Cinq questions pour comprendre la « jungle » de Calais

Vue aérienne de la « jungle » de Calais prise le 16 août 2016
Photo : AFP / PHILIPPE HUGUEN
Le gouvernement français procède depuis lundi matin au démantèlement de la « jungle » de Calais, ce bidonville peuplé par des migrants dans le nord de la France. Décryptage.
1. La « jungle » de Calais, c'est quoi?
C'est un grand terrain vague en bordure de l'autoroute qui mène au port et dans lequel se sont installés, avec l'accord des autorités, des milliers de migrants sans papiers qui tentent de passer en Angleterre, dont les côtes ne se trouvent qu'à 25 km de distance.
De par sa proximité avec l'eldorado britannique, la région attire les migrants depuis des années. Le camp de Sangatte, qui a fait la manchette à la fin des années 90, a été démantelé en 2002, à la suite des protestations de la Grande-Bretagne. Mais l'afflux de migrants n'a pas cessé et d'autres camps se sont formés un peu partout à Calais jusqu'à que finalement le gouvernement français décide, il y a environ deux ans, de regrouper en un seul lieu tous les migrants éparpillés à Calais.
En septembre 2016, on y comptait plus de 9000 personnes. Différentes associations qui y oeuvrent, comme Médecins du monde, Solidarités international, le Secours catholique et le Secours islamique, ont dénoncé les conditions de vie dans ce camp, qui sont, selon elles, « absolument inédites en Europe ».
« Ce qui n'était au départ qu'un camp de tentes [...] est devenu progressivement un bidonville », expliquait François Guennoc, secrétaire de l'Auberge des migrants, en entrevue à l'émission Médium large en février dernier. Avant le démantèlement, on y trouvait une centaine de commerces, dont des épiceries, des restaurants et des salons de coiffure, ainsi que des églises et des mosquées.
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2. Qui sont ces migrants et que veulent-ils?
Il y a beaucoup de Soudanais, d'Érythréens et d'Afghans, mais on rencontre aussi des Pakistanais, des Syriens et des Somaliens, entre autres. Pour la plupart, il s'agit de jeunes hommes, quoiqu'on trouve de plus en plus d'enfants et quelques femmes.
Arrivés en France illégalement, souvent après un long périple à travers l'Europe, ils cherchent à tout prix à rejoindre l'Angleterre, où ils pensent trouver plus facilement du travail et avoir une meilleure qualité de vie.
« La plupart parlent anglais, ils ont souvent des amis ou de la famille en Grande-Bretagne et le marché de l'emploi y est meilleur qu'en France », souligne François Guennoc.
La France n'est donc pour eux qu'un pays de transit en attendant de se rendre en Grande-Bretagne afin d'y déposer une demande d'asile ou de s'y fondre dans la masse des travailleurs sans papiers.
3. Pourquoi démanteler le camp maintenant?
Les autorités françaises ressentaient les pressions de toutes parts pour mettre fin au camp, dont le nombre de résidents ne cessait d'augmenter. Surtout dans un contexte préélectoral, précise Sylvain Desjardins, correspondant de Radio-Canada en France.
« C'est une très mauvaise image pour la France d'avoir des gens qui vivent dans des conditions de camps de réfugiés atroces, pires que dans les camps pour les Syriens en Jordanie ou en Turquie, des abris de fortune dans la boue. »
Les résidents de la région de Calais en avaient assez, tout comme les conducteurs de l'Eurostar, le train qui passe sous la Manche, qui se disent « hantés » par la mort de nombreux migrants, percutés par des trains dans le tunnel.
En février, le gouvernement a rasé au bulldozer la partie sud du camp, puis il a annoncé en septembre dernier son intention de le démanteler définitivement.
4. Où iront les migrants?
L'objectif du gouvernement français est que ces personnes régularisent leur situation. Elles seront réparties dans les 450 centres d'accueil et d'orientation un peu partout au pays, où elles seront hébergées et prises en charge pendant 30 jours, le temps de décider si elles veulent déposer une demande d'asile en France ou être renvoyées vers le pays de l'Union européenne par lequel elles sont arrivées, comme le stipulent les accords de Dublin.
Les autorités pensent qu'elles pourront faire un meilleur suivi des migrants dans ces centres, qui n'accueilleront que 20 ou 30 personnes à la fois.
On s'attend à ce que la majorité des migrants demandent l'asile. C'est ce qu'on déjà fait une bonne partie de ceux qui ont été touchés par le démantèlement de février.
Mais déposer une demande d'asile en France ne garantit rien, croit François Guennoc, de l'Auberge des migrants. « Le taux d'acceptation [des demandes d'asile] est de moins de 20% », précise-t-il.
« Il y a un décalage entre les déclarations du gouvernement, qui affirme que la solution, c'est de demander l'asile en France, et la réalité des chiffres. »
Plusieurs craignent que les migrants ne tentent, d'une façon ou d'une autre, de revenir dans la région pour continuer vers la Grande-Bretagne. « Le gouvernement a fait le choix d'en finir avec cette zone grise, mais il y a des gens qui ne veulent pas rester en France et qui tenteront à tout prix de se rendre en Angleterre », pense Sylvain Desjardins.
5. Qu'arrivera-t-il aux mineurs?
La France et le Royaume-Uni essaient d'en arriver à une entente sur le sort des 1300 personnes mineures non accompagnées installées à Calais.
Déjà, 200 d'entre elles, qui avaient de la famille proche en Grande-Bretagne, ont pu s'y rendre la semaine dernière. La France voudrait qu'on applique cette logique de réunification familiale à tous les mineurs qui peuvent prouver que des membres de leur famille immédiate sont prêts à les accueillir et les héberger.
Quant aux autres, ils resteront dans la « jungle » de Calais, mais dans des conteneurs aménagés en dortoirs, où ils seront pris en charge par les services d'aide à l'enfance.