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Préoccupations déontologiques après la mort d’un patient à qui on a refusé des soins à St. Mary

L'Hôpital St Mary, à Montréal

L'Hôpital St Mary, à Montréal

Photo : Sabrina Marandola/CBC

Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2016 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Un médecin a le devoir absolu de donner des soins d'urgence pour sauver une vie, et les coupes dans le réseau de la santé ne sont sûrement pas une raison pour l'en empêcher, martèle l'avocat spécialisé en droit médical Jean-Pierre Ménard en réaction à la mort d'un patient de l'Hôpital St. Mary de Montréal, en novembre dernier, à qui on avait refusé une opération pour une rupture de l'aorte.

La direction de l'hôpital avait récemment demandé à son chirurgien vasculaire de cesser de mener certaines opérations pour des raisons administratives et budgétaires. Le patient qui nécessitait les soins après s'être présenté, le 2 novembre, est mort lors de son transfert au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), au site Glen.

En entrevue au quotidien The Gazette, le chirurgien vasculaire en question, Carl Emond, affirme qu'il avait reçu l'ordre à trois reprises depuis juillet de la part de gestionnaires de l'hôpital et du CSSS de l'Ouest-de-l'Île de ne plus effectuer de telles opérations d'urgence. Il dit en détenir les preuves.

Quelque 130 travailleurs de la santé de l'hôpital ont d'ailleurs envoyé une lettre à l'administration à la mi-novembre pour condamner la décision – prise sans qu'ils aient été consultés, arguent-ils – de ne plus effectuer de chirurgie vasculaire et qui a, selon eux, contribué au décès du patient le 2 novembre.

En entrevue à CBC plus tôt cette semaine, Benoit Morin, le directeur du CSSS de l'Ouest-de-l'Île qui est responsable de l'Hôpital St. Mary, soutient que le Dr Emond avait pourtant le droit de faire cette opération d'urgence, même si la responsabilité pour ce genre d'opération avait récemment été confiée à d'autres hôpitaux, nommément le CUSM et l'Hôpital général juif.

« Le patient doit recevoir des soins »

Selon le juriste Jean-Pierre Ménard, interviewé jeudi à l'émission Gravel le matin, le patient était en droit de recevoir des soins.

« Le médecin ne peut jamais faire primer les règlements de l'hôpital sur ses obligations déontologiques. Et l'obligation en question est celle de porter secours à quelqu'un dont la vie est en péril. Le médecin a l'obligation absolue de prendre des mesures », a-t-il dit.

Me Jean-Pierre Ménard (archives)
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Me Jean-Pierre Ménard

Photo : ICI Radio-Canada

« Ici, on a quelqu'un qui a une rupture d'anévrisme. C'est une urgence absolue et immédiate. On a trente minutes pour intervenir. À ce moment, on a un médecin qualifié, un bloc opératoire disponible, on a une équipe. Normalement, cette personne avait le droit d'être traitée », a poursuivi Me Ménard.

L'administration de l'hôpital est aussi à blâmer dans cette histoire, et son justificatif ne tient pas la route, selon lui.

« La loi oblige un hôpital à fournir des services d'urgence, peu importe les ressources. Même si on est en restriction budgétaire, si on a la capacité physique de fournir les choses, on doit fournir le service. L'hôpital ici, en interdisant aux médecins de faire ces choses, les place dans des situations impossibles parce qu'il les oblige à enfreindre leurs obligations déontologiques », a-t-il expliqué.

« C'est clair que le patient ou ses héritiers pourraient avoir un recours contre l'hôpital et éventuellement même contre le médecin, parce que le Collège a été bien clair, le médecin doit faire primer ses obligations déontologiques sur les règlements de l'hôpital », juge-t-il.

L'avocat spécialisé craint que ne se produisent d'autres cas semblables. « On voit dans le réseau une réduction de l'offre de service. Ce genre de situation va certainement se reproduire ailleurs », croit-il.

Le fil des événements

Le patient, que The Gazette identifie comme étant le réalisateur, producteur et scénariste Mark Blandford, 73 ans, s'est présenté à l'urgence de l'hôpital, souffrant de douleurs abdominales, selon le directeur du CSSS de l'Ouest-de-l'Île Benoit Morin. On l'a placé en salle d'attente, puisque ses signes vitaux étaient normaux. Il a par la suite perdu conscience. L'imagerie médicale montre une rupture d'anévrisme (anévrisme de l'aorte abdominale), un état critique qui commande une intervention immédiate.

Le Dr Emond, le seul chirurgien vasculaire de l'établissement qui compte 30 années d'expérience à St. Mary, est alors appelé sur les lieux.

Ce dernier a toutefois refusé d'effectuer l'opération, disant qu'il n'en avait plus le droit sur ordre de l'hôpital, et le patient a été transféré en ambulance au CUSM. M. Blandford décède avant de pouvoir subir une opération dans cet établissement.

Lors d'une conférence de presse lundi, le CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île avance que le patient en question serait sans doute mort même si une chirurgie avait été tentée. Selon le CIUSSS, qui cite la littérature scientifique, le taux de décès d'un anévrisme de l'aorte abdominale est de 80 à 90 %, même si une opération est effectuée.

Or, selon un ex-urgentologue de St. Mary consulté par CBC, Gerald Van Gurp, une revue de la littérature faite par une équipe néerlandaise parle plutôt d'un taux de 48 %.

Benoit Morin soutient pour sa part que la décision de ne pas aller de l'avant avec l'opération résidait seulement entre les mains du Dr Emond.

« Il avait tous les privilèges à St. Mary », dit-il. Selon M Morin, la directive de St. Mary de transférer ce type d'opération à un hôpital de troisième ligne n'affecte en rien les privilèges de médecin du Dr Emond.

Le Dr Emond affirme qu'en juin dernier, la chef du département de chirurgie l'a informé qu'il n'avait plus le droit d'effectuer de chirurgies de l'aorte abdominale, à la suite d'une décision de la directrice des services professionnels du CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île, Louise Ayotte, rapporte The Gazette. De même, depuis le 1er janvier, il n'a plus le droit de faire de chirurgie de la carotide. Il ne peut désormais qu'effectuer des chirurgies des varices et des fistules artérioveineuses pour les dialyses.

Dans une lettre envoyée au personnel de St. Mary le 23 novembre, Louise Ayotte avance que la réorganisation du réseau de la santé du gouvernement Couillard et les réductions budgétaires ont mené à la décision d'abandonner certaines chirurgies vasculaires. Ceci crée un « un contexte difficile pour tous », selon la lettre, dont CBC a obtenu copie. M. Ayotte s'excuse par ailleurs auprès du personnel de ne pas l'avoir consulté adéquatement à ce sujet.

Benoit Morin affirme que le comité d'évaluation de l'acte du Collège des médecins se penche sur les événements du 2 novembre. Il affirme par ailleurs avoir discuté de la situation en décembre avec le personnel de St. Mary, incluant le Dr Emond.

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