Amazon, Bell et la responsabilité sociale

Photo : karine Dufour
Prenez note que cet article publié en 2016 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les propos de l'entrepreneur Alexandre Taillefer sur la multinationale Amazon à Tout le monde en parle et la suspension puis le congédiement d'un animateur de radio par Bell Média à la suite de propos malheureux diffusés sur Twitter nous renvoient directement au concept de responsabilité sociale des entreprises.
Si malheureuse soit-elle, cette affaire a le mérite de nous rappeler combien les entreprises sont des entités qui ont des responsabilités, qui font partie de la collectivité et, même si elles sont en bourse et doivent livrer d'abord du rendement à leurs actionnaires, elles ne sont pas exemptées, pour autant, de bien se comporter.
Récapitulons. Dimanche, Alexandre Taillefer, dont le fils s'est enlevé la vie, se demande, à Tout le monde en parle, si Amazon n'aurait pas été en mesure de détecter les appels à l'aide de ce dernier, en mai 2015, lors d'échanges avec d'autres internautes sur la plateforme Twitch qui appartient à la multinationale depuis 2014.
Il pose la question puisque, de nos jours, les géants du web sont capables de suivre nos déplacements en ligne, nos intérêts, nos achats, nos comportements. Ils peuvent ainsi mieux cibler les propositions qu'ils nous font.
Est-ce qu'Amazon a vu les échanges du fils d'Alexandre Taillefer sur le réseau Twitch? Est-ce que l'entreprise aurait pu les voir et aurait pu ainsi lancer une alerte avant que l'irréparable ne se produise?
Lundi, sur Twitter, un animateur de radio de la station Énergie à Québec, propriété de Bell Média, a laissé entendre qu'Alexandre Taillefer rejetait la faute, totale ou partielle (il n'a pas précisé), du suicide de son fils, sur Amazon.
Le raccourci intellectuel de l'animateur, la réaction d'Alexandre Taillefer à ces propos et celle du public ont poussé Bell Média à suspendre son animateur, affirmant que ces propos ne respectaient pas le code de conduite de l'entreprise. Bell Média est allé plus loin aujourd'hui en annonçant son congédiement.
Les deux épisodes dans cette affaire nous renvoient donc à la responsabilité sociale des entreprises. Cette responsabilité dépasse les concepts de développement durable et de respect des lois du travail, dont on parle souvent, à juste titre. Mais, c'est plus que ça. La responsabilité sociale place l'entreprise comme étant un acteur social, avec des responsabilités, des devoirs, des valeurs, des privilèges et des droits.

Jeff Bezos, fondateur du groupe de distribution Amazon
Photo : Reed Saxon
La responsabilité sociale d'Amazon
Dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui, Amazon ne peut pas se contenter de se décrire comme un agent privé qui cherche à maximiser ses profits en étudiant le comportement de ses usagers. Elle est partie prenante de la société. Elle compte sur elle pour exister. Il y a donc des responsabilités qui viennent avec ce privilège.
Amazon possède des informations et ne peut pas s'en servir qu'à ses propres fins. Elle est responsable.
Comme un médecin qui voit un homme faire une crise cardiaque devant lui sur le trottoir, on peut se poser la question : est-ce qu'Amazon doit avoir l'obligation de venir en aide à une personne en difficulté? Dans la mesure où l'entreprise peut avoir accès à des informations sur les utilisateurs de ses plateformes, ce qui lui permet de cibler ses publicités et promotions en fonction du comportement d'achat des consommateurs, comment ne pourrait-elle pas être obligée d'alerter les autorités compétentes lorsqu'elle aperçoit une menace, un danger, une violence?
Elle est là, la question d'Alexandre Taillefer. Amazon n'est pas responsable de ce qui s'est malheureusement passé en décembre dernier chez les Taillefer. Mais, elle est certainement responsable de prévenir les autorités de ce qu'elle peut constater, dans la mesure où elle peut voir et détecter les comportements décrits.

(archives)
Photo : La Presse canadienne / Bell Media, Darren Goldstein
La responsabilité sociale de Bell
La responsabilité sociale d'une entreprise, c'est aussi son apport, en tant que membre de la société, à la démocratie et au débat public.
Dans le but d'attirer de l'audimat et de faire des profits, les grands groupes médiatiques osent parfois embaucher des animateurs controversés. C'est leur droit. Et je ne nommerai pas d'animateurs en particulier, vous les connaissez. Plusieurs ont tenu des propos diffamatoires, ont été poursuivis, ont perdu leur emploi, sont revenus au micro et ont tenu d'autres propos malheureux.
L'homme suspendu puis congédié par Bell Média s'est déjà adonné à la diffamation et Bell Média a jugé bon de lui redonner une émission il y a deux ans.
Ces gens sont embauchés et réembauchés par des groupes médiatiques. Bell Média est l'un de ces groupes, mais cette entreprise n'est pas la seule. Je ne veux pas me lancer dans un jugement de valeur, sur ce qui est acceptable ou pas. J'ai déjà été dans la mire de ces animateurs, je n'ai aucun compte personnel à régler.
Mais Alexandre Taillefer a clairement placé l'enjeu chez Paul Arcand mardi matin à propos de l'employé de Bell Média : « Je ne peux pas croire qu'une entreprise conserve ce gars-là derrière un micro, a-t-il dit. C'est au détriment de notre société, c'est un message négatif qu'il envoie constamment. Je ne peux pas croire que les cotes d'écoute sont suffisantes pour justifier que quelqu'un comme ça conserve un micro. »
Jusqu'où le profit justifie la diffamation, l'accusation, le propos déplacé, malheureux, triste, gratuit?
Bell Média affirme que son animateur a dépassé les bornes lundi. Mais ne l'avait-il pas déjà fait à plusieurs reprises dans le passé? Si Bell Média avait agi dans l'intérêt public, en donnant du poids à son engagement social, pourquoi alors avoir choisi de donner, en février 2014, un micro à un homme qu'elle doit congédier aujourd'hui?