Le péril des abeilles

 

Le déclin des abeilles préoccupe les apiculteurs, qui voient leurs colonies diminuer depuis des années. C’est également un problème de taille pour l’agriculture, puisqu’on estime qu’un tiers de ce que nous consommons dépend de la pollinisation. Or, les abeilles à miel sont les plus grands pollinisateurs. Du côté des pollinisateurs sauvages, les études sont rares, mais leur disparition est tout aussi alarmante.

Un texte de Ginette Marceau et Lou Sauvajon de La semaine verte

Les abeilles à miel en danger

Crédit photo : Stéphane Gravel

La disparition des abeilles est un phénomène mondial. Des pertes importantes sont recensées depuis une quinzaine d’années. L’Amérique du Nord est particulièrement affectée, et au Canada, les apiculteurs perdent en moyenne 25 % de leurs abeilles. L’Ontario est la province la plus touchée : en 2014, les pertes s’élèvent à 58 %, un record! Et le Québec n’est pas épargné; la mortalité est deux à trois fois plus élevée qu’auparavant.

Pour les apiculteurs, c’est dramatique. Les ruches se vident, et les colonies produisent moins de miel.

« Aujourd’hui, on est content quand on a 3 kg de miel par ruche. Avant, on pouvait avoir des entrées jusqu’à 7 kg par jour quand même! »  — Yves Gauvin, apiculteur à Saint-Hyacinthe

L’abeille à miel, dite domestique, n’est pas seulement une excellente productrice de miel, elle joue aussi un rôle essentiel dans la pollinisation des plantes à fleurs. Si les abeilles déclinent, c’est donc aussi l’agriculture qui en pâtit. Sans l’abeille à miel, notre alimentation serait fortement modifiée. Les productions de pommes et de citrouilles chuteraient de 90 %. Pour les bleuets, on parle d’une diminution de 80 %.

Le saviez-vous?

Pas moins 40 % des produits alimentaires contenus dans notre assiette proviennent indirectement ou directement du travail des abeilles par la pollinisation des fruits, légumes et autres plantes.

Nos pratiques agricoles remises en cause

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette disparition. Le premier : les néonicotinoïdes. C’est la classe d’insecticides la plus utilisée dans le monde aujourd’hui. Ils sont particulièrement toxiques pour les insectes, car ils s’attaquent au système nerveux.

Les abeilles sont aussi affectées, et ce, dès le printemps. L’équipe de l’Université Laval a démontré l’importance de la contamination de l’air autour des champs de maïs au moment des semis.

« Les abeilles s’intoxiquent au printemps, moment où on met en terre les grains de maïs. Les poussières du sol chargées de néonicotinoïdes se déposent sur les pissenlits. »
— Valérie Fournier, chercheuse au Centre de recherche en horticulture à l’Université Laval

L’insecticide se retrouve donc sur les fleurs et dans le sol. Mais ce n’est pas tout. L’équipe explique que les flaques d’eau sont également contaminées. 

L’abeille s'empoisonnerait à petites doses. « Des doses sous-létales de néonicotinoïdes peuvent causer des problèmes importants au niveau de l’apprentissage, de l’orientation, du niveau de ponte de la reine », précise Valérie Fournier.

C’est la survie de la colonie tout entière qui est alors menacée.

Santé Canada reconnaît aujourd’hui l’implication des néonicotinoïdes sur le déclin des abeilles. L’Ontario vient de lancer un plan d’action pour réduire son usage de 80 %. Le Québec, quant à lui, révise les conditions d’utilisation.

Si les effets des néonicotinoïdes sont de plus en plus documentés, les autres facteurs sont nettement plus difficiles à étudier. Et les hypothèses avancées sont nombreuses.

Crédit photo : iStock

Pour Yves Gauvin, apiculteur de Saint-Hyacinthe, le déclin de ses abeilles est aussi dû à la monoculture. « J’ai vu disparaître presque la totalité des prairies à fleurs au profit du maïs. La monoculture affame mes abeilles. Elles souffrent de malnutrition », souligne Yves Gauvin. La même source de nectar et de pollen sur des kilomètres à la ronde prive les abeilles de diversifier leur alimentation.

Nicolas Derome, chercheur à l’Université Laval, explique que les abeilles affaiblies deviennent plus vulnérables aux maladies et aux parasites. « Les abeilles souffrent de malnutrition en raison de la montée des monocultures. Quand vous baissez leurs défenses immunitaires avec les néonicotinoïdes, vous avez tout ce qu’il faut pour décimer des colonies entières. » Ce serait donc une accumulation de facteurs qui affaiblirait les abeilles, au risque de les tuer.

Mais où sont nos bourdons?

Avec le déclin des abeilles domestiques, comment assurer la pollinisation? Certains disent qu’on n’a qu’à se tourner vers les abeilles sauvages. Le problème, c’est que même elles sont menacées!

Une étude européenne affirme que parmi les cinq pollinisateurs les plus efficaces, trois sont des bourdons.

Les bourdons sont des abeilles sociales sauvages. Ils sont plus gros, plus colorés, plus velus que les abeilles domestiques. Il en existe 250 espèces dans le monde, alors qu’au Canada, on en dénombre une quarantaine.

En Californie, Robbin Thorp a passé sa vie à étudier les abeilles sauvages. « Les premières années, la plupart des espèces se comportaient très bien et, soudainement, deux d’entre elles se sont mises à décliner devant mes yeux », dit-il.

Il s’intéresse plus particulièrement au bourdon de Franklin, qui n’a pas été vu depuis août 2006. Et Robbin Thorp n’est pas le seul à s’inquiéter du sort des bourdons.

En Ontario, Sheila Colla s’intéresse depuis une dizaine d’années au bourdon à tache rousse, une espèce pourtant commune dans les années 1970. Sheila Colla a trouvé trois spécimens au cours des 10 dernières années. Et le phénomène est mondial.

Au Canada, le tiers des bourdons a connu un déclin au cours de cette période. En Amérique du Nord, au moins quatre espèces sont en danger d’extinction, et leur nombre pourrait grimper à sept. En Europe, 46 % des espèces de bourdons sont en déclin, et plusieurs sont en danger d’extinction.

Les scientifiques ont du mal à expliquer la situation. Les pesticides comme les néonicotinoïdes se retrouvent au banc des accusés. L’intensification de l’agriculture qui détruirait leur habitat ne serait pas non plus étrangère à la baisse de la population. Les changements climatiques aussi.

Les chercheurs connaissent peu de choses sur les bourdons, et ils font face à un problème de taille pour les étudier : les trouver. Ils se tournent donc vers la population par l’entremise des sites Internet (par exemple, ici »). Ils demandent aux citoyens d’envoyer des photographies de bourdons aperçus. Cela les aide à définir leur aire de distribution.

L’insémination artificielle : un moyen pour assurer la survie des abeilles?

Crédit photo : Stéphane Gravel

Anicet Desrochers élève des reines-abeilles, c’est-à-dire qu’il produit des reines qui sont introduites dans les ruches. Le rôle de la reine est crucial. Sans elle, il n’y a pas de colonie.

M. Desrochers tente de développer une abeille plus productive et plus résistante aux maladies et aux parasites. Chaque année, il part en Californie pour y inséminer artificiellement et multiplier ses meilleures reproductrices destinées au marché canadien.

L’insémination artificielle permet de croiser un  mâle présélectionné avec une reine prédéterminée pour renforcer certains traits génétiques. À l’état naturel, « les reines vont se féconder avec une vingtaine, une trentaine de mâles. Avec l’insémination, on est capable de rétrécir la chose. Le but, c’est d’avoir une reine de qualité supérieure », explique Anicet Desrochers.

Crédit photo : Stéphane GravelAnicet Desrochers

Mais l’insémination artificielle de l’abeille pour produire une super-abeille ne peut assurer à elle seule la survie de l’espèce. Selon Anicet Desrochers, cela doit passer par un changement des pratiques agricoles.

« Je ne pense pas qu’on ne soit jamais capable de développer une abeille qui est capable de tolérer des molécules de synthèse. Je ne pense pas qu’on soit capable de vivre dans des milieux de culture intensifs sur six mois dans une année, par exemple. Donc pourquoi ne pas plutôt penser à un moyen de modifier nos habitudes alimentaires, nos méthodes de production. » — Anicet Desrochers, éleveur de reines-abeilles

Une chose est sûre. En modifiant nos façons de faire, c’est non seulement les abeilles domestiques qui en profitent, mais aussi les abeilles sauvages.

Selon l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), les différentes espèces d’abeilles « contribuent à la survie et à l’évolution de plus de 80 % des espèces végétales ».