Une entreprise a tenté de forcer Marie-Ève Maillé à dévoiler l'ensemble des données et des enregistrements des entrevues confidentielles utilisées pour son doctorat. La professeure associée à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), spécialisée dans l'évaluation des impacts sociaux des grands projets, raconte avoir vécu des moments très difficiles avant d'obtenir gain de cause en Cour supérieure du Québec, en 2017. Son combat a marqué le milieu universitaire.
Ce devait être un simple témoignage devant un juge pour expliquer les conclusions d’une thèse de doctorat de l’UQAM défendue trois ans plus tôt. C’est devenu l’une des jurisprudences les plus importantes de l’histoire moderne de la recherche universitaire au pays.
En 2014, des résidents de la MRC de L'Érable et d'Arthabaska, au Québec, ont déposé un recours collectif contre l'entreprise qui y exploite 50 éoliennes. Ces résidents soutiennent être gênés par la présence de ces éoliennes et des activités entourant leur exploitation. Dans le cadre de ce recours, ils ont demandé à Mme Maillé en septembre 2015 de témoigner sur le climat social de la région à la suite de l’implantation de ces éoliennes, le sujet de sa thèse.
En prévision du témoignage de Marie-Ève Maillé, Éoliennes de L’Érable, une coentreprise englobant une multinationale espagnole et un fonds d’investissement canadien, a déposé une requête afin que la doctorante produise « toute l’information et la documentation pertinente » relatives à sa recherche et à cette « prétendue détérioration du climat social ». Le juge qui entendait l’affaire a alors accepté la demande de l'entreprise. En janvier 2016, devant le refus de Mme Maillé de produire les documents demandés, l'entreprise a même obtenu une ordonnance de la cour pour forcer la doctorante à dévoiler l'identité des participants de sa recherche.
« La compagnie veut tous les enregistrements audio de mes entrevues et des événements publics auxquels j’ai assisté; elle veut tous les questionnaires que j’ai remplis avec mes 93 participants; elle veut mes journaux de bord que j’ai tenus pendant mon terrain de recherche; elle veut la liste des participants ainsi que leurs adresses complètes. Elle veut toute une série d’informations et elle veut également que j’identifie des gens qui sont cités [dans ma thèse de doctorat], mais dont j’ai pris la peine de masquer l’identité. »
En sciences sociales, il est plutôt répandu de garantir la confidentialité des personnes qui acceptent de répondre à une entrevue ou à un questionnaire. C’est même, règle générale, un engagement que prennent les chercheurs envers les participants à une étude.
« Je leur ai fait signer des formulaires de consentement à la recherche où je m’engageais à garder les données confidentielles et à ne pas permettre que les gens soient identifiés dans ma recherche, souligne Marie-Ève Maillé. C’était, pour certaines personnes, une condition même à leur participation. »
Un premier refus de l'UQAM pour l'appuyer
La direction de l’UQAM a, au départ, refusé de prendre la défense de son ancienne étudiante. L’université lui a simplement suggéré de se prendre un avocat, mais la jeune doctorante était alors sans emploi, donc incapable de s'en payer un.
L’ombudsman de l’UQAM, qui a contesté ouvertement la décision de la direction de l’université de ne pas appuyer sa diplômée, lui a alors suggéré de contacter un organisme qui rassemble des avocats prêts à défendre une cause importante sans compensation, Pro Bono Québec. Un grand bureau d’avocats montréalais a accepté de la représenter, six mois après le début des démarches de l'entreprise Éoliennes de L'Érable pour exiger les documents, et « après beaucoup de crises de larmes et de moments de panique ».
« Ça a complètement changé le jeu, raconte Marie-Ève Maillé, parce qu’à ce moment-là, je pouvais jouer à armes égales avec Éoliennes de L’Érable. J’étais représentée; il y avait quelqu’un qui pouvait faire valoir mes droits devant le tribunal. »
À l'automne 2016, après qu'un journaliste de Radio-Canada eut révélé l'histoire au grand public, l’UQAM a décidé de changer sa position. L'université allait désormais appuyer Marie-Ève Maillé devant la justice.
« C’est parti comme une traînée de poudre, se rappelle-t-elle à propos de ce moment charnière. J’ai complètement perdu le contrôle de mon agenda. »
Une victoire sans appel
Le jour de l’audience devant la Cour supérieure du Québec pour casser l’ordonnance, l’UQAM, les Fonds de recherche du Québec et l’Association canadienne des professeures et professeurs d'université ont chacun envoyé un avocat sur place pour plaider en faveur de Marie-Ève Maillé.
« On était très nombreux », se souvient-elle avec du recul, avant d'ajouter en rigolant : « Finalement, pour quelqu’un qui n’arrivait pas à se trouver d’avocat, je m’en suis trouvé un bon petit paquet qui jouaient dans mon équipe. » La Cour supérieure du Québec lui a donné raison en mai 2017.
En plus de donner des cours à l’UQAM à l’occasion, elle travaille aujourd’hui pour son propre cabinet de consultants qui offre ses services à des groupes citoyens, comme ceux de Grenville-sur-la-Rouge. Elle a également écrit un livre sur son histoire, L'affaire Maillé : l'éthique de la recherche devant les tribunaux, publié l’année dernière aux éditions Écosociété. Elle a déjà publié un autre livre, coécrit avec Pierre Batellier, soit Acceptabilité sociale : sans oui, c'est non, publié chez le même éditeur. Les audiences du recours collectif devant un tribunal de Victoriaville ont débuté le 4 février 2019 et devraient se terminer vers la mi-mars.