Inquiétudes et dissidences face au projet de loi fédéral sur l'aide médicale à mourir

Le cardinal Thomas Collins, achevêque catholique de Toronto et représentant de la Conférence des évêques catholiques du Canada
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Le projet de loi fédéral sur l'aide médicale à mourir compromet la liberté de conscience des professionnels de la santé et place dans une situation intenable les établissements de santé confessionnels du pays, selon divers groupes qui ont tenu à exprimer leurs inquiétudes et leur dissidence vis-à-vis de ce qu'ils considèrent comme étant « l'introduction de l'euthanasie dans notre pays ».
Une conférence de presse tenue mardi à Ottawa a notamment réuni le cardinal Thomas Collins, archevêque catholique de Toronto et représentant de la Conférence des évêques catholiques du Canada, l'imam Sikander Hashmi, du Conseil canadien des imams, le rabin Reuven Bulka, ainsi que la docteure Caroline Girouard, hématologue-oncologue à l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal.
Tous estiment qu'il faut protéger les droits fondamentaux des professionnels de la santé, qui ne doivent en aucun cas être obligés à prodiguer l'aide médicale à mourir : « On vire à l'envers la pratique médicale en demandant aux médecins de mettre un terme à la vie, met en garde le rabin Reuven Bulka. Qu'importe la législation adoptée, aucun médecin ne devrait être forcé à perpétrer ce qu'on appelle, dans bien des cas, un meurtre ».
La liberté de conscience d'un médecin
Caroline Girouard accompagne depuis 20 ans « des patients atteints de cancers souvent métastatiques et par définition incurables », dit-elle. Cette hématologue-oncologue à l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal affirme qu'à l'instar de « centaines de ses collègues », elle ressent depuis le début de l'année « une menace de représailles » dans l'éventualité où elle refuserait d'accorder l'aide médicale à mourir à un patient.
La spécialiste se refuse aussi à envoyer à un autre médecin un patient qui lui demanderait ce qu'elle appelle sans ambages « une mise à mort ».
« Référer des patients à un autre médecin qui ferait leur homicide, c'est pour moi moralement de la complicité. M'obliger à organiser la référence, à monter le dossier, à remplir les formulaires pour faire accepter la demande, c'est la même chose; c'est me forcer à la complicité. »
Mme Girouard craint qu'un médecin ne soit puni, stigmatisé, voire exclu de son milieu de travail s'il refuse d'accéder à la demande d'un patient désireux de mettre fin à ses souffrances d'une manière définitive. Elle affirme que de nombreux médecins, comme elle, seront prêts à quitter leur pratique s'ils « perdent leur liberté de conscience et sont forcés de pratiquer des homicides ».
Une clause qui protège la liberté de conscience des médecins
La Dre Girouard réclame du gouvernement canadien qu'il insère, dans sa loi éventuelle, une clause « qui garantit la liberté de conscience de chaque professionnel de la santé partout au Canada ».
« Une telle clause n'enlèvera aucune liberté au patient qui pourra toujours trouver ce qu'il veut », affirme la Dre Girouard, qui pense qu'Ottawa ne doit pas laisser cette question à la discrétion des provinces. Le cardinal Thomas Collins va dans le même sens, reprochant au gouvernement de Justin Trudeau de n'avoir pas fait mention, dans son projet de loi, de la liberté de conscience des professionnels de la santé.
De plus, le cardinal Collins rappelle que l'Alliance catholique canadienne de la santé regroupe 110 établissements de santé comptant près de 18 000 lits et 60 000 employés, et que cette organisation a des valeurs et une mission qui interdisent l'aide médicale à mourir.
Certes, ces établissements catholiques sont financés à même les fonds publics, mais aucun établissement au pays n'a l'obligation d'offrir tous les services sans exception, fait valoir le cardinal Collins.
Enfin, ce dernier dit qu'il est fort possible que des patients s'en remettent à ces maisons de soins infirmiers, à ces centres pour personnes âgées et autres établissements de santé catholiques avec la conviction que là, ils ne subiront jamais de pression pour qu'on les aide médicalement à mourir.
Un message troublant pour ceux qui souffrent
« Nous sommes à un seuil. Nous exhortons à la prudence. Nous devons alléger les souffrances de toutes les façons possibles, mais jamais en mettant intentionnellement un terme à la vie de ceux qui souffrent. »
L'imam Sikander Hashmi, du Conseil canadien des imams, a expliqué qu'en faisant de la mort une solution acceptable pour mettre fin à la souffrance, on envoie un « message troublant » à ceux qui vivent en marge de la société et qui « ont besoin d'être entourés et acceptés dans notre société ».
Or, selon l'imam Hashmi, quand choisir la mort devient acceptable, il devient virtuellement impossible de protéger les gens vulnérables, ajoute en substance l'imam qui prône plutôt la recherche de moyens plus efficaces pour atténuer les souffrances et améliorer la qualité de vie des patients.
De son côté, Susan McMillan de l'Armée du Salut fait valoir qu'à l'heure actuelle environ 30 % des Canadiens seulement ont accès à des soins palliatifs de qualité.
« Avec une population vieillissante, nous savons que la demande pour ce type de soins ira en s'accroissant, dit Mme McMillan. Il ne faut pas que la mort médicalement assistée devienne le recours privilégié parce que des soins palliatifs de qualité ne sont pas disponibles. Nous encourageons les gouvernements des provinces et du fédéral à faire des soins palliatifs de qualité une priorité, à travers le pays. »
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