Pourquoi autant de suicides chez les jeunes Autochtones?

Des jeunes marchent à proximité de l'école secondaire à Attawapiskat.
Photo : CBC
La communauté autochtone d'Attawapiskat, dans le nord de l'Ontario, fait à nouveau les manchettes pour de tristes raisons. Au cours du dernier mois, une quarantaine de résidents de la communauté de 2000 habitants ont tenté de s'enlever la vie.
Cette vague de suicides ne surprend pas Gerald McKinley, professeur et chercheur à l'Université de Western Ontario, qui se penche sur la problématique depuis plusieurs années. « Malheureusement, ce n'est rien de nouveau, affirme-t-il. C'est une crise qui perdure dans un certain nombre de communautés. »
Ce qui est particulier dans cette épidémie de suicides, c'est qu'elle frappe certaines communautés, tandis que d'autres sont largement épargnées.
- À Kuujjuaq, au Québec, cinq jeunes Inuits de 15 à 20 ans ont mis fin à leurs jours entre la mi-décembre et la mi-mars.
- À Pimicikamak, au Manitoba, six personnes se sont suicidées pendant la même période.
Ses recherches auprès des Autochtones dans le nord de l'Ontario ont permis au professeur McKinley de constater de grandes disparités entre les communautés. Près de la moitié des suicides survenus entre 1991 et 2013 ont eu lieu dans huit communautés. Qui plus est, 23,5 % des suicides chez les Autochtones de l'Ontario sont survenus dans une seule communauté, Pikangikum.
Cette tendance s'explique en partie par un phénomène de contagion sociale. « Quand il commence à y avoir des suicides, on dirait qu'une épidémie se déclenche », affirme Gerald McKinley. « Le fait que quelqu'un de proche de vous se suicide, en particulier pour les jeunes, fait augmenter votre risque de suicide pendant un an. »
Le taux de suicide des Autochtones est largement supérieur à celui de la population canadienne. Il varie cependant beaucoup d'une communauté à l'autre. Chez les jeunes Autochtones, le taux de suicide est cinq ou six fois plus élevé que chez les autres Canadiens.
Quelles sont les causes?
Le Bureau du coroner en chef de l'Ontario s'était déjà penché, en 2011, sur le cas de Pikangikum, où 16 enfants et jeunes âgés de 10 à 19 ans se sont suicidés entre 2006 et 2008. Son constat est sans appel :
« L'absence d'un système intégré de soins de santé, la piètre qualité de l'éducation par rapport aux normes provinciales et la quasi-inexistence d'infrastructures s'ajoutent à la toile de fond de colonialisme, de racisme, de manque d'autodétermination et d'exclusion sociale découlant de l'état critique dans lequel se trouvent les Premières Nations depuis longtemps, notamment en raison des effets des pensionnats. »
« Tous ces éléments alimentent la perturbation des jeunes, qui semblent exister dans un état dysphorique, pris au piège entre les traditions et la culture des Premières Nations leur venant de leurs ancêtres, et la société contemporaine, pour laquelle ils sont mal outillés. »
Les maux qui affligent cette communauté isolée du nord de l'Ontario se retrouvent dans bien d'autres communautés autochtones.
La pauvreté, le manque d'opportunités, la surpopulation et l'insécurité alimentaire influent sur l'état de santé des résidents de ces communautés et sur leur niveau de détresse psychologique.
« Il est clair que les régions éloignées sont beaucoup plus à risque en raison du manque de ressources », soutient Sarah Fraser, professeure adjointe à l'École de psychoéducation de l'Université de Montréal. Elle insiste justement sur l'importance d'avoir des intervenants spécialisés pour aider les communautés en permanence et non seulement lors d'une crise.
Des pistes de solution
En revanche, l'autogouvernance semble être un facteur qui protège les communautés.
Des recherches en Colombie-Britannique démontrent que les communautés ayant la possibilité de s'autogouverner ont des taux de suicide inférieurs à la moyenne.« Ces communautés peuvent avoir des taux très faibles pour ce qui est de la détresse psychologique et du suicide alors que les communautés qui ont moins de possibilités de gouvernance communautaire ont des taux de 10 à 20 fois supérieurs à la norme canadienne », explique Mme Fraser.
« Quand on parle d'intervention, il faut absolument que ce soit multifactoriel », soutient Sarah Fraser. « Il faut s'attaquer à tout ce qui est socio-économique, mais aussi travailler sur des activités de mobilisation communautaire, en mettant l'accent sur la culture et l'identité. »
« Il n'y a pas de recette miracle. C'est un processus très long et qui requiert énormément d'individus à plusieurs niveaux. »
Pour Marjolaine Sioui, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, la communauté doit absolument être au cœur du processus. « Ce sont eux qui savent ce dont ils ont besoin », soutient-elle.
« Si les programmes et initiatives ne sont pas faits en collaboration avec les Premières Nations et si ceux-ci ne sont pas partie prenante de ces décisions, on va perpétuer un système qui ne répond pas aux besoins, et les solutions qui seront mises de l'avant ne seront pas durables », affirme Mme Sioui.
Gerald McKinley, quant à lui, croit qu'il faut avant tout s'attaquer aux causes sous-jacentes du phénomène. « On peut travailler pour bâtir la résilience des jeunes, comme plusieurs le font partout au pays, mais si on ne s'attaque pas au problème des logements, de l'eau et de l'insécurité alimentaire, alors on ne pourra pas gagner la bataille. »
« Régler ce problème va exiger de l'argent et des efforts. Ce n'est pas juste cette semaine qu'il faut y prêter attention. Ça doit être un dialogue permanent au Canada. »