en tant que serveuse. On donne tout ce qu’on peut, mais il faut [aussi] se régénérer. » Arrivée dans ce domaine accidentellement, elle l’a aimé au point d’en faire son champ d’études pour mieux faire son métier. « L’[habitué] revient pour nous voir, parce qu’il développe lui aussi une relation. C’est ce qui fait que je continue d’être serveuse. Quand Monsieur M. débarque et qu’on sait qu’il va prendre deux martinis avant même de commander, et quand on sait que Monsieur V. va prendre le poisson ce midi… Des fois, on va même chercher des histoires : "Vous m’avez parlé de ça, comment ça s’est passé?" »
C’est ce lien qui fait toute la beauté de ce métier pour Colin Gravel : « 99 % du temps, avec les [habitués], on a la même conversation qu’on a juste mise en pause. Une semaine après, on la continue. »