Aucun mort, aucun blessé, mais une confusion et une panique menant à une perte de confiance irrémédiable du public envers l'énergie nucléaire. Telles ont été les conséquences de la fonte partielle du cœur d'un des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Three Mile Island, en Pennsylvanie, le 28 mars 1979. Karine Prémont, professeure de politique appliquée, explique à Jacques Beauchamp qu'en cas d'incident majeur, la longue chaîne d'incompétence des gestionnaires et des gouvernants aurait pu faire des milliers de morts.
À 4 h, dans la nuit du 28 mars 1979, une série de défaillances mécaniques et d’erreurs humaines, couplées à des défauts de fabrication, provoquent une panne des pompes d’alimentation en eau dans le réacteur 2 de la centrale. Une partie du combustible du réacteur entre en fusion.
Doute, confusion et déni
Heureusement, l’enceinte de confinement autour du réacteur tient le coup, empêchant le déclenchement d’une réaction en chaîne. Pendant les 24 heures suivantes, toutefois, la gravité de l’incident est grandement sous-estimée. Aucune des parties impliquées – de l’entreprise opérant la centrale, la Metropolitan Edison Company, à la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis (NRC) – ne sait correctement décoder les messages qu’elle reçoit ni envoyer la bonne information, et il faut trois heures ne serait-ce que pour mesurer l’ampleur de la situation.
Démesure et panique
Après les 24 premières heures, on tombe dans l’excès inverse : la gravité de la catastrophe est grandement exagérée. Des mesures d’évacuation volontaires sont annoncées pour la population vivant dans un rayon de 10 km autour de la centrale. On ferme les écoles dans un rayon de presque 20 km, on demande au public de rester à l’intérieur et aux fermiers de rentrer leur bétail, et on fait évacuer les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans.
Dans un climat où les soupçons commencent à s’éveiller à propos du nucléaire, en raison de la guerre froide, des risques environnementaux et du film Le syndrome chinois, de telles mesures suscitent la panique totale.
« Elle a raison, la population, de paniquer, parce qu’on se rend rapidement compte qu’il n’y a aucun plan d’urgence, aucun plan d’évacuation, que les hôpitaux ne sont pas prêts à accueillir les gens, […] au point où les gens vont retirer massivement leur argent des banques. Quarante pour cent de la population évacue volontairement la région. Les gens ont très peur. Le nucléaire est encore un peu mystérieux, et on se rend compte que personne n’a l’air de savoir ce qu’il fait. »
Il faut la visite du président Jimmy Carter, le 1er avril, pour calmer les esprits. Ingénieur nucléaire de formation, il se présente avec sa femme et conclut à un incident mineur. Les craintes d’une fusion totale ne se concrétisent pas et, le 9 avril, l’ordre d’évacuation est levé.
Trop peu, trop tard
L’incident a néanmoins une série d’effets dommageables sur l’industrie du nucléaire, dont la valeur en bourse chute dans les jours suivants. La construction de nouvelles centrales est interrompue. Le soutien de la population fond. C’est le début du militantisme antinucléaire.
Une commission d’enquête condamne la Metropolitan Edison Company à payer des millions de dollars pour avoir falsifié des résultats de test. Le nettoyage du site prendra presque 20 ans, coûtera 1 milliard de dollars et produira 15 tonnes de déchets radioactifs.
Au début des années 1980, le Congrès américain vote des lois pour renforcer la sécurité dans les centrales nucléaires, et force les entreprises à se doter de plans d’urgence.
Selon Karine Prémont, c’est trop tard : l’incident de Three Mile Island a sonné le début de la fin de l’industrie nucléaire aux États-Unis.