Le plongeon extrême, aussi spectaculaire que dangereux

Par Daniel Carrière de Découverte

Pour réussir leurs sauts, les plongeurs de haut vol doivent avoir un sang-froid à toute épreuve; ils doivent aussi survivre à l’impact de l’eau. Découvrez la science derrière la prouesse physique.

Pour réussir leurs sauts, les plongeurs de haut vol doivent avoir un sang-froid à toute épreuve; ils doivent aussi survivre à l’impact de l’eau. Découvrez la science derrière la prouesse physique.

Par Daniel Carrière de Découverte

Imaginez sauter d’un édifice de six à huit étages. Il faut des nerfs d’acier pour s’élancer dans le vide à cette hauteur.

Lysanne Richard est la seule Canadienne à faire des plongeons extrêmes de 20 mètres et plus sur le circuit professionnel. Si la hauteur freine la plupart des athlètes, pour Lysanne Richard, c’est le contraire : la hauteur est source de fascination. Même très jeune, elle rêvait de devenir plongeuse de haut vol.

Lysanne Richard
Lysanne Richard Photo : Facebook/Marie-Reine Materra

« J’ai tout le temps voulu faire ça quand j’étais plus jeune. J’ai eu la chance de voir un spectacle de plongeon au Village Vacances Valcartier et il y avait un mouvement de plongeon de haut vol à la fin du spectacle  », raconte-t-elle.

Combattre la peur

En compétition, Lysanne s’élance de tremplins qui font deux fois la hauteur des plateformes olympiques. La chute dure trois secondes et elle atteint des vitesses de plus de 70 km/h. À cette hauteur, la peur devient un ennemi redoutable. La peur, dit-elle, est toujours présente, mais grâce à son entraînement, elle apprend à la dominer et à surmonter ses craintes.

Lysanne Richard saute d'une falaise de 20 mètres
Lysanne Richard saute d'une falaise de 20 mètres dans le cadre d'une compétition internationale aux Açores, en juillet 2015. Photo : Romina Amato/Red Bull

« Admettons, j’arrive tout habillée et je suis sur la plateforme. Je me dis : “ah, mon Dieu, c’est haut”. Je suis plus nerveuse. Mais quand j’arrive en maillot de bain et que c’est le temps de faire mon mouvement, il n’y a pas de place à la peur. Je ne pense pas du tout à la peur, je pense à ce qu’il faut que je fasse pour réussir », confie l’athlète.

Lysanne Richard
La plongeuse de haut vol saute d'une hauteur qui équivaut à un édifice de huit étages. Illustration : Radio-Canada/Sophie Leclerc

Un sport qui ne date pas d’hier

Le plongeon de haut vol existe depuis plus de 300 ans et serait considéré comme l’un des plus vieux sports extrêmes. À l’époque, des guerriers hawaïens plongeaient de falaises pour montrer leur courage et leur loyauté.

Par la suite, le saut de haut vol a été associé au monde du spectacle et du cirque. Un grand nombre de plongeurs de haut vol sont des gymnastes et d’anciens acrobates. C’est d’ailleurs le cas de Lysanne Richard, qui a été pendant 15 ans artiste de cirque spécialisée en trampoline.

En 2009, tout va changer. La boisson énergisante Red Bull organise les premières compétitions internationales de Cliff Diving et, en 2015, la FINA, la Fédération internationale de natation, emboîte le pas en lançant les premiers championnats du monde. Le plongeon de haut vol quitte le monde du spectacle pour devenir un véritable sport qui n’attend plus maintenant que la consécration olympique.

Vidéo réalisée par l’entourage de Lysanne Richard montrant ses sauts dans diverses compétitions.

Un entraînement spécialement adapté

Devenir champion de cette discipline est tout un défi. Il n’y a pas d’école de sauts de haut vol et il y a très peu d’entraîneurs spécialisés dans le domaine.

Autre obstacle majeur : l’absence quasi totale de sites d’entraînement adaptés à ce sport. Il n’existe aucune plateforme de 20 mètres au Canada. Les athlètes comme Lysanne s’entraînent dans les piscines olympiques sur des plateformes qui ont la moitié de la hauteur requise en compétition.

« C’est sûr qu’au niveau du sentiment du temps dans les airs, du temps de réaction, c’est très différent. La vitesse de l’impact et la vitesse de rotation vont être complètement différentes. On peut simuler, mais on ne peut pas reproduire la réalité même d’un plongeon à haut vol », dit Stéphane Lapointe, entraîneur-chef du club de plongeon CAMO.

 Lysanne Richard s’entraîne au Complexe sportif Claude-Robillard de Montréal en compagnie de Stéphane Lapointe, entraîneur-chef du club de plongeon CAMO.
Lysanne Richard s’entraîne au Complexe sportif Claude-Robillard de Montréal en compagnie de Stéphane Lapointe, entraîneur-chef du club de plongeon CAMO. Photo : Radio-Canada

Plateforme unique en Amérique du Nord

L’impossibilité d’avoir des plateformes de 20 mètres a un impact direct sur la technique d’entraînement. Sur les plateformes de 10 mètres, les plongeurs de haut vol s’entraînent en divisant leur saut en deux. Ils pratiquent soit le début soit la fin de leur routine et ce n’est qu’en compétition qu’ils assemblent ces différentes sections pour la première fois.

Par chance, depuis un an, Lysanne a un atout que les autres plongeurs de haut vol n’ont pas : la Régie des installations olympiques a aménagé un site d’entraînement spécialement pour elle.

Lysanne Richard s’élance de la plateforme de 17 mètres au stade olympique
Lysanne Richard s’élance de la plateforme de 17 mètres au stade olympique. Photo : Radio-Canada

Cette plateforme accrochée dans les rails d’éclairage du bassin olympique est à 17 mètres de l’eau. Il lui manque encore trois mètres pour reproduire un véritable saut de compétition, mais au moins, à cette hauteur, elle retrouve des accélérations qui s’approchent de la réalité.

La vitesse, fonction de la hauteur

Lysanne en pleine action lors d’une compétition tenue au pays de Galles en septembre 2016.
Lysanne en pleine action lors d’une compétition tenue au pays de Galles en septembre 2016. Photo : Getty Images/Romina Amato/Red Bull
  • De la plateforme de 5 mètres, Lysanne tombe à 32 km/h.
  • De 10 mètres, elle accélère à 50 km/h.
  • À 17 mètres, elle atteint 65 km/h.
  • À 21 mètres, elle touche l’eau à 71 km/h.

À ces vitesses, la partie la plus dangereuse du saut, c’est la fin. Pratiquer les entrées à la bonne vitesse est donc un enjeu vital. Selon Marion Cossin, ingénieure junior en biomécanique, les forces d’impact à l’entrée dans l’eau s’approchent des limites de l’endurance humaine.

Pour un plongeon de 20 mètres, les chercheurs ont fait une modélisation et ont trouvé une force d’impact équivalente à 22 fois le poids de la personne.

Marion Cossin, ingénieure junior en biomécanique, Université de Montréal
Marion Cossin, ingénieure junior en biomécanique à l’Université de Montréal Photo : Radio-Canada

Minimiser l’impact

Le choc est si brutal que les plongeurs ne peuvent pas entrer la tête en premier. À la mi-parcours de leur saut, ils font une demi-rotation et pénètrent dans l’eau toujours par les pieds. Cette manoeuvre s’appelle un « barani ». Les pieds percent un trou dans l’eau et les jambes servent d’amortisseurs.

« Chaque articulation va absorber une partie de l’impact. Le plus gros va se faire au niveau des chevilles, mais il y en a sur les hanches, la colonne, les genoux. Les blessures qu’on voit en haut vol sont reliées aux articulations », explique l’entraîneur Stéphane Lapointe.

Une entrée dans l'eau avec un angle de plus de 10 degrés peut entraîner des blessures graves.
Une entrée dans l'eau avec un angle de plus de 10 degrés peut entraîner des blessures graves. Illustration : Radio-Canada/Sophie Leclerc

L’angle de pénétration dans l’eau aussi est important. Si le plongeur entre dans l’eau avec un angle de plus de 10 degrés, il risque de se blesser.

« Si elle est un peu à court de verticale, c’est le menton qui dépasse qui peut faire le même principe qu’un accident de voiture, un "whiplash". Si elle arrive de l’autre côté, c’est le dos, le coccyx », poursuit Stéphane Lapointe.

« C’est pour ça qu’on veut que ce soient les pieds qui absorbent l’impact. Elle doit arriver parfaitement droite pour que seulement les pieds reçoivent 100 % de l’impact et pas que ce soit réparti sur plusieurs parties du corps », ajoute Stéphane Lapointe.

Une fois qu’elle a traversé la surface de l’eau, ce n’est pas encore fini. Il reste le choc le plus important : le freinage.

« En fait, ce qu’il faut savoir, ce qui est [...] le plus risqué, ce n’est pas le contact direct avec l’eau, mais c’est vraiment la décélération qui va suivre », explique Marion Cossin.

« Il faut comprendre qu’elle va passer de 71 km/h à 0 km/h en moins de 300 millisecondes. C’est vraiment difficile à imaginer 300 millisecondes. C’est très, très rapide. C’est vraiment un freinage très brutal  », poursuit l’ingénieure junior en biomécanique.

Lysanne Richard s’élance du tremplin de 20 mètres
Lysanne Richard s’élance du tremplin de 20 mètres lors d'une compétition internationale tenue à Kazan, en Russie, en août 2015. Photo : Getty Images/Streeter Lecka

Ce sport nécessite une préparation physique et mentale à toute épreuve. La plongeuse entraîne son endurance, sa visualisation, sa confiance.

Malheureusement, Lysanne Richard connaît une année difficile. Celle qui a été couronnée plongeuse de l’année de la FINA en 2016 n’a pu défendre son titre. Une blessure au cou a obligé l’athlète québécoise à déclarer forfait en 2017.

Lysanne suit un programme de réhabilitation et attend le verdict des médecins pour savoir à quel moment elle retournera en compétition.

Le sport que pratique cette mère de trois enfants est aussi spectaculaire que dangereux.

Lysanne Richard en plein plongeon à Kazan, en Russie.
Lysanne Richard en plein plongeon à Kazan, en Russie. Photo : Getty Images/Streeter Lecka