Violence conjugale chez les gais : aucune ressource pour les victimes

Selon Statistique Canada, les homosexuels sont deux fois plus susceptibles d'être victimes de violence conjugale que les hétérosexuels.
Photo : Radio-Canada
Il lui a fallu des mois pour dénoncer les actes dont il était victime dans son couple, mais Manuel Mennini l'a finalement fait, en mai dernier. Depuis, il tente de reconstruire sa vie. Être gai et victime de violence conjugale, c'est faire partie d'une minorité qui se retrouve sans ressource pour s'en sortir, malgré l'ampleur du phénomène.
Manuel traversait une période difficile de sa vie quand il a rencontré son conjoint, en 2015. Étranger à Montréal, itinérant, sans le sou, il a rencontré un homme avec qui tout semblait parfait, au début.
« Il pensait beaucoup à moi. Je n'avais même plus une seconde pour penser à ce dont j'avais besoin », se souvient-il. Mais au bout de quelques mois, le bonheur des premiers instants s'est transformé en un cycle de violence.
Contrôle, manipulation, agression physique : Manuel était coincé dans une relation où il en est venu à croire qu'il était la source du problème.
Un soir, les coups ont été si puissants qu'il ne se souvient que de s'être réveillé à l'hôpital, le lendemain, avec une côte fracturée.
« J'avais des hématomes partout. La tête fracassée, une dent en moins. [J'étais] pas mal en mauvais état. Des cicatrices, j'en ai partout. Il m'a beaucoup abîmé le visage, la tête. »
Ce jour-là, Manuel n'a pas osé dénoncer.
Deux fois plus de victimes homosexuelles autodéclarées
Manuel fait partie d'une statistique peu connue. Selon la plus récente Enquête sociale générale de Statistique Canada, 8 % des homosexuels rapportent avoir été victimes de violence conjugale, au pays.
Ce pourcentage est deux fois plus élevé que dans les couples hétérosexuels, où le taux de violence conjugale autodéclarée est de 4 %.
Qui plus est, les rares statistiques sur le sujet semblent démontrer que le phénomène diffère chez les gais et les lesbiennes.
« Les données policières de 2012, au Québec, nous démontrent que les hommes sont plus susceptibles d'être victimes de violence dans les couples de même sexe que les femmes dans les couples de même sexe », affirme Sylvie Thibault, professeure en travail social à l'Université du Québec en Outaouais.
Malgré l'ampleur du phénomène, les organismes en diversité sexuelle, les organismes qui accompagnent les hommes violents et les refuges pour femmes ne sont pas adaptés à la réalité des hommes comme Manuel.
« Les hommes [gais] perçoivent que les services ne peuvent pas répondre à leurs besoins, donc ils n'iront pas chercher spontanément de l'aide », explique Sylvie Thibault.
Prise de conscience dans le milieu communautaire
À Montréal, des organismes communautaires ont décidé d'unir leurs efforts. L'été dernier, ils ont créé une table de concertation nommée Violence conjugale dans les relations amoureuses et intimes entre hommes (VRAIH).
« On pense que violence conjugale, c'est vraiment l'image typique qu'on voit dans les films, dans les séries, l'homme qui bat sa femme », caricature Benoît Turcotte, responsable du projet.
« Ils sont confrontés à s'identifier à la fois comme victime, mais aussi s'identifier comme homme gai. C'est un double coming out qu'ils doivent faire. Souvent, ils ne sont pas à l'aise de le faire ou ils vont avoir peur d'être confrontés à des préjugés, à de l'homophobie, de ne pas être crus. »
Pour aider les gais victimes de violence conjugale, le VRAIH élabore actuellement une formation qui permettra de détecter plus facilement les victimes potentielles et de les aider à trouver du soutien.
La formation doit être prête au printemps 2017. Le VRAIH compte d'abord l'offrir aux intervenants en diversité sexuelle et en violence conjugale ainsi qu'aux étudiants en travail social. Par la suite, le VRAIH espère la transmettre au Service de police de la Ville de Montréal.
À Québec, l'organisme AutonHommie, qui accompagne les hommes traversant des difficultés psychologiques, fait de son mieux pour aider les hommes gais. Or, sans ressources spécialisées, ses efforts ont leur limite.
« Si je cherche sur Internet pour avoir des services [pour les gais victimes de violence conjugale], faites ça à Québec, eh bien vous ne trouverez rien », illustre André Beaulieu, directeur général.
Ce dernier constate aussi que les thérapies de groupe, qui constituent l'essentiel de son offre de services, sont mal adaptées pour cette clientèle.
« Ils se sentent moins à l'aise et le fait d'être obligé de dévoiler [leur orientation sexuelle] devant huit ou neuf gars qui ne sont pas au fait, c'est un frein majeur. »
Des appels à l'aide qui tardent
Peu de recherches ont été consacrées aux gais victimes de violence conjugale, mais Sylvie Thibault affirme qu'ils ont tendance à attendre trop longtemps avant de porter plainte.
« Ce qui est préoccupant dans la violence physique, c'est que souvent la gravité des blessures et la fréquence est plus importante chez les couples gais que chez les couples hétéros ou lesbiens », expose-t-elle.
« Ce qui est encore plus inquiétant [...] parce qu'il y a plein de mythes autour de la violence conjugale chez les hommes gais, c'est que les hommes vont [...] attendre que ce soit vraiment très grave avant d'aller consulter. »
La violence psychologique dans les couples gais peut aussi prendre des formes différentes que dans les couples hétérosexuels, notamment si l'un des deux partenaires n'est pas sorti du placard.
« Il n'y a personne que je connais dans les couples hétéros que le mari a menacé sa femme d'aller dire à sa famille qu'elle était hétérosexuelle! » dit Sylvie Thibault.
La professeure estime que la violence dans les couples gais est carrément banalisée, parce qu'on présuppose que les hommes sont capables de se défendre eux-mêmes. Elle ajoute que la composante affective de la relation est aussi minimisée.
« On va penser que les couples [d'hommes], c'est basé simplement sur une attirance sexuelle. On ne va pas donner d'importance à la relation amoureuse, à l'investissement [plus émotif] dans le couple [...] On va lui dire : "Bien, lâche-le, ton chum!" »
S'en sortir
Manuel a été violenté pour la dernière fois en mai dernier. Rué de coups dans l'appartement de son conjoint puis dans l'ascenseur de l'immeuble, il a pris la fuite et est immédiatement allé porter plainte.
« Au moment où il m'a frappé, j'ai dit non, ça suffit, c'est terminé. Je ne suis plus capable d'endurer ça », se remémore-t-il.
Quelques mois plus tard, son ex-conjoint était reconnu coupable de voies de fait ayant causé des lésions et condamné à une peine d'emprisonnement.
Depuis, Manuel a tenté de reprendre une vie normale. Il possède son propre appartement et s'est trouvé du travail. Il prend des antidépresseurs et a parfois besoin de médication pour trouver le sommeil.
Mais sa plus grande préoccupation reste d'oublier son ex-conjoint.
« J'ai des choses cassées, peu importe. Moi, c'est mon coeur que j'aimerais qui soit réparé et retrouver mon petit goût de vie que j'avais avant. »