Seulement trois personnes ont pu visiter Challenger Deep, l'endroit le plus profond de la planète, qui se trouve à 11 km au fond de l'océan Pacifique. Renaud Manuguerra-Gagné nous raconte comment une famille d'inventeurs suisses a réussi l'exploit en 1960, notamment grâce à l'aide de la marine américaine.
Terre et mer
L’aventure commence avec Auguste Piccard, un physicien suisse qui avait établi plusieurs records d’altitude avec une capsule pressurisée au cours des années 1920 et 1930. Ses vols ont constitué la première source fiable de données sur le rayonnement cosmique.
Lors de l’Exposition universelle de Chicago, en 1933, la capsule de Piccard est placée à côté d’un sous-marin sphérique nommée Bathysphère, qui avait établi le record de profondeur de 923 m l’année précédente. L’appareil inspire l’inventeur, qui décide de s’investir dans l’exploration sous-marine.
L’engin
Piccard commence alors à mettre au point un appareil qu’il nomme Bathyscaphe. La première version de ce dernier a la forme d’une amande de 18 m de longueur. La plus grosse section, qui sert à remonter, contient de nombreux réservoirs d’essence. Comme l’essence est plus légère que l’eau, elle flotte et permet de remonter à la surface. En outre, le carburant ne peut pas être comprimé sous la pression, ce qui augmente sa résistance en profondeur.
La capsule où les passagers prennent place se trouve sous « l’amande ». L’engin bat le record mondial en descendant à 1400 m sous le niveau moyen de la mer en 1948. Mais assez rapidement, Auguste et son fils Jacques commencent à travailler sur un second modèle : le Trieste, capable de plonger à 6000 m de profondeur.
Développement soutenu
Leurs travaux intéressent rapidement la marine américaine, qui souhaite colliger des informations sur les profondeurs de l’océan Pacifique. En 1958, elle achète le modèle en développement, et les Piccard continuent d’y travailler en tant que consultants. L’objectif des Américains est d’être les premiers à atteindre le fond des mers.
Challenger Deep
- L’endroit est si profond que l’on pourrait y immerger le mont Everest sous l'équivalent de 2 km d’eau.
- Il y règne une pression 1000 fois plus grande qu’à la surface, laquelle est estimée à plus d’une tonne par centimètre carré.
Le nouveau financement permet à l’équipe d’améliorer le submersible. Lorsque le Trieste est fin prêt, il est remorqué au-dessus de Challenger Deep. Le matin du 23 janvier 1960, Jacques Piccard monte à bord avec le lieutenant Don Walsh, et ils amorcent leur descente.
Deux lieues sous les mers
Leur vitesse de descente est de 1 à 2 m par seconde. Durant le premier kilomètre, la lumière du soleil est perceptible, mais après 1000 m, c’est la noirceur totale.
Plus la descente progresse, plus la pression augmente. En entrevue, Don Walsh confie que le plus stressant était le grondement du métal qui se comprimait à cause de la pression. Pire encore : à 9500 m, un craquement anormal résonne dans le Trieste.
Les deux hommes tentent d’en trouver la source, mais ils n’y parviennent pas. Puisque les instruments donnent encore à ce moment-là des données normales, ils continuent de descendre.
Après cinq heures, ils touchent le fond de Challenger Deep. Et ce qui surprend tout le monde, c’est qu’avant de toucher le sol, les deux explorateurs croisent… un poisson!