La bibliothèque souterraine

Photo : Stéphane Blais
Al vit dans la rue depuis une vingtaine d'années. Cet ancien militaire, qui se veut très discret sur son passé, refuse de nous accorder une entrevue. Toutefois, il accepte d'expliquer ce qui l'a poussé à créer une petite bibliothèque dans un passage souterrain de la rue Simcoe, à Toronto : « Je lis un nouveau livre tous les deux jours. Des passants qui ont remarqué mon intérêt pour la littérature ont commencé à m'apporter des livres. Comme j'en ai beaucoup, j'ai décidé de créer une bibliothèque. »
Son copain Elwin, qui a élu domicile du côté est du tunnel - Al vit du côté ouest - a décidé de créer sa propre bibliothèque avec le surplus de livres d'Al. Comme l'indique l'affiche qu'il a faite sur une boîte de carton, la bibliothèque s'appelle The east side Simcoe Library. Lorsque je le rencontre, l'Acadien de 52 ans, assis sur les couvertures qui lui servent de lit, a le nez plongé dans Persian Fire, un ouvrage historique sur le choc entre l'Empire perse et les cités grecques.
Tous les deux, on aime particulièrement les livres historiques, et je suis aussi un amateur de romans policiers.
Il dit qu'il n'y a pas si longtemps, il passait beaucoup de temps dans les bibliothèques municipales, mais que « les gardiens de sécurité le harcelaient » et lui demandaient toujours de quitter les lieux. Quand Al est arrivé avec cette idée de créer une bibliothèque, il a vu l'occasion d'assouvir sa passion pour la littérature sans se faire déranger.

Alors que l'on discute, une dame passe avec son enfant, jette un oeil sur les bouquins et laisse tomber quelques pièces de monnaie.
« Certaines personnes croient que l'on fait ça pour faire de l'argent, mais ce n'est pas le cas. », dit Elwin.
On souhaite seulement que les passants prennent les livres, les ramènent à la maison et, en échange, en rapportent des nouveaux : on veut que les livres circulent.
La bibliothèque d'Al contient une quarantaine de livres, des romans comme Cinquante nuances de Grey, mais aussi des livres pour enfants, des ouvrages sur la politique et des biographies de personnages historiques ainsi que quelques DVD. La bibliothèque d'Elwin, elle, qui est toute neuve, a une vingtaine de titres pour l'instant : « J'aimerais avoir une cinquantaine de livres en permanence, mais pas davantage, car si les autorités nous demande de quitter les lieux, on peut tout mettre dans un chariot d'épicerie et déguerpir. »
Il dit que plusieurs sans-abri empruntent leurs livres : « Les sans-abri n'ont pas de radio, ni de télévision ou de téléphones intelligents; les livres nous permettent de nous évader. »

Pour Elwin, les livres sont une façon de voyager et d'entrer en contact avec son environnement immédiat : les piétons s'arrêtent, prennent des photos, posent des questions et repartent parfois avec un livre. Mais plus que tout autre chose, ces bibliothèques semblent être des prétextes pour susciter des échanges entre les passants et des gens qui, bien souvent, échappent aux regards.