Comment Guillaume est devenu William, l’évolution des prénoms au Québec depuis 1980
D’ici quelques décennies, Stéphanie et Alexandre, les prénoms les plus populaires au Québec, seront devenus des prénoms de grands-parents. Alors que des prénoms de grand-parents d'aujourd'hui, comme Olivia et Arthur, sont en voie d'être les nouveaux prénoms de la jeunesse.
Les prénoms que les parents québécois donnent à leurs enfants ont grandement évolué au cours des 35 dernières années.
On constate que les prénoms couramment donnés aux bébés il y a quelques années à peine perdent de plus en plus de terrain au profit de prénoms qui étaient très populaires il y a quelques générations. Quant aux prénoms plus communs, les parents trouvent une façon de leur donner une touche d’originalité, par exemple avec de subtiles variations de lettres. Également, les prénoms anglais, autrefois considérés comme tabous, font un retour en force.
En étudiant les bases de données, on remarque aussi que les prénoms composés, comme Jean-François et Anne-Marie, si propres au français, disparaissent rapidement.
Toutes ces tendances reflètent les changements de la société québécoise, que ce soit par l'immigration, la culture populaire ou le rejet des traditions religieuses, explique la sociologue Laurence Charton, de l'Institut national de la recherche scientifique.
Radio-Canada a analysé les prénoms donnés aux bébés depuis 1980 et a demandé à Mme Charton d’expliquer le contexte culturel entourant les choix des parents. Voici le résultat.
Les parents choisissent des prénoms moins communs
Voici les 12 prénoms de filles et de garçons les plus populaires au Québec depuis 1980, selon le nombre total de naissances.
Prénoms de filles les plus nombreux
Prénoms de garçons les plus nombreux
Mais en regardant ces données de plus près, on constate que la plupart de ces prénoms ont perdu en popularité au fil des ans.
L'évolution des prénoms de filles les plus populaires
L'évolution des prénoms de garçons les plus populaires
Les parents choisissent de plus en plus des prénoms originaux pour leurs enfants, une tendance observée ailleurs dans le monde occidental.
« Nous voulons être originaux, mais avec des limites », explique Laurence Charton. « L'originalité peut venir dans l'orthographe du prénom. Par exemple, le prénom Héloise avec ou sans un H. »
Le tableau ci-dessous montre le pourcentage de bébés qui, chaque année, reçoivent un prénom peu commun, soit un prénom donné à moins de 10 autres bébés. Zoya, Nibras, Jessley, Pharell, Mya-Eve sont quelques exemples de ces prénoms
Pourcentage de bébés ayant un prénom peu commun
Cette tendance pour les prénoms différents suit un changement majeur dans le Code civil du Québec en 1981. Auparavant, les enfants devaient prendre le nom de famille du père. Selon la sociologue Laurence Charton, cette nouvelle liberté a offert de nouvelles options pour les couples quant à la façon de nommer leurs bébés : en choisissant des noms de famille composés ou en utilisant le nom de famille de l'un des parent comme deuxième prénom, par exemple.
« Cela a également affecté le choix du prénom », souligne Mme Charton. « Donc, nous devons regarder le choix du prénom dans le contexte du nom. »
L’influence anglaise n’est plus taboue
Voici les prénoms qui ont le plus gagné en popularité depuis 1980.
Prénoms de filles qui ont les plus gagné en popularité
Prénoms de garçons qui ont les plus gagné en popularité
Certains prénoms anglais se démarquent chez les garçons : Elliot, James et Logan, notamment. Pour les filles, Mia et Victoria (non montré dans le graphique) sont aussi en progression constante.
« Les parents se sentent plus libres dans leurs choix de prénom », affirme Laurence Charton. « L'immigration joue un rôle, car les parents immigrés donnent à leurs enfants des prénoms de leur culture d'origine. Mais il y a aussi moins de désapprobation avec les prénoms anglais qu'avant. »
Les prénoms composés en baisse
Les prénoms composés, une particularité des cultures latines, sont moins populaires au Québec. Après avoir atteint un sommet au début des années 1990, ils sont maintenant à leur plus bas.
Bébés avec de prénoms composés
Mme Charton dit que cette baisse reflète la sécularisation accrue de la société québécoise, puisque les prénoms composés ont une association à la religion catholique.
« Dans les temps anciens, quand un garçon était baptisé, il recevait automatiquement le prénom du père ou Joseph comme un deuxième prénom », explique-t-elle. L'équivalent pour les filles était Marie.
Aujourd'hui, si un prénom composé est utilisé, c'est pour s'associer à un groupe social ou, dans certains cas, pour transmettre un prénom d'un côté de la famille. Par exemple, donner le prénom Charles-Antoine si le grand-père s’appelait Antoine.
Variantes de la dernière lettre
La lettre E, qui a longtemps été la fin la plus populaire pour les prénoms autant masculins que féminin, en a pris pour son rhume au cours des dernières décennies. En 1980, elle terminait près de 65 % des prénoms de filles. Trente ans plus tard, moins de la moitié des filles ont reçu un prénom qui se termine avec un E.
D'autre part, la lettre A a connu une ascension fulgurante parmi les filles.
Laurence Charton l'attribue à deux changements. Le premier est l'immigration, en particulier celle des pays d'Amérique latine, où presque tous les prénoms féminins se terminent en A. Le second est la façon dont la voyelle est prononcée dans certaines régions du Québec, où le A final est plus semblable à un O ouvert (le symbole phonétique [Ɔ]).
« Ce n'était pas considéré comme un bon son », explique la sociologue. « Aujourd'hui, les gens pourraient ne plus être dérangés par ce son. »
Quant aux garçons, la lettre N est aujourd'hui la plus populaire en fin de prénom, mais on la retrouve tout de même dans moins d'un cinquième de tous les prénoms. Les garçons, en fait, jouissent d'une plus grande diversité de lettres finales. Outre le N, les L, R, S et Y sont assez fréquents.
Noms qui ont changé de langue
Cette préférence croissante pour les prénoms de filles se terminant en A signifie que les versions latines ont dans certains cas dépassé leurs équivalents français. Anna a dépassé Anne, et Sophia / Sofia a supplanté Sophie.
Ce virage linguistique est encore plus marqué chez les garçons, par exemple William a depuis longtemps dépassé Guillaume en popularité.
Prénoms de filles qui varient d'une langue à l'autre
Prénoms de garçons qui varient d'une langue à l'autre
La sociologue Laurence Charton constate que, au-delà de montrer moins de réticence envers les prénoms anglophones, les parents ont un goût croissant pour les prénoms avec un certain statut social. William, Anne, et Elisabeth, des prénoms de plus en plus populaires, sont associés à la royauté.
Les prénoms qui changent de genre
La plupart des prénoms que l’on retrouve dans les données sont nettement plus populaires auprès d'un genre que d'un autre. Il y a quelques exemples d'incompatibilité entre les sexes, comme des filles prénommées Richard ou des garçons appelés Marie. Mais dans ces cas, il s’agit probablement d’erreurs dans les saisies de données.
Mais certains prénoms montrent une ambiguïté indéniable de genre. Par exemple, des prénoms comme Ariel ont changé de sexe au fil des années. Voici l’évolution de 14 prénoms qui ont transgressé les genres.
Prénoms qui ont changé de genre
Les Québécois sont-ils influencés par la culture populaire?
Autre constat : certains prénoms deviennent populaires en même temps que certains personnages marquants de films, d’émissions de télévision ou de romans.
Au moins neuf filles étaient prénommées Hermione après 2003 (non montré), dans la foulée de la sortie du deuxième film de la série Harry Potter. Il y avait aussi deux filles appelées Katniss en 2012, la même année que la sortie du premier film de la trilogie Hunger games.
La popularité croissante de Logan, le prénom du Wolverine de X-Men, coïncide avec la sortie des films qui abordent le passé de ce personnage (depuis 2009). Et le plus frappant, Arya, le prénom de l'héroïne courageuse et intelligente de la série télévisée Le trône de fer, a connu une hausse remarquable depuis le début de la diffusion de la série.
Logan (X-Men, film et bande dessinée)
Les vedettes musicales semblent aussi inspirer les parents.
Shania a été un prénom de fille très populaire en 1996, après la sortie de l'album The Woman in Me, qui a lancé la carrière commerciale de Shania Twain.