Comment la crise d'Oka a transformé le travail des policiers

Des Mohawks autour de la barricade érigée lors de la crise d'Oka, en 1990
Photo : PC/Ryan Remiorz
Ce que l'on retient de la crise d'Oka, ce sont généralement des images de barricades, de Mohawks masqués, la mort du caporal Marcel Lemay et l'intervention de l'armée canadienne. Pour les policiers de la Sûreté du Québec, il s'agit d'une intervention qui a tourné au cauchemar et qui a changé les façons d'intervenir en milieu autochtone.
« La Sûreté du Québec en a pris pour son rhume, si vous me passez l'expression », admet Jean-Pierre Gariépy, qui était inspecteur en poste lors du déclenchement de l'opération policière visant à démanteler les barricades érigées dans la pinède, à l'ouest d'Oka, le 11 juillet 1990.
Ce matin-là, une centaine de policiers du groupe d'intervention de la SQ ont tenté de mettre un terme à l'occupation considérée comme illégale de la pinède, un territoire qui appartenait à la municipalité d'Oka, mais qui faisait l'objet - et fait toujours l'objet - de revendications territoriales de la part des Mohawks de Kanesatake.
Les occupants de la pinède, appuyés par des guerriers armés, ont répliqué par un coup de feu. L'échange de tirs qui s'est ensuivi a entraîné la mort du caporal Marcel Lemay, du groupe tactique d'intervention de la SQ. Les policiers ont battu en retraite, et c'est là que s'est déclenchée une crise qui a duré 78 jours.
L'armée canadienne est venue en aide aux policiers après 41 jours de siège. Environ 3000 militaires sont déployés à Kanesatake et près de Kahnawake pour dénouer la crise. Le pont Mercier sera rouvert après tout près de deux mois de fermeture.
« Il s'en est suivi qu'on n'a jamais arrêté celui qui a tué Marcel Lemay. Il s'en est suivi de grandes manifestations à Châteauguay avec 87 policiers qui ont été blessés un soir », ajoute Jean-Pierre Gariépy.
« Oka a été l'occasion d'une grande, grande réflexion sur le devenir d'intervention de la police. À mon avis, l'amorce s'est faite là. »
Le rapport Gilbert
Le coroner Guy Gilbert, qui a enquêté sur la crise d'Oka, a produit un rapport accablant pour la SQ, dans lequel il évoque « la confusion et l'ignorance dans laquelle cette décision-là a été prise à la Sûreté du Québec ».
Il souligne l'échec de l'intervention, ainsi que la déroute des policiers. Surtout, le coroner en vient à la conclusion qu' « il n'y avait pas d'urgence à intervenir cette journée-là, l'intervention n'était pas justifiée ».
Il rappelle que des informations indiquant que des guerriers lourdement armés faisaient partie des occupants de la pinède circulaient. L'un des individus chargés de renseigner l'état-major de la SQ, quelques heures avant l'intervention, leur a signalé qu'il « n'irait pas là ».
« Face à la crise d'Oka, dont l'intervention policière fait partie, les Québécois ont tout simplement manqué de gouvernement. »
Il fera 23 recommandations à l'état-major de la SQ, de même qu'au ministère de la Sécurité publique. Parmi celles-ci, il propose la formation d'un groupe de personnes avisées, dont les réflexions serviront à éclairer le ministre de la Sécurité publique.
Il propose aussi que les policiers s'assurent de la justification légale de leurs interventions et de revoir les procédures de préparation des plans d'intervention. La SQ et le ministère adopteront plusieurs de ces recommandations.
Les méthodes policières revues
Selon Jean-Pierre Gariépy, l'un des principaux héritages de la crise d'Oka a été la création d'un réseau d'agents de liaison dans les communautés autochtones. « Tu prends le pouls de la communauté », explique-t-il.
« S'il y a des situations qui deviennent ou ont apparence d'être explosives [...], la liaison peut porter ça aux bons endroits et on met en place les outils pour éviter qu'une crise se propage. »
De son côté, Daniel Jacques a occupé pendant cinq ans le poste de directeur des mesures d'urgence à la Sûreté du Québec.
« Ces recommandations [du coroner Gilbert] font partie aujourd'hui, même 25 ans plus tard, de la base fondamentale de la prise de décision d'intervention, dans la prise de décision stratégique au niveau des opérations », explique-t-il.
« Le premier élément, c'est de bien s'assurer du cadre juridique qui régit les actions policières dans le cadre d'un conflit », poursuit Daniel Jacques.
« Et ensuite, définir quelle est la nécessité de la police d'agir. Ce n'est pas parce qu'un policier a le pouvoir d'agir qu'il doit nécessairement agir. »
Le ministère de la Sécurité publique a, lui aussi, tiré des leçons de la crise d'Oka.
« Dans tous les ministères du gouvernement du Québec, on a des coordonnateurs aux affaires autochtones », explique Richard Coleman, directeur principal de la sécurité dans les palais de justice et des affaires autochtones et du Nord au ministère de la Sécurité publique.
« Nous, au ministère, avons une équipe multidisciplinaire qui travaille très fort à prévenir des situations, à intervenir lors de défis ou de crises appréhendées, où les autres ministères n'ont pas pu en venir à une entente », conclut Richard Coleman.
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