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Début du contenu

Le cri du coeur de Miriam Cusson pour la résilience des francophones

Un édifice universitaire, une journée ensoleillée.
Plusieurs programmes en français étaient offerts au pavillon Alphonse-Raymond, dont le programme de théâtre. PHOTO : Université Laurentienne - Facebook
Publié le 14 avril 2021

Le programme de théâtre de l'Université Laurentienne a été la cible des compressions de l'Université Laurentienne, comme plus d'une vingtaine d'autres programmes en français.

Cette situation a inspiré Miriam Cusson. Elle enseignait au programme de Théâtre à la Laurentienne mais c'est la situation de la toute la communauté qui l'a interpellé, lui rappelant la résilience habituelle des Francos-Ontariens lorsqu'on s'attaque à leurs droits. Elle a performé son texte pour nous, avec beaucoup d'émotion.

« Cher Robert »

Ça fait longtemps depuis que je t’ai écrit
Tant de choses à dire
Tant de choses à faire
À refaire
Si tu voyais le monde aujourd’hui
Le grand trou noir aujourd’hui
Tu tomberais sur le cul

Je veux te laisser reposer en paix
J’ai essayé de passer à autre chose
Mais aujourd’hui
Je reviens au début
Au commencement

Je revis les derniers vingt ans
Gaudreau
Madeleine
Hélène
Gervais
Allaire
Cameron
John
Alain
Tout me revient
Comme un coup d’éclair
Comme un coup de pied au ventre
Je revois les funérailles
Les manifestations
Les standing ovations
Je revis
Les deuils
Et la liste d’aujourd’hui
Trop longue pour que je tienne le coup

Je revis
Les victoires aussi
Le temps où on s’organisait
Sur un bout de table au Poet’s Pantry on rêvait à l’avenir
on criait devant le Sénat
Nos numéros d’étudiant
On disait qu’on allait prendre notre place
Toute notre place
Sans demander la permission

Je digère
Les pertes
Trop nombreuses

Pour un instant
Je sens
que nous allons perdre le Nord

Soudainement
Je suis au sous-sol de la rue Patterson
La maison jaune soleil avec la porte bleue
Au-dessus de la grosse roche noire enceinte de Sainte Poésie
Qui a aujourd’hui la bouche bée
Devant la faucheuse
Qui l’a fait exploser

Je pense à quand on a fait l’inventaire de tes livres
À ton cours où j’ai compris
Que je venais du Nord esti’

Je manque d’éloquence
Je pense seulement aux références
Aux chansons
Que tu nous as joués au 7e
Dubeau qui chante
Nous sommes arrivés bâtir pays
Mais qu’est-ce qu’il nous en reste aujourd’hui
Bref
Ici dans le Nord
Ici au nord de notre vie
Je pense à Aymar et Paiement et Paquette
À moi mes amis

Aujourd’hui je sais que mon pays
Compte
Jules Joël Sylvie Isabelle
Nico Stéphane
Christian Lise
Véronique
Yves Michel France
Et tant d’autres

Je pense
Aux cigarettes secrètes
Qu’on n’a pas fumé dans ton bureau
ou dans l’auditorium Alphonse Raymond
ou au 228
Je pense
Aux chin-chin cérémonieux de mousseux
Qu’on n’a pas pris
Dans la shoppe
Après chaque show

Je pense au moment où j’ai rencontré Daniel Aubin
Sur ce grand escalier de béton où on a proclamé qu’on ne croyait pas en Dieu
Je pense à Rocky au bord du lac
Et aux 20 ans qui suivront
Je suis hors de moi-même on a fauché mon champ on a brûlé ma maison
Je suis sans abris
Dans ce cratère noir
Qui noircit
De minute en minute

Il fait frette Robert
C’est un drôle d’hiver
Même si c’est en principe
C’est le printemps
La saison du renouveau
Watch. Out.
Just. You. Wait.

Y’a des petites pousses partout
Et comme tu les trouverais belles
Ces Chloé ces Alex
Ces Darquise et Raphaël
Ces Patrick, Jessica et Émilie
Ces Éric Joël Isaac Micheal
Ces Simon et ces Gabrielle
ET ces Lauryn Andrea
Maxime Mauricio
Et Maël
Si tu les voyais aller
Tu
Comme moi aurais
Du mal à comprendre
Parce qu’esti
Eux aussi
Y viennent du Nord esti

Tu aurais adoré Marie-Pierre
Antoine
Dillon

La liste des aberrations est longue Robert
Je sens pour l’instant pour un moment
nous ne pouvons pas perdre le Nord
C’est impensable

Tu rirais
À gorge déployée
Tu nous
Convoquerais
Tu nous
Offrirais un verre de blanc
Ou de scotch
Et du saumon fumé
Dans ta cour arrière
On braillerait toutte comme des Madeleines
On crierait à l’injustice
En entendant les bombes
En attendant les bombes

Et après quelques bons coups
On se retrousserait les manches
As usual
Et on se laverait les mains
On se mettrait un masque
On s’embrasserait
Longtemps
Fort
Ça vaudrait le risque

Si tu voyais le monde aujourd’hui

Je cherche le chemin
Mais pour l’instant je suis déboussolée
Je cherche mes vieux gants de boxe
Emboîtés depuis des années
Esti
Esti rien n’est gagné

Nous têtus souterrains solidaires
Nous de bois et de terre
Nous le cœur à l’envers
Abandonnés dans les fonds d’un shaft de mine
On gueule
On crie
En français
Mais on nous dit
Ta gueule
I’m sorry we don’t speak French ici

Et on cogne sur les parois de roc
Pendant que la mort
Rôde
Elle est toujours là
En coulisses
En attendant son cue

La cage ne remonte pas
Y faudra s’agripper au roc
Et se rehausser nous-mêmes vers la lumière
Encore une fois
On s’est fait shafter Robert

Je suis collée à mon écran
Sidebar
On vient de hisser le drapeau franco-ontarien à l’Assemblée législative de l'Ontario
Too little too late

Le lendemain du carnage
Les nuages gris planent toujours
Recouvrent le grand ciel bleu par ici
Il faut faire attention où on met les pieds
Pour éviter les flaques de sang
Là où la hache a tombé

Attaque brutale
Contre les sages-femmes
Les Premiers Peuples
Les Franco-Ontariennes et Ontariens
Les étudiantes et étudiants immigrants de pays francophones

On a essayé de nous trancher la gueule
De nous couper la langue
Ils oublient qu’on s’en souvient
This will be yours to discover

Ils nous ont sous-estimés Robert
Don’t they fucking know who we are
Nous sommes les enfants de ceux et celles qui ont bûché haulé pioché
Dans les champs de soufre
De souffrance
Dans les catacombes souterraines
Don’t you know who we are
We are the daughters and sons of Strikeville
Les enfants de Grèveville

J’ai en stock
De la broche
Assez pour attacher des milliers de tuques
Pour traverser le cratère en funambule
To the moon and back

Vous nous avez
Encore une fois
Sous-estimé
L’histoire se répète
Et pète
Plus haut que le trou
Ouais
Vous nous avez
Sous-estimés
Again

Vous avez brûlé nos ponts
Et notre appartenance
Violé notre pays
Brûlé nos récoltes

Mais attention
Cette fois-ci
Nous avons collectionné des graines pour la prochaine semence
Just. You. Wait.

Mes chers
Mes confrères
Ma troupe
Mes complices

Serge Aurélie Joël et Compagnie
Denise Marie-Pierre Stéphane et Denis
Les petites pousses
Les récoltes mûres
Et tous ceux et celles qui ne sont pas sûrs

J’ai de la broche en stock
Et des tuques par milliers
Il faut danser sur les tombes de ceux qui nous ont fauchés

Dance like your life depended on it
Because it does
Sortez vos raquettes
Raquetique tow
Raquetique tow tow »

— Une citation de  Miriam Cusson