Pour sa chronique Afrique, Blaise Ndala fait le tour de l'actualité de la République démocratique du Congo.
Texte de Blaise NDALA
Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo (RDC) a annoncé, dimanche 1er mars, une reprise des relations diplomatiques au plus haut niveau entre son pays et Israël. Depuis, le sujet suscite une polémique dans son pays et semble avoir créé un certain malaise sur le continent africain. Dans quel contexte cette annonce a-t-elle été faite?
L’annonce a été faite à Washington, DC au cours de la grande conférence annuelle organisée par le Comité des affaires publiques israélo-américaines (AIPAC). Pour les auditeurs qui ne seraient pas familiers avec l’AIPAC, il s’agit du plus grand lobby de la communauté juive implantée aux États-Unis d’Amérique. L’AIPAC exerce depuis sa création en 1951 une influence déterminante tant au Congrès qu’à la Maison blanche sur les décisions prises par Washington en politique étrangère, chaque fois que sont en jeu les intérêts politiques de l’État d’Israël. Sa conférence annuelle est vue comme un rendez-vous incontournable pour les décideurs des pays tiers qui cherchent à nouer ou à renforcer leurs relations avec les États-Unis et leur allié privilégié au Moyen-Orient.
Quelle était la teneur exacte de l’annonce ?
Le président congolais a annoncé trois choses :
1. La reprise au plus haut niveau des relations diplomatiques entre les deux pays avec la nomination prochaine d’un ambassadeur congolais en Israël où le Congo était représenté depuis vingt ans par un chargé d’affaires.
2. L’ouverture prochaine, à Jérusalem-Ouest, d’une section commerciale de l’ambassade du Congo qui, elle, resterait à Tel-Aviv. Il faut signaler qu’à ce jour, l'Ouganda est le seul pays africain ayant fait savoir qu’il entendait transférer son ambassade de Tel-Aviv vers Jérusalem.
3. L’appui par la RDC au Plan de paix pour le Moyen-Orient proposé le 28 janvier dernier par Donald Trump.
Ces annonces suscitent la controverse au Congo, tant au sein de la classe politique que dans la société civile, pourquoi ? Après tout, Israël maintient des liens diplomatiques avec plusieurs pays membres de l’ONU, y compris des pays arabes.
C’est surtout la troisième mesure qui fait polémique, et cela pour deux raisons essentielles :
1. D’abord parce que la stratégie de Tshisekedi tranche nettement avec la position commune de l’Union africaine qui a rejeté le Plan de Trump pendant le dernier sommet qui s’est tenu à Addis-Abeba du 9 au 11 février 2020. Il faut signaler à cet effet que le nouveau président de l'UA, le chef de l'État sud- africain Cyril Ramaphosa, a comparé le plan américain au régime d'apartheid : « Cela m'a rappelé la terrible histoire que nous avons traversée en Afrique du Sud ».
Or, en marge du sommet, le président congolais a été nommé par ses pairs premier vice-président en exercice de l’UA en 2020 et président de l’Union en 2021. On conçoit mal un président d’une Organisation internationale qui dans ses relations bilatérales pose un acte qui viole clairement la lettre et l’esprit d’un choix multilatéral dont il est censé être le garant.
2. Ensuite, parce que ce faisant, Tshisekedi choisit délibérément de s’inscrire dans la violation du droit international, puisque ce plan est contraire non seulement aux accords d’Oslo de 1993 qui ont consacré la création de l’Autorité palestinienne, en préfiguration de l’État palestinien, mais il viole également le droit international à travers de nombreuses résolutions onusiennes qui dénient à Israël la souveraineté exclusive sur la ville Jérusalem tout en consacrant le caractère illicite de la colonisation menée en Cisjordanie. D’où le rejet du Plan Trump par l’ONU.
Quel est le but poursuivi par le président congolais, si on considère qu’il ne peut objectivement prendre un risque politique aussi important en politique internationale, sans en mesurer les conséquences ? Le but de Tshisekedi est double, mais force est de constater que les résultats escomptés semblent bien aléatoires pour l’instant :
1. Face à un déficit de légitimité interne du fait d’une élection plus que controversée en janvier 2019, pour Tshisekedi qui a effectué plus de 35 voyages à l’étranger en un an à la tête du pays, le but premier est de s’attacher la sympathie de Donald Trump et ainsi compenser le peu de leadership dont il fait preuve dans son pays où sa marge de manœuvre politique est mise à mal par le camp de l’ancien président Joseph Kabila, majoritaire dans les deux chambres de l’Assemblée nationale. En effet, après avoir pris acte timidement de son arrivée au pouvoir, Donal Trump ne cesse de le presser de prendre ses distances avec l’ancien président avec qui il s’est allié, mais aussi de lutter contre la corruption dont beaucoup de proches du même Joseph Kabila seraient responsables.
2. L’autre but est d’ordre économique et vise à attirer les investisseurs israéliens dans son pays, tant dans le domaine des mines où ils sont déjà très présents, que dans celui de l’agriculture et des sciences et technologies, ainsi qu’il l’a lui-même précisé.
Mais dans les deux cas, il y a lieu de se demander si le jeu en vaut la chandelle. D’une part, parce que cet alignement fait perdre au Congolais sa crédibilité en termes de leadership parmi ses pairs africains, d’autre part, parce que rien, jusqu’ici ne prouve dans les faits que Donal Trump récompensera ses efforts à la hauteur espérée. Parlant justement des pairs du président Tshisekedi, est-ce que l’Afrique a toujours parlé d’une seule voix sur la question israélo-palestinienne ?
Non. Sur ce dossier, force est de constater que l’Afrique et l’UA sont allés tantôt d’un seul front, tantôt dans un ordre dispersé et il n’est d’ailleurs pas inintéressant de faire observer que le Zaïre hier, le Congo aujourd’hui, a souvent joué les trouble-fêtes. Voici en gros les grandes péripéties par lesquelles sont passés les pays africains:
1. À la fin de la guerre des Six Jours (1967) qui voit l’annexion par Israël des territoires palestiniens en Cisjordanie ainsi que la région du Sinaï en Égypte, les pays arabes membres de l’OUA demandent aux pays de l’Afrique subsaharienne de couper tout lien diplomatique avec Israël en signe de solidarité. Une demande qui sera largement suivie et qui verra, en retour, une augmentation de l’aide financière des pays arabes vers l’Afrique subsaharienne.
2. Lorsque Israël se retire du Sinaï en 1975 (Accords de Genève), puis signe en 1979 le traité de paix israélo-égyptien entre Anouar el-Sadate, Menahem Begin et Jimmy Carter, les pays africains non arabes expriment ouvertement leur volonté de renouer avec Israël, fustigeant au passage le jeu trouble des pays arabes dont l’Égypte et la Jordanie qui occupent des terres palestiniennes. L’Ivoirien Houphouët-Boigny dira au sommet de l’OUA de 1975 qu’il serait absurde de « se montrer plus royaliste que le roi ».
3. En 1982, alors que son pays est le quatrième bénéficiaire de l’aide des pays arabes avec le Soudan, la Mauritanie, la Guinée et l’Ouganda, le président zaïrois Mobutu Sese Seko, renoue les relations diplomatiques avec Israël, pressé en cela par Washington dont il a toujours été un des alliés sur le continent. S’en suivra une coopération militaire qui s’étalera sur plusieurs années, jusqu’à ce que Washington lâche le dictateur en 1996.
4. La digue africaine cédera avec la guerre entre la Libye et le Tchad (1978 – 1987), lorsque la Libye occupera militairement une partie du territoire tchadien riche en pétrole. Le président tchadien Hussein Habré demandera alors à son homologue zaïrois de solliciter en son nom auprès de la Maison-Blanche l’intervention directe des USA dans le conflit. Selon l’auteur Aladji Nouba Nouhou (Israël et l’Afrique, une relation mouvementée, Karthala, 2003), c’est suite à cette demande que l’on observera la présence sur le sol tchadien des conseillers techniques israéliens dans les rangs des Forces armées zaïroises appelées en renfort des troupes tchadiennes. De leur côté, les autres pays africains accuseront les monarchies du Golfe persique d’utiliser leurs pétrodollars pour accroître l’influence de l’islam sur le continent et favoriser un surarmement des États arabes au détriment des territoires des pays subsahariens.
5. Le général Ariel Sharon, alors ministre de la Défense d’Israël, effectuera en mai 1982, une tournée africaine qui démarrera au Kenya et s’achèvera au Soudan, dans le but de créer autour de la Libye et avec l’aide des États-Unis une sorte de cordon sanitaire « afin de protéger le reste de l’Afrique noire de la menace terroriste ». Il en profitera pour délivrer au Soudan une aide de 60 millions de dollars américains en échange de l’utilisation par son pays d’une base aérienne soudanaise en vue d’évacuer vers Israël de réfugiés juifs éthiopiens (Falachas). C’est le basculement, puis l’éclatement du front créé en Afrique à la fin de la guerre de 1967 et repris timidement après la guerre de Kippour d’octobre 1973.
En conclusion : Félix Tshisekedi suit l’adage qui proclame que « les États ont des intérêts et non des amis », mais encore faudrait-il que l’administration Trump ait des intérêts convergents avec ceux du Congo pour qu’il vaille la peine de piétiner le droit international, faire faux bond aux autres pays africains qui ont été les premiers à reconnaître son pouvoir et parmi lesquels se trouvent neuf pays ayant une frontière commune avec la RDC.