Si vous pouviez, par un simple test, connaître les maladies inscrites dans vos gènes qui risquent un jour de vous mener la vie dure ou, pire, vous tuer… voudriez-vous le passer? Et ces tests disponibles en vente libre permettent-ils réellement de tirer des conclusions significatives? Notre analyse.
L’idée a de quoi susciter la curiosité. Accéder à son identité génétique à partir d’un simple test de salive et recevoir ses résultats quelques semaines plus tard dans son salon. Mais comment peut-on y parvenir?
Le corps est une machine biologique extraordinaire dont le fonctionnement repose sur une structure, la cellule. Vous en possédez plus de 100 000 milliards. Dans chacune d’elles se trouve un noyau qui contient l’ADN renfermant votre bagage génétique. Un bagage qui ressemble à celui de votre voisin à 99,9 %; votre identité tient donc dans le 0,01 % restant.
C’est précisément à cet endroit que se trouvent certaines mutations génétiques associées aux maladies et à partir desquelles les entreprises calculent vos facteurs de risque de les contracter. Et c’est en analysant certaines régions de votre ADN que les experts lient vos origines ancestrales à des zones géographiques.
Pour quelques centaines de dollars, nous avons commandé et testé les produits de trois entreprises : AccuMetrics/Viaguard, EasyDNA et 23andMe.
Observation 1 : un délai d’attente
Nous avons reçu les trousses en quelques jours, puis renvoyé les échantillons de salive. Aucune entreprise n’a renvoyé les résultats dans les délais annoncés de trois à huit semaines.
Les résultats d’EasyDNA sont arrivés les premiers, après 11 semaines. L'entreprise avait envoyé un courriel pour confirmer la réception des échantillons et avait donné une date pour la réception des résultats.
Ceux de 23andMe sont arrivés en 12 semaines. L'entreprise avait aussi envoyé un accusé de réception et un autre courriel pour annoncer un retard dans la livraison des résultats en raison du grand nombre de nouveaux clients.

AccuMetrics/Viaguard peut quant à elle se vanter d’avoir le pire service à la clientèle des trois : aucun courriel pour annoncer la réception de nos échantillons et aucun message pour annoncer un retard. De nombreux messages ont été envoyés afin de connaître l’état de notre dossier, mais aucun suivi n’a été fait. Les résultats sont arrivés en 18 semaines au lieu de 3 dans un document attaché à un courriel, sans objet ni message.
Observation 2 : un éventail de maladies différentes
Les trois entreprises ne donnent pas le même nombre de facteurs de risque aux maladies et ceux-ci sont très différents de l'une à l’autre.
Prix | Facteurs analysés | Attente (semaines) |
|
AccuMetrics/ Viaguard |
490 $ | 24 | 18 |
EasyDNA | 379 $ | 34 | 11 |
23andMe | 249 $ | 56 | 12 |
Dans le cas d’AccuMetrics/Viaguard, la liste des maladies testées est courte et facile à comprendre. Toutes les maladies sont bien connues. Constat similaire pour EasyDNA, avec quelques maladies plus rares, mais toutes bien expliquées.
Dans le cas de 23andMe, la liste est longue et laborieuse. Il y a bien quelques maladies plus fréquentes, mais plusieurs d’entre elles sont rares et méconnues. La lecture du rapport est pratiquement incompréhensible sans les explications exhaustives offertes - heureusement - par l’entreprise, qui va même jusqu’à expliquer les mutations analysées, ce qui permet de mieux comprendre les résultats. Elle donne aussi la référence des études scientifiques consultées.
La Dre Lyne Desautels, du Centre de médecine intégrative et évolutive de Brossard, met toutefois en garde contre ce type de test.
Observation 3 : des résultats différents
En comparant les résultats des différents rapports, on constate rapidement que leur interprétation varie souvent d’une entreprise à l’autre.
La raison? Les entreprises n’utilisent pas toujours les mêmes marqueurs génétiques associés aux maladies dans leurs analyses. Les possibilités de les contracter peuvent donc varier en fonction des grilles d’évaluation qu’elles se sont chacune créées.
Prenons l’exemple de l’alzheimer. Il en existe deux formes : la familiale et la sporadique. La première, précoce et héréditaire, touche environ 2 % de tous les cas de la maladie. Trois gènes y sont associés. Aucune des entreprises testées n’offre cette analyse, mais elles le font pour la forme sporadique, qui est pourtant associée à un ensemble complexe d’éléments touchant à la génétique, à l’environnement, au mode de vie et à l’âge.
Les résultats que nous avons obtenus montrent, pour 23andMe et EasyDNA, un risque accru de contracter cette forme. Pourtant, AccuMetrics/Viaguard nous donne un risque dans la moyenne.
« Certaines compagnies mesurent les variables A, B, C et d’autres D, E, F, ce qui peut donner un résultat complètement différent », explique Maude Lefebvre, médecin-généticienne au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM).
En outre, la vaste majorité des cas associés à la forme familiale surviennent après l'âge de 65 ans. En fait, environ 10 % de la population contractera cette forme au cours de sa vie. Or, le rôle de la génétique n’y est toujours pas clair. À l’heure actuelle, il existe une quarantaine de gènes et régions du génome associés à cette forme, dont l'allèle 4 du gène de l'apolipoprotéine E (APOE4).

Les trois entreprises basent principalement leurs facteurs de risque sur la présence de l'allèle 4, mais peuvent également établir leurs résultats en utilisant d’autres données. Ce qui peut influencer les résultats.
Pour évaluer le risque d’une personne de développer un jour l’alzheimer sporadique, il faut considérer toutes les variables, mais aussi d’autres facteurs de risque, estime Dre Lefebvre. Ce qui représente un travail pratiquement impensable à l’heure actuelle - et le résultat demeurera de toute façon une probabilité.
Observation 4 : surtout des maladies multifactorielles
Si quelques-unes des maladies abordées possèdent un aspect génétique indéniable (comme les cancers du sein et de l’ovaire liés aux gènes BRCA 1 et BRCA2), la plupart des affections testées par les trois entreprises sont multifactorielles, c’est-à-dire qu’elles peuvent dépendre en partie de la génétique, mais également de notre environnement, de l’alimentation et de nos habitudes de vie.
« Et ces tests-là ne déterminent pas ça », explique Dre Lefebvre.
Certains clients peuvent même être faussement rassurés parce qu’ils ne présentent pas de facteurs de prédispositions pour une maladie. « Ils se disent : “je peux fumer, mal manger, alors que c’est faux”. Et à l’inverse, ils peuvent s’inquiéter faussement. Je pense qu’il faut faire une évaluation plus globale », dit-elle, précisant que les seuls tests génétiques fiables sont ceux demandés par un médecin.
Observation 5 : des émotions à fleur de gènes
Il est assurément inquiétant d’apprendre qu’on est à haut risque de contracter un jour un certain type de maladie. Toutes les entreprises avertissent leurs clients que leurs rapports ne peuvent servir de diagnostic et que seul un médecin peut en établir un.
Nous avons eu la chance de discuter avec des experts, mais ce n’est pas le cas pour bon nombre de clients qui doivent attendre avant de pouvoir consulter un médecin et être rassurés.
Une rencontre au cours de laquelle le test lui-même sera fort probablement discrédité. Les médecins déconseillent habituellement le dépistage génétique de la forme sporadique de l’alzheimer et ne placeront peut-être pas ces résultats dans votre dossier médical. Pour sa part, le Collège des médecins ne l’interdit pas, mais il se fie au bon jugement des médecins, explique la relationniste Caroline Langis.

Il est important de bien cerner ses attentes avant de passer un test génétique, souligne la psychologue Isabelle Tremblay, du Service de psychologie du CHU Sainte-Justine. Par exemple, un parent peut vouloir que son enfant passe un test pour obtenir un diagnostic clair pour le guérir d’une maladie. Mais c’est rarement possible.
Un conseil qui est encore plus vrai pour un test génétique en vente libre. Il faut comprendre les avantages et les risques de subir un tel test à la maison. Apprendre que l’on possède les prédispositions génétiques au cancer du sein et de l’ovaire change votre vie et celle des membres de votre famille. Ce n’est pas un résultat à prendre à la légère. Encore moins à recevoir par courriel. La Dre Maude Lefebvre invite plutôt les personnes qui ont des doutes à en parler avec leur médecin pour éventuellement passer un test clinique spécifique.
Le fait de passer un test dans le milieu médical comporte toutefois un risque commun avec ceux réalisés en vente libre : l’absence de protection contre la discrimination.
Comment contrer la discrimination génétique
Le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir de législation pour protéger ses citoyens contre la discrimination génétique.
Actuellement, une personne qui subit un test génétique peut se voir forcée d’en dévoiler le résultat. Selon le sénateur James Cowan, qui a présenté un projet de loi pour changer cette réalité, des Canadiens ont perdu leur emploi, se sont vu refuser des assurances ou ont dû payer des primes extrêmement élevées pour cette raison.
Cette réalité représente un problème pour les médecins-généticiens qui utilisent ce type de tests pour poser le bon diagnostic. La Dre Lefebvre, qui y a recours régulièrement, doit même avertir ses patients des risques légaux associés à ces tests.
Ainsi, certains patients doivent choisir entre passer un test (et peut-être avoir accès à des traitements pour une maladie) ou encore refuser le test - et le traitement - et avoir droit à une couverture d'assurance.
Si le projet de loi est adopté à la Chambre des communes, les citoyens qui passent des tests génétiques pour des motifs médicaux ne seraient plus tenus d'en révéler les résultats à des tiers, comme des compagnies d'assurance ou de futurs employeurs.
Les compagnies d'assurance s’y opposent, parce qu’elles jugent que les tests génétiques leur permettent de déterminer les risques liés à chaque assuré.
Une pratique jugée injuste par la Coalition canadienne pour l'équité génétique. Selon elle, un test génétique ne peut prédire avec certitude si une maladie se manifestera. Et lorsque le résultat est certain, il demeure impossible de déterminer l'âge où les symptômes apparaîtront.
« Éventuellement, on aura probablement les données [cliniques] pour interpréter les résultats. On peut mettre ça dans un petit tiroir en banque pour éventuellement les ressortir, et là, nous saurons comment les utiliser, comment les interpréter », explique la Dre Lyne Desautels.
Le Collège des médecins estime pour sa part que seuls les tests prescrits par un professionnel de la santé devraient se retrouver dans le dossier médical d’un patient.
Nous plaçons donc nos trois rapports « dans un petit tiroir » et les consulterons dans quelques années lorsque les connaissances nous permettront de les interpréter, comme l’invite la Dre Desautels.