Mères porteuses : le Québec doit réformer son droit familial

Photo : iStock/Steve Sucsy
Une décision de la Cour du Québec, rendue en faveur d'un couple ayant eu recours à une mère porteuse en Inde, révèle l'urgence de réformer le droit de la famille dans la province. Dans son jugement, le Tribunal dit sans ambages au législateur qu'il ne lui appartient pas « de trancher ce débat de société ».
L'histoire est la suivante : en 2011, un couple homosexuel du Québec se rend en Inde afin de conclure un « contrat de gestation pour autrui » avec la clinique Rotunda. Seul l'un des membres du couple signe le contrat, puisque la justice indienne ne reconnaît pas les couples de même sexe.
Au préalable, le couple avait obtenu l'aide d'une mère « donneuse d'ovules ». Restait à trouver la mère porteuse et à faire un don de sperme... C'est à la clinique Rotunda que ces prérequis seront remplis.
Le couple dit avoir choisi l'Inde parce que le service de mère porteuse y était moins coûteux et parce que l'un des deux conjoints dit avoir des origines indiennes.
Au Canada, rémunérer une mère porteuse est criminel
Le couple aurait pu se tourner vers une mère québécoise, mais dans le respect des limites des lois fédérales et provinciales, affirme Alain Roy, docteur et professeur en droit à l'Université de Montréal. « En vertu du droit fédéral, on ne peut pas rémunérer la mère porteuse. »
Si on le fait, poursuit le professeur de droit, « on se rend coupable d'un acte criminel ». Seule une compensation pour les frais est admise.
De plus, au Québec, la mère porteuse peut décider de garder l'enfant au terme de la grossesse. « Un risque », a reconnu le couple en cour. D'où le choix de l'Inde, où pareil contrat est « légal ».
En vertu du contrat, le couple a donc versé 30 000 $ à la clinique qui, elle, s'est engagée à assumer les frais médicaux et d'autres frais à l'endroit de la mère porteuse. Il n'est pas clair si cette femme mariée et déjà mère de trois enfants a été rémunérée par la clinique.
Les enfants, des jumelles, naissent en octobre 2011. Sur l'acte de naissance des enfants figure le nom du père biologique, mais pas celui de la mère porteuse.
La déplorable situation des mères porteuses en Inde
De retour au Québec, le conjoint du père des jumelles souhaite adopter les enfants.
C'est à ce moment que la Procureure générale du Québec intervient, « interpellée par le ''facteur mère indienne'' », selon Alain Roy. Par le passé, d'autres couples québécois avaient fait appel à des mères porteuses américaines, par exemple. Et le législateur n'avait rien dit, supposant que le contexte dans lequel évoluent ces mères est semblable à celui du Québec.
Mais en Inde, « les mères sont appelées à porter des enfants dans des conditions atroces », dit M. Roy. Leur liberté de mouvement est compromise, leur alimentation est contrôlée... Sans compter qu'en ne signant pas l'acte de naissance elles font office de « mères fantômes ».
Tous ces éléments ont fait dire à la Procureure générale « que plusieurs clauses du contrat de gestation sont abusives et contraires à nos principes juridiques et à l'ordre public ».
En recourant à une mère porteuse en Inde, le père biologique et son conjoint « ont contourné délibérément la loi québécoise et des impératifs légaux », a décrié la Procureure générale. Ils ont aussi porté atteinte à la dignité humaine, favorisant « l'instrumentalisation du corps de la femme » et « la marchandisation de l'enfant ».
La juge tranche en faveur du couple, mais somme Québec d'intervenir
Dans son jugement du 6 juillet dernier, la juge de la Cour du Québec Viviane Primeau a fait primer l'intérêt des enfants sur toutes les autres considérations.
Par conséquent, le jugement permet au conjoint du père biologique d'obtenir un consentement spécial à l'adoption. Selon Alain Roy, la juge a estimé que « l'enfant a droit à une filiation pleine et entière et [qu']on ne peut pas le pénaliser en raison des circonstances de sa naissance ».
Cette cause, comme celle opposant les conjoints de fait, « Lola contre Éric », met en lumière la nécessité de dépoussiérer le droit de la famille au Québec.
Pour Alain Roy, il faut créer un cadre juridique pour que les droits de l'enfant et ceux de la mère porteuse soient respectés.
Les tribunaux disent clairement qu'ils ne peuvent faire le travail du législateur, d'expliquer Alain Roy, qui dénonce un « statu quo extrêmement inquiétant ».
« Notre droit de la famille date de 30 ans. Il n'est pas adapté aux réalités. On en a des exemples régulièrement par des jugements des tribunaux. »
Le professeur de droit est d'autant plus exaspéré qu'il a présidé, à la demande même du gouvernement québécois, un comité consultatif du droit de la famille. Il en est ressorti un rapport de 600 pages, qu'il dit avoir rédigé « pendant deux ans, de [sa] propre main ».
Les 82 recommandations faites par le comité sont restées lettre morte. « Je ne demande pas à ce qu'elles soient adoptées en bloc, s'insurge Alain Roy, mais au moins qu'on ouvre le débat. »
Signer un acte devant le notaire avant tout chose
En ce qui a trait aux mères porteuses, le comité recommande de suivre deux voies. La première obligerait les couples désireux de s'en remettre à cette forme de parentalité à signer, au Québec, avant toute démarche, un contrat notarié.
« Le notaire expliquerait à ces [futurs] parents que la mère porteuse peut, en toute légalité, décider en cours de grossesse de se faire avorter. Qu'elle peut manger des sushis, même si ça ne leur plaît pas. Qu'elle peut décider de garder l'enfant après la grossesse. »
La démarche serait aussi balisée de façon que l'identité de la mère porteuse soit conservée dans les registres. Ainsi, l'enfant devenu majeur pourra la retrouver s'il le désire. Un aspect cher à Alain Roy, qui milite en faveur du droit des enfants adoptés de connaître leurs origines.
L'éthique, dimension cruciale dans ce débat
Le professeur de droit souhaite que ces balises éventuelles orientent les gens vers des choix éthiques.
Et, comme la réflexion sur les mères porteuses dépasse largement le Québec, il faudrait carrément une convention internationale pour protéger les droits des mères, des parents d'intention, comme on dit dans le jargon, et, bien entendu, ceux des enfants.
Le Québec et le Canada pourraient faire office de précurseur en la matière, suggère Alain Roy.
« Mais pour ce faire, il faudrait commencer par faire le ménage dans notre propre cour, ironise-t-il. [...] Mais j'ose encore croire que c'est le travail du gouvernement de s'attaquer à des dossiers sensibles. »