Vivre au bordel, le quotidien des prostituées de Pune

Ces femmes reniées par leur famille et par la société indienne vivent dans une pauvreté inimaginable. Malgré tout, elles s'entraident et ont l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants. Elles ont pris des photos de leur milieu. Les voici.

Par Kiran Ambwani

Par Kiran Ambwani, photographe

Vivre au bordel, le quotidien des prostituées de Pune

Ces femmes reniées par leur famille et par la société indienne vivent dans une pauvreté inimaginable. Malgré tout, elles s'entraident et ont l'espoir d'une vie meilleure pour leurs enfants. Elles ont pris des photos de leur milieu. Les voici.

Propos recueillis par Danielle Beaudoin

En février dernier, j'ai donné un atelier de photographie à une quinzaine de personnes - prostituées, ex-prostituées et leurs enfants - à Pune, en Inde. Ces femmes travaillent dans un groupe d'aide aux travailleuses du sexe, Saheli Sangh. Les images qu'elles ont prises dans l'atelier sont très représentatives. Elles donnent un aperçu de leur quotidien, des espaces qu'elles habitent, de leur communauté.

Une rue du quartier chaud de Pune, en Inde Photo : Rutik, 17 ans

L'organisme sans but lucratif Saheli Sangh (réseau de copines, en français) emploie 10 prostituées et ex-prostituées. Ces femmes vivent dans des bordels, et près de la moitié d'entre elles exercent toujours le métier.

Saheli Sang a pignon sur rue dans Budhwar Peth, le quartier chaud de Pune. La ville de près de 4 millions d'habitants est située à une centaine de kilomètres de Mumbai, dans l'ouest de l'Inde.

Le quartier chaud de Pune
Le quartier chaud de Pune Photo : Sagartai, 50 ans

Le quartier abrite des maisons closes, mais aussi de nombreux commerces et des temples. Les marchands de saris y côtoient les bijoutiers ou encore les vendeurs de fruits et légumes.

Des prostituées se tiennent à l'ombre.
Des prostituées se tiennent à l'ombre. Photo : Rupesh, 16 ans

Ces femmes attendent les clients à l'abri du soleil. Pas question de bronzer. Les Indiens raffolent des femmes au teint pâle. Sur le marché de la prostitution, celles-ci sont les plus recherchées et les mieux payées. Les filles népalaises sont particulièrement prisées, notamment à cause de leur peau plus claire.

Le produit le plus vendu chez les femmes indiennes est le Fair and Lovely, une crème blanchissante pour le visage.

Servante de Dieu et ex-prostituée
Servante de Dieu et ex-prostituée Photo : Rupesh, 16 ans

La prostitution de mère en fille? Oui, cela existe. Cette grand-mère est une ex-prostituée. Sa fille a aussi fait le trottoir. La photo a été prise par son petit-fils, un adolescent.

Lorsqu'elle était petite, sa famille l'a donnée à un temple pour qu'elle devienne une « devadasi », une servante de Dieu. Dans le sud de l'Inde, des villages entiers offrent ainsi leurs filles aux temples. Cette tradition millénaire des devadasis s'est transformée au fil des siècles en un trafic de prostitution. Dans ce cas-ci, la fillette a été vendue à un bordel de Pune.

De jeunes hommes en compagnie d'une prostituée
De jeunes hommes en compagnie d'une prostituée Photo : Meena, 51 ans

En Inde, vous verrez très peu de femmes seules au restaurant. C'est mal vu. Dans ce cas-ci, il s'agit d'une prostituée qui discute avec de potentiels clients. Ce restaurant du quartier est tenu par un proxénète, qui reçoit un pourcentage de l'argent touché par les prostituées.

Toutes les pauvretés, de la misère à la violence et à l'exclusion

Du Dal Bhaat
Du Dal Bhaat Photo : Shamatai, 57 ans

Le Dal Bhaat, un mélange de riz et de lentilles, est un repas typique de la communauté. Il est préparé dans les locaux de Saheli Sangh pour les enfants de la garderie et d'autres membres de l'organisme.

L'heure du lunch à la garderie de Saheli Sangh
L'heure du lunch à la garderie de Saheli Sangh Photo : Shamatai, 57 ans

La garderie est ouverte jour et nuit, et les prostituées peuvent y laisser leurs enfants en toute sécurité.

Les casiers des prostituées
Les casiers des prostituées Photo : Meena, 51 ans

Dans cette pièce d'un bordel, qui fait office de salle d'attente, les femmes mettent leurs effets personnels dans des casiers fermés à clé. Au mur, une télé et des affiches de dieux.

Salle d'attente d'un bordel de Pune
Salle d'attente d'un bordel de Pune Photo : Rupesh, 16 ans

Dans la salle d'attente de cette maison close, on voit au mur les affiches de différents dieux, ainsi que des photos de famille. De-ci de-là, des vêtements d'hommes. Appartiennent-ils à des clients réguliers? La femme derrière le rideau est une ex-prostituée.

Une prostituée assoupie
Une prostituée assoupie Photo : Meena, 51 ans

Une prostituée se repose dans une chambre du bordel. Un réduit sombre, où il n'y a de la place que pour un petit lit. Les femmes y dorment et y rencontrent leurs clients.

Un client
Un client Photo : Meena, 51 ans

Un client dans une chambre de la maison close. Certains clients sont des réguliers, qui finissent par développer des liens avec une prostituée. Ils vont lui apporter à manger ou encore lui rendre de menus services.

Le coin cuisine d'un bordel de Pune
Le coin cuisine d'un bordel de Pune Photo : Rupesh, 16 ans

La cuisine du bordel est rudimentaire, avec son réchaud, une planche de bois pour couper les légumes et le tamis pour faire le thé chai. La cruche brune contient de l'eau, le récipient rouge, du propane.

Une salle de bains dans une maison close de Pune
Une salle de bains dans une maison close de Punel Photo : Rupesh, 16 ans

Savon, tube de dentifrice, brosse à dents… voici la salle de bain. Cette image, comme bien d'autres, montre le grand dénuement des prostituées de Pune.

Les divinités ont leur place au bordel.
Les divinités ont leur place au bordel. Photo : Rupesh, 16 ans

Ces femmes sont très pieuses, et on trouve ce genre d'autels dans la plupart des bordels. Les femmes font des offrandes aux dieux et prient. Ici, plusieurs représentations d'Hanuman, un dieu très populaire dans l'hindouisme. Le dieu-singe symbolise l'astuce, le dévouement, l'habileté et l'agilité.

Des prostituées au travail
Des prostituées au travail Photo : Mahadevi, 60 ans

En Inde, la grande majorité des prostituées ont été vendues à un souteneur ou à une maison close par un membre de leur famille.

Au début, elles doivent souvent travailler gratuitement pour « payer la dette ». Autrement dit, elle rembourse au souteneur la somme qu'il a payée pour elle.

Les bijoux en or sont très prisés des Indiennes.
Les bijoux en or sont très prisés des Indiennes. Photo : Gangubai, 51 ans

En Inde, même les femmes les plus pauvres s'achètent des bijoux en or. C'est un investissement, une forme de sécurité financière. Au besoin, elles peuvent les revendre.

« Nous sommes des personnes, tout comme vous »

Un texte des prostituées sur l'affirmation de soi
Un texte des prostituées sur l'affirmation de soi Photo : Samina, 8 ans

« Nous sommes les putains de votre société, et pour cela nous sommes marginalisées, détestées, déshéritées, reniées, violées, invisibles », peut-on lire sur cette affiche, dans les locaux de Saheli Sangh.

« Mais nous sommes aussi créatives, talentueuses, aimantes, généreuses, empathiques, tendres et fortes », dit ce poème. « Nous sommes des personnes, tout comme vous », conclut le texte.

De travailleuse du sexe à enseignante
De travailleuse du sexe à enseignante Photo : Pranav, 16 ans

Cette ex-prostituée s'en est sortie grâce à Saheli Sangh. Elle enseigne aujourd'hui dans une école primaire de Pune. Elle a gardé des liens avec l'organisme. Elle a participé avec son fils adolescent à l'atelier de photographie.

Une employée de Saheli Sangh
Une employée de Saheli Sangh Photo : Samina, 8 ans

Cette ex-prostituée travaille pour Saheli Sangh. Les employées touchent un petit salaire qui leur permet de survivre, en moyenne 84 $CA par mois, et 105 $CA pour celles qui ont le plus d'ancienneté.

L'organisme, qui vient en aide à plus de 2000 prostituées du quartier, mise beaucoup sur l'entraide par les pairs.

Les femmes plus âgées font de la prévention et de la sensibilisation auprès des plus jeunes. Les prostituées peuvent aussi voir un médecin ou un psychologue, se procurer des condoms ou apprendre comment se protéger du VIH.

La fille d'une prostituée
La fille d'une prostituée Photo : Meena, 51 ans

Cette fillette a grandi au bordel. Aura-t-elle un meilleur avenir que sa mère? Les enfants des prostituées vivent souvent au village, avec la famille, ou dans des pensionnats.

Des devoirs en anglais
Des devoirs en anglais Photo : Rutik, 17 ans

Au retour de l'école, un enfant fait ses devoirs… en anglais.

Une petite avec sa mère
Une petite avec sa mère Photo : Bhumika, 8 ans

Cette fillette prend un égoportrait. On la voit en compagnie de sa mère, une ex-prostituée d'origine népalaise, qui s'occupe de la garderie de Saheli Sangh.

Des participantes de l'atelier de photographie
Des participantes de l'atelier de photographie Photo : Shamatai, 57 ans

Ces trois participantes se familiarisent avec leurs appareils photo. La formation a duré quatre jours. Neuf femmes de 29 à 60 ans y ont participé, ainsi que 6 enfants de 5 à 17 ans.

Un des objectifs de l'atelier était de créer une banque d'images pour le site web de Saheli Sangh ainsi que pour les collectes de fonds et autres activités.

J'avais acquis plusieurs appareils photo numériques usagés auprès d'amis. Je les ai offerts à l'organisme.

Cette femme attend un client.
Cette femme attend un client. Photo : Shamatai, 57 ans

L'organisme Saheli Sangh n'est pas seulement un refuge pour reprendre des forces. Il offre aussi des traitements gratuits contre le sida, agit parfois comme intermédiaire entre les travailleuses du sexe et les policiers. Il essaie par différents moyens de permettre aux prostituées de prendre en main leur propre destinée (empowerment).

Dernièrement, Saheli Sangh et d'autres organisations indiennes ont réclamé la décriminalisation du travail du sexe. En ce moment, les lois permettent non seulement d'arrêter les prostituées, mais aussi de les secourir contre leur gré ou encore de les placer de force dans des maisons de correction.