Des blanchisseries-prisons dans lesquelles les filles-mères, les prostituées et autres femmes rejetées par leur famille devaient travailler 6 jours sur 7, en silence, sous les coups et la torture, jusqu'à ce que leurs péchés soient lavés. De 1765 à 1996, c'est 30 000 femmes, adolescentes et fillettes qui ont été réduites à l'esclavage au nom de la foi, de l'honneur et de l'expiation. Catherine Tourangeau, doctorante en histoire britannique, raconte à Jacques Beauchamp comment la complicité de plusieurs sphères de la société a empêché que ce scandale n'éclate au grand jour avant la fin du 20e siècle.
C’est dans une communauté protestante d’Angleterre qu’apparaissent les premiers couvents de la Madeleine au milieu du 18e siècle. Il ne s’agit non pas d’une initiative religieuse, mais sociale, qui vise à aider les femmes à la rue à se réintégrer dans la société et à devenir de bonnes épouses. Le modèle est exporté avec succès à travers le pays, puis en Irlande à partir de 1765. Vers 1800, il s’étend à l’Australie et au Canada.
C’est vers 1820-1830, avec l’arrivée de l’ère victorienne et la révolution industrielle, que l’Église catholique accroît son pouvoir en Irlande et que la vocation de ces couvents change.
« Ça s’inscrit dans une espèce d’architecture d’internement […] qui inclut des maisons pour filles-mères, certaines prisons, des écoles d’industrie pour les jeunes garçons, et même les [maisons de correction]. Ça vient s’inscrire dans une espèce de grand réseau d’établissements qui visent très souvent à exploiter le labeur des personnes les plus démunies et, surtout, à les retirer de la rue pour qu’elles ne soient pas visibles. »
L’enfer sous les auspices des religieuses
Elles ont 15 ans, 20 ans, mais aussi, parfois, seulement 10, 11 ou 12 ans. Quatre-vingts pour cent de ces jeunes femmes y vont contre leur gré, sans même connaître leur destination. La plupart, sur l’ordre de leur famille. Elles sont enceintes, adultères, victimes d’un viol, ou simplement jugées trop jolies. D’autres s’y rendent volontairement pour fuir des agressions sexuelles à répétition.
Une fois sur place, on leur attribue un numéro ou un nouveau nom. Elles se font couper les cheveux, doivent porter un uniforme peu flatteur, puis blanchir des vêtements pour des périodes allant de 4 à 15 ans, jusqu’à ce que leur dette envers les religieuses dirigeant les couvents ait été remboursée. Afin qu’elles apprennent l’humilité, les miroirs sont interdits et les bains, rares. Les repas sont faméliques et l’éducation et les soins de santé, quasi inexistants. Les carences sont telles qu’une fois sorties, les pensionnaires ont peine à se réintégrer à la société.
Une vérité si tardive
Alors que la plupart des établissements d’internement, sur le territoire du Royaume-Uni, ont fait l’objet d’enquêtes et de rapport au cours du 20e siècle, ce n’est qu’en 1993 que la vérité éclate sur les couvents de la Madeleine. Il faut la vente d’un terrain ayant appartenu à une congrégation religieuse et la découverte des restes de 155 femmes pour qu’une enquête soit ouverte. En 2014, 800 autres cadavres de bébés ont été découverts dans une fosse septique.
Selon Catherine Tourangeau, le maintien du secret autour des couvents de la Madeleine relève d’une certaine misogynie ambiante, de la fragilité de l’État irlandais au 20e siècle, mais aussi de la complicité de ceux qui bénéficiaient du travail accompli dans les couvents. Ce réseau allait de l’Église catholique à la police en passant par les industries, le système de santé et l’État.