Les leçons de l'affaire Shafia

Quatre ans après l’affaire Shafia, quelles leçons la DPJ a-t-elle tirées de ce quadruple meurtre? Des changements ont lieu dans la façon d'aborder tous les aspects de la violence liée à l'honneur, explique Anne Louise Despatie.
Photo : Radio-Canada
La condamnation de Mohamad Shafia, de sa femme, Tooba Yahya, et de leur fils Hamed pour le meurtre des trois adolescentes de la famille et de leur belle-mère a fait sortir de l'ombre la violence liée à l'honneur.
De sept signalements reçus entre 2010 et 2012, la Direction de la protection de la jeunesse de Montréal est passée à une trentaine de signalements liés à ce problème l'an dernier.
« Ce drame, qui a bouleversé l'ensemble du Québec, a mis en lumière l'incompréhension collective qu'on avait de cette réalité-là. »
Nouvelles pratiques pour les intervenants de la DPJ
À l'époque, un signalement concernant Sahar Shafia auprès du Centre jeunesse anglophone, puis un deuxième dans le réseau francophone au sujet de sa soeur Zainab n'avaient pas été relayés. Peu de temps après, les DPJ se sont dotées d'un registre provincial. Le partage d'informations entre les deux réseaux aurait sonné l'alarme et peut-être sauvé quatre vies en 2009. Ironiquement, cette centralisation était déjà prévue avant la mort des filles, mais bien d'autres façons de faire ont été changées depuis.
Les DPJ se sont inspirées de ce qui se fait ailleurs par rapport aux crimes d'honneur, notamment au Royaume-Uni. Les intervenants ont maintenant une formation spéciale, une vingtaine d'indicateurs de risques et un guide des pratiques pour répondre aux adolescentes menacées, mais aussi pour amener des changements chez les parents.
« Les enjeux d'honneur, ce n'est pas en lien avec une communauté, avec une religion. C'est vraiment en lien avec les valeurs patriarcales, avec un contrôle excessif des hommes sur la vie, sur le corps et sur la sexualité des femmes. Et c'est de ce contrôle excessif là qu'on doit protéger l'enfant. Ce n'est pas dans la majorité des cas, de là l'importance de bien comprendre pour mieux ajuster nos interventions. »
Pour aider les intervenants, le projet de loi 59 veut permettre à la DPJ de se soustraire à l'obligation de tout dire aux parents. Dans les situations de violence liées à l'honneur, il pourrait être pertinent de garder certaines informations confidentielles.
« Si une adolescente nous fait part des craintes qu'elle a et qu'on en parle avec les parents sans qu'elle se sente protégée, elle risque de se rétracter par la suite. »
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Pour Lida Aghasi, du Centre social d'aide aux immigrants (CSAI), les questions d'honneur sont encore tabou. « Depuis plusieurs années, on voyait déjà des cas parmi certaines familles, des mariages forcés et des situations qui engendraient des malaises auprès des intervenants qui ne savaient pas comment réagir... C'est un sujet très sensible et souvent les familles, les victimes, ne veulent pas en parler, ne veulent pas dénoncer », explique madame Aghasi.
Grâce à une subvention fédérale, le CSAI a préparé des outils à l'intention des intervenants qui accueillent les nouveaux arrivants. Mais il faudrait poursuivre le travail maintenant auprès des écoles et des victimes.
« Ce serait dommage d'attendre un autre cas Shafia pour relancer un autre projet », conclut Lida Aghasi.