La destruction des milieux humides menace la région de Montréal

Des travaux dans le boisé Maricourt de Longueuil, qui abrite de nombreux milieux humides
Photo : Courtoisie
Risques d'inondations, baisse de la qualité de l'eau, prolifération d'espèces envahissantes... la disparition des marécages, marais et autres tourbières sous le poids du développement urbain a des conséquences graves. Des maires de la Rive-Sud se querellent même à ce sujet, pendant que le gouvernement provincial tarde à légiférer.
À 15 minutes du pont Jacques-Cartier, du côté de Longueuil, le boisé du Tremblay renferme quelque chose de rare si près de la métropole : un marais.

Si Jacques Cartier lui-même pouvait se promener en 2015 dans la région, il constaterait que 85 % des milieux humides de son époque ont disparu. Et une partie de ceux qui subsistent est perturbée.
Malgré tout, le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques [MDDELCC] continue de donner son accord à la destruction de ces milieux, même dans des zones où ils ont presque complètement disparu. À Laval, 50 % des milieux humides ont disparu en 10 ans.
Pour consulter sur votre appareil mobile la carte des milieux humides qui subsistent autour de chez vous, cliquez ICI (Nouvelle fenêtre).
Selon des documents obtenus par Radio-Canada grâce à la loi d'accès à l'information, Québec autorise en moyenne deux destructions de milieux humides chaque semaine dans la région de Montréal.
Nombre de certificats d'autorisation délivrés pour la destruction de milieux humides entre le 1er mars 2013 et le 16 octobre 2014 [source : MDDELCC]
- Montréal : 12
- Laval : 15
- Lanaudière : 34
- Laurentides : 35
- Montérégie : 57 (données jusqu'au 20 août 2014, seulement)
« Le ministère est devenu une machine à autoriser les travaux », déplore le militant de Longueuil Tommy Montpetit, qui se bat pour protéger les milieux humides du boisé Maricourt, dont une partie a été détruite, avec l'aval du gouvernement, pour préparer les infrastructures d'accueil du nouveau siège social d'Agropur.
« Pourquoi choisir un milieu humide [pour du développement], alors qu'il y a des terrains vacants contaminés ailleurs? Bien sûr : c'est beaucoup plus facile et ça coûte beaucoup moins cher que de décontaminer »
Le ministère de l'Environnement reconnaît qu'il autorise la grande majorité des demandes, mais le directeur régional par intérim pour la Montérégie, Daniel Leblanc, tient à préciser qu'il refuse aussi des demandes « quand les milieux touchés ont un intérêt à la conservation ». Il ajoute que, « dans plusieurs dossiers », le ministère parvient « à convaincre les promoteurs de minimiser l'impact sur le milieu humide et en toucher seulement une partie ».
Le ministère de l'Environnement précise également que 90 % des demandes de certificats d'autorisation pour des destructions de milieux humides visent des espaces de moins de 5 hectares [7 terrains de football] et même la moitié sont en dessous de 0,5 hectare. Par ailleurs, les promoteurs ont l'obligation de compenser la destruction en conservant un autre milieu naturel.
Le gouvernement du Québec et l'agglomération de Longueuil se sont entendus pour protéger les boisés de Brossard, de Boucherville et celui du Tremblay, à Longueuil, et tenter de les interconnecter grâce à des corridors écologiques. « La Ville de Longueuil a indiqué qu'elle va bonifier ce plan de conservation dans les prochains mois », explique Daniel Leblanc.
Querelle entre Longueuil et Saint-Bruno
« C'est proprement mal élevé ». C'est ainsi que le maire de Saint-Bruno, Martin Murray a qualifié la requête de la Ville voisine de Longueuil qui lui demandait de retirer un milieu humide de son plan de protection. Selon ce que rapporte le Journal de Saint-Bruno, l'administration de Caroline St-Hilaire a adressé un courrier pour demander à Saint-Bruno de repousser l'officialisation du statut de protection pour le boisé de Maricourt où plusieurs projets de développement sont à l'étude.
« Tout le monde se gargarise en indiquant l'importance de préserver l'environnement, il va être temps de passer aux actes. Il faut que les maires se parlent franchement sur la question »
Les bienfaits des milieux humides
Marais, marécages, étangs ou tourbières, ces milieux sont comme des reins pour la nature. Ils filtrent et font office de tampon. Le professeur au département des sciences naturelles et à l'Institut des sciences de la forêt tempérée de l'Université du Québec en Outaouais, Jérôme Dupras, explique que les milieux humides permettent de prévenir autant les inondations que les sécheresses, de réguler les débits d'eau, et de prévenir la prolifération d'espèces envahissantes, sans compter qu'il s'agit de milieux riches en espèces animales et végétales.
« Il ne faut plus que ces milieux soient vus comme une contrainte, mais comme un avantage », explique le professeur Dupras. Une partie de sa recherche consiste à évaluer le coût économique de la destruction des milieux naturels. Dans son livre Nature et économie, à paraître le 2 juin, il estime à 235 millions de dollars par année, la perte pour la région de Montréal en raison de la disparition des milieux naturels.
« Les grandes inondations en Montérégie en 2011 ont coûté plusieurs dizaines de millions de dollars, et on l'attribue beaucoup à la perte de milieux humides en abord des rivières qui jouaient ce rôle de tampon pour la prévention des crues et la perte d'espace de liberté de ces rivières là »
Dix ans après Thomas Mulcair
Lorsqu'il était ministre libéral provincial du développement durable, l'actuel chef du NPD s'était engagé à changer la loi pour protéger les milieux humides dans le sud du Québec. Dix ans après son départ précipité du cabinet, aucun des ministres qui ont suivi n'a légiféré.
L'actuel ministre David Heurtel avait jusqu'au 25 avril 2015 pour clarifier quels milieux humides doivent être protégés en priorité, mais il a préféré repousser l'échéance de deux ans.
Pour consulter la carte des destructions de milieux humides autorisées récemment à Laval et Montréal, cliquez ICI (Nouvelle fenêtre).