Les grandes ambitions électriques du Rwanda

Par Janic Tremblay de Désautels le dimanche

05 mai 2018 | access_time MINUTES DE LECTURE

La nuit, du haut des airs, de rares lumières parsèment le sol africain. Isolés les uns des autres, les faibles rayonnements jaunâtres percent difficilement l’obscurité. Rien à voir avec le quasi feu d’artifice qui attend les voyageurs à l’approche des aéroports d’Amérique ou d’Europe. L’une des clés de voûte du développement, l’électricité, fait encore défaut dans de nombreux pays africains. Mais, au Rwanda, les choses sont en train de changer.

Par Janic Tremblay de Désautels le dimanche

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Une chute d'eau au Rwanda
Une chute d'eau au Rwanda Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Mars, c’est la saison des pluies au Rwanda. Il y a des averses presque tous les jours. Le nord du pays se fait particulièrement arroser et il n’est pas rare d’apercevoir des ruisseaux qui débordent le long des routes.

La grande rivière Nyabarongo, l’une des plus importantes au pays, coule à flots. Nul besoin d’être expert pour comprendre que le cours d’eau qui serpente à travers une bonne partie du Rwanda offre un intéressant potentiel hydroélectrique. Déjà, un barrage mis en place sur cet affluent du Nil il y a quelques années procure 28 mégawatts d’électricité. À peu près autant qu’une douzaine d’éoliennes. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il y aurait près de 350 sites susceptibles d’accueillir des barrages hydroélectriques au Rwanda.

La grande rivière Nyabarongo au creux d'une vallée au Rwanda
La grande rivière Nyabarongo au creux d'une vallée au Rwanda Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

C’est précisément ce que le gouvernement du pays est en train de faire : multiplier les petits barrages au fil de l’eau afin d’augmenter progressivement la production d’électricité. Le Rwanda, pays en développement qui fait partie des nations les plus pauvres du monde, veut que toute la population ait accès à une forme ou une autre d’électricité d’ici 2024.

Il y a donc beaucoup à faire en très peu de temps. En ce moment, seulement 30 % de la population dispose de l’électricité. Il s’agit pour la plupart d’habitants des grandes villes, car en région, c’est moins d’une personne sur dix. Autrement dit, 8 millions de Rwandais n’ont toujours pas le courant au pays des mille collines.

Un barrage en construction sur la rivière Mukungwa
Un barrage en construction sur la rivière Mukungwa Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Quelque 400 personnes s’activent donc ces jours-ci à construire une centrale sur la rivière Mukungwa, dans le district de Musanze, entre Kigali et Gisenyi. Si tout se passe comme prévu, ce sera prêt dans quelques mois. Emmanuel Mukomeza est un des responsables du chantier. Il dit que ce modeste projet est tout de même très important pour le Rwanda.

 Emmanuel Mukomeza (droite) et Ndorimana Aimable (gauche) sur le site de construction de la nouvelle centrale sur la rivière Mukungwa
Emmanuel Mukomeza (droite) et Ndorimana Aimable (gauche) sur le site de construction de la nouvelle centrale sur la rivière Mukungwa Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

« C’est une centrale de plus de 15 millions de dollars. Cela va ajouter 2,6 mégawatts de plus à la capacité existante. Ce n’est pas négligeable pour nous. »

Évidemment, une telle quantité d’énergie semble minime pour des Québécois, qui disposent de plus de 35 000 mégawatts. Sauf qu’en Afrique, il suffit souvent de très peu d’électricité pour répondre aux modestes besoins des ménages. Cette nouvelle centrale fournira donc assez de courant pour alimenter l’équivalent de quelques milliers de résidences.

Le projet a été développé de concert avec la compagnie East African Power dirigée par le Canadien Daniel Klinck. L’homme originaire de Lennoxville est au Rwanda depuis huit ans. Il voit aujourd’hui un pays en plein essor, qui a placé très haut dans ses priorités le développement de son potentiel hydroélectrique.

Daniel Klinck, président de East African Power
Daniel Klinck, président de East African Power Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

« L’accès à l’électricité est un des meilleurs moyens d’enrayer la pauvreté et d’améliorer la santé. Par exemple, quand les citoyens ont l’électricité, ils cessent d’utiliser le kérosène, qui coûte cher et qui est également à l’origine de maladies respiratoires. »

Une fois que le Rwanda aura développé son réseau, l’économie en profitera aussi énormément, selon lui. Il évoque la venue d’industries et d’entreprises importantes comme des fabriques de verre, de métal et d’autres équipements divers.

« Cela va donner de l’emploi aux gens. Je crois au commerce beaucoup plus qu’à l’assistance pour aider au développement. Pour le moment, on a environ 200 mégawatts installés et l’électricité coûte cher. Mais on a le potentiel pour beaucoup plus. Dès qu’on aura augmenté la capacité, le coût va diminuer. C’est ce que l’on va voir au cours des dix prochaines années. À ce moment-là, les industries vont venir en masse au Rwanda. »

Un cocktail énergétique

L’électrification du Rwanda et des autres pays d’Afrique ne pourra pas se faire en misant uniquement sur l’hydroélectricité. Il faut aller dans plusieurs directions avec un cocktail de solutions. Toutes les sources doivent être mises à contribution.

Déjà, une centrale d’exploitation de gaz méthane, celui qui gît au fond du lac Kivu, procure 25 mégawatts au pays. Un concept révolutionnaire qui passait presque pour de la science-fiction il y a quelques années à peine. Si tout se passe comme prévu, la capacité va même quadrupler à moyen terme.

Une centrale au gaz méthane au centre du lac Kivu
Une centrale au gaz méthane au centre du lac Kivu Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Plus il y aura d’électricité, plus le Rwanda sera en mesure d’attirer des entreprises et des industries pour accélérer son développement. De grandes quantités de courant devront être réservées à ce groupe énergivore, au détriment de la population. C’est pourquoi l’électrification du Rwanda et de nombreux pays africains passera inexorablement par l’ajout de sources hors réseau.

Le soleil du Rwanda

Si l’énergie solaire tarde à prendre son envol en Occident, elle est relativement bien implantée en Afrique, où le soleil est généreux. Avec les ampoules écoénergétiques au DEL, les nouveaux écrans à très faible consommation et les besoins modérés des ménages, un simple panneau photovoltaïque peut révolutionner le quotidien d’une famille. Des panneaux comme ceux qu’installe la compagnie BBOXX. Aujourd’hui, une équipe se rend dans une famille dont la résidence est située sur une colline non loin de Kigali.

Des maisons sur une colline près de Kigali, au Rwanda
Des maisons sur une colline près de Kigali, au Rwanda Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Dans ce quartier populaire, les maisons sont agglutinées les unes sur les autres. Bien souvent, seule la lumière du jour pénètre les lieux. Une fois que le soleil se couche, la vie s’écoule au rythme de la radio à pile et à la lueur d’une chandelle.

 L'intérieur d'une maison sans électricité au Rwanda
L'intérieur d'une maison sans électricité au Rwanda Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Douze personnes habitent ici. Le père, la mère et leurs 10 enfants. De la lumière entre par quelques fenêtres et permet d’y voir dans la salle de séjour et la cuisine. Les trois chambres à coucher sont déjà plus sombres et les passages, eux, sont plongés dans l’obscurité totale. Les dénivelés au sol peuvent aisément surprendre et faire chuter les visiteurs imprudents.

Un technicien est en train d’installer des luminaires à l'intérieur d'une maison rwandaise
Un technicien est en train d’installer des luminaires à l'intérieur d'une maison rwandaise Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Le technicien installe les fils directement sur les murs de torchis qui se désagrègent sous les coups de marteau. Les enfants ne remarquent même pas les morceaux de murs qui s’amoncellent par terre. Ils sont bien davantage subjugués par les ampoules qui illuminent peu à peu leur demeure.

Un enfant rwandais impressionné par la lumière électrique à l'intérieur de sa maison.
Un enfant rwandais impressionné par la lumière électrique à l'intérieur de sa maison. Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

L’une des aînées de la fratrie, Angélique, explique que l’arrivée de l’électricité va grandement améliorer le quotidien de la famille. Grâce à la lumière, sa mère, tailleuse, va pouvoir ramener du travail à la maison et augmenter les revenus de la famille.

« Les enfants pourront beaucoup plus facilement étudier et faire leurs travaux scolaires le soir. Tout le monde pourra aussi accéder à la connaissance via le téléviseur qui sera installé dans la salle commune. Nous allons être si heureux! »

Angélique, l'une des aînées de la famille, se réjouit de la venue de l'électricité.
Angélique, l'une des aînées de la famille, se réjouit de la venue de l'électricité. Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

L’un de ses frères est tellement emballé et impressionné par ce qui est en train d’arriver qu’il déclare tout de go vouloir quitter l’école et monter sur les toits afin d’installer des panneaux partout et devenir un héros pour les Africains. Cela fait sourire Amaury Franklin Fastenakels, directeur stratégique de la compagnie, qui lui recommande néanmoins de poursuivre ses études le plus longtemps possible.

Enfants d’une famille rwandaise qui vient d’obtenir un peu d’électricité grâce à l’installation d’un panneau solaire.
Enfants d’une famille rwandaise qui vient d’obtenir un peu d’électricité grâce à l’installation d’un panneau solaire. Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Le jeune Belge explique que BBOXX compte 50 000 clients au Rwanda, mais selon lui, ce nombre pourrait décupler au cours des cinq ou six prochaines années. En ce moment, dans certains secteurs du pays, la compagnie installe environ sept panneaux chaque jour.

Amaury Franklin Fastenakels de BBOXX
Amaury Franklin Fastenakels de BBOXX Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

« Ici, il y a un défi important en ce qui concerne la distribution de l’électricité. Dans les villes, où il y a une densité suffisante de population, on peut se tourner vers un réseau classique. Mais ailleurs, on doit opter pour d’autres solutions. Cela peut être des micro-réseaux locaux ou encore des sources totalement indépendantes que les gens peuvent se payer, comme les panneaux solaires que nous installons. »

Le panneau et l’accumulateur coûtent environ 150 $. C’est 10 fois moins cher que de relier une maison au réseau, mais cela reste une somme considérable dans un pays où le salaire annuel moyen est de moins de 1000 $. La meilleure solution est de payer le service et l’installation petit à petit.

Autrefois, c’était impossible, car les fournisseurs de service n’avaient jamais la certitude d’être payés. Aujourd’hui, tout a changé avec l’arrivée du paiement mobile via le téléphone cellulaire. « De nos jours, on utilise le terme disruptif à toutes les sauces pour parler d’innovation. Ce n’est pas toujours justifié. Mais dans ce cas, ça l’est vraiment », explique Laurent Nahmias Léonard. Le Montréalais qui habite à Nairobi, au Kenya, fait du développement hydroélectrique dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est et constate que le paiement mobile facilite le déploiement de l’électricité.

Le Montréalais Laurent Nahmias Léonard
Le Montréalais Laurent Nahmias Léonard Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

« Auparavant, ouvrir un compte à la banque était presque impossible. Il fallait aller sur place, s’identifier, donner une adresse, offrir des garanties, etc. C’était très compliqué. Maintenant, il suffit d’avoir une carte SIM sur laquelle on peut déposer de l’argent et payer les biens et les services à distance. Il suffit d’avoir le numéro de téléphone associé. »

Payer avec son cellulaire

Désormais, les entreprises n’ont plus besoin d’envoyer des percepteurs. Elles se font payer à distance et sont aussi en mesure d’interrompre le service à distance lors d’un défaut de paiement. Les consommateurs peuvent payer de tout petits montants régulièrement. Cela ouvre de nouveaux marchés. Toute l’Afrique est en train de s’y mettre. Il cite en exemple le peuple Masai.

« Ils vivent au sud du Kenya et au nord de la Tanzanie. Ce sont des nomades qui ont maintenu des modes de vie basés sur l’élevage. Quand on les rencontre, ils ont tous des cellulaires et, pour payer leurs services de guides, on a recours au paiement mobile. »

Des jeunes Masai prenant un autoportrait
Des jeunes Masai prenant un autoportrait Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

Mais que se passe-t-il si le téléphone lui-même est en panne? C’est précisément le problème auquel s’est attaqué Nathanaël Hollands.

« Le cellulaire est maintenant un accessoire indispensable de la vie de tous les jours pour les Africains. Mais, si la batterie est déchargée, il ne sert plus à grand-chose. Alors, on a tenté de trouver une solution pour pouvoir le charger lors des déplacements. »

L’Almatois installé à Gisenyi a fondé la jeune pousse Moto Energy Solutions. Il commercialise un petit gadget très simple : un chargeur USB qui se connecte au système électrique d’une motocyclette. Prix de vente : 5 $. C’est un tout petit apport électrique, mais il n’est pas négligeable.

Nathanaël Hollands posant avec un modèle de son chargeur USB sur une moto
Nathanaël Hollands posant avec un modèle de son chargeur USB sur une moto Photo : Radio-Canada/Janic Tremblay

« Il y a 3 millions de motos en Afrique de l’Est, si je réussis à vendre mon chargeur à 100 000 motards, cela représente 1 mégawatt de courant que l’on n’a pas besoin de produire de façon traditionnelle! »

Au Rwanda et en Afrique, aucune source d’électricité n’est négligeable et aucune économie n’est trop petite.

Le reportage de Janic Tremblay est diffusé à Désautels le dimanche , à 10 h, sur ICI Radio-Canada Première

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