Inconduites sexuelles dans l'armée : un rapport accablant

Le général et chef d'état-major des Forces canadiennes, Tom Lawson
Prenez note que cet article publié en 2015 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La culture des Forces armées canadiennes (FAC) est « hostile aux femmes » et aux minorités sexuelles, ce qui la rend « propice aux incidents graves que sont le harcèlement sexuel et l'agression sexuelle », conclut la juge à la retraite Marie Deschamps dans un rapport accablant dévoilé jeudi. Le chef d'état-major de la Défense, Tom Lawson, annonce du coup que l'armée va se doter d'un plan d'action pour contrer les cas de comportements sexuels inappropriés.
Le rapport, rédigé par Mme Deschamps au terme d'une enquête indépendante menée l'an dernier, est sans appel.
« Il ne suffit pas de revoir les politiques ou de répéter le mantra de la "tolérance zéro" », écrit-elle. « Les dirigeants doivent reconnaître que l'inconduite sexuelle est un problème grave et bien réel pour les Forces armées canadiennes, et qu'ils doivent y voir personnellement, directement, et de façon soutenue. »
Elle soutient que son travail lui a permis de constater « qu'il règne un climat de sexualisation au sein des FAC, particulièrement parmi les recrues et les militaires du rang, caractérisé par la profération fréquente de jurons ou d'expressions très humiliantes faisant référence au corps des femmes, de blagues à caractère sexuel, d'insinuations ou de commentaires discriminatoires portant sur les compétences des femmes et par des attouchements sexuels non sollicités. »
Outre ce « climat de sexualisation », elle dit avoir relevé « des cas d'obtention de services sexuels en contrepartie de faveurs », mais aussi « des situations d'agression sexuelle, dont des cas de relations douteuses entre des femmes subalternes et des hommes de grade supérieur, et de viol par une connaissance », et même des cas où « le recours au sexe mettait en évidence le renforcement d'une relation de pouvoir et la volonté de punir et ostraciser un membre d'une unité. »
Les militaires, déplorent-elles, « semblent s'habituer à cette culture de la sexualisation à mesure qu'ils gravissent les échelons ». Les sous-officiers, par exemple, « semblent être généralement désensibilisés » à cette culture, tandis que les officiers « ont tendance à tolérer les cas de comportement sexuel inapproprié, parce qu'ils estiment que les Forces armées canadiennes ne font que refléter la société civile. »
Plusieurs membres sont convaincus que les sous-officiers supérieurs imposent une culture du silence ayant pour effet de dissuader les victimes de signaler l'inconduite sexuelle qu'elles ont subie. Devant de telles attitudes, les subalternes sont nombreux à avoir l'impression que les membres de la chaîne de commandement excusent les comportements sexuels inappropriés ou qu'ils sont prêts à fermer les yeux sur les incidents qui y sont liés.
Mme Deschamps note en outre qu'il existe « un déficit de signalement » pour les cas d'inconduites sexuelles dans l'armée. Elle souligne que les victimes craignent des répercussions – entrave à l'avancement, mutation à une nouvelle unité – s'ils signalent de tels cas. Elle note aussi « la crainte profonde que la chaîne de commandement ne prenne pas les plaintes au sérieux ».
Elle souligne aussi que la formation obligatoire en matière de comportements sexuels interdits est « peu crédible et, de surcroît, elle entretient la perception que les Forces armées canadiennes ne prennent pas au sérieux le problème du harcèlement sexuel et de l'agression sexuelle ».
Elle recommande à l'armée de créer un centre indépendant qui recevrait et traiterait les plaintes, et qui s'assurait aussi d'offrir des activités de prévention et de soutien aux victimes.
Le rapport de la juge Deschamps a été commandé après que des reportages citant plusieurs victimes présumées eurent semé une onde de choc au sein des Forces armées canadiennes, l'an dernier. Le ministère de la Défense a ordonné une enquête interne, mais le chef d'état-major a aussi réclamé un examen externe, certaines victimes n'osant pas se confier dans le cadre de la première révision.
Mme Deschamps a donc mené une série d'entrevues dans la deuxième moitié de 2014. Pas moins de 700 personnes, de partout au pays, ont collaboré à l'examen.
Une réponse en quatre points
Le chef d'état-major Tom Lawson dit reconnaître qu'un comportement exemplaire fait partie des obligations des membres des Forces.
Son plan d'action, déposé en réponse au rapport de Mme Deschamps, comporte quatre aspects : comprendre la problématique, réagir, soutenir les victimes et prévenir les comportements sexuels inappropriés.
Il admet que le premier point pourrait être le plus ardu à réaliser. Il veut que les Forces établissent rapidement des contacts avec un large éventail d'intervenants, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du personnel des Forces. Son plan vise aussi, entre autres, à mettre en place un programme de prévention efficace.
Tom Lawson précise que les comportements sexuels inappropriés au sein des Forces constituent une menace pour les principes fondamentaux de la culture militaire canadienne. « Nous avons devant nous une tâche difficile, mais les normes de conduite justifient cet effort », précise-t-il.
Ce n'est cependant pas lui qui mettra le plan en application, puisqu'il prendra sa retraite sous peu. John Vance lui succédera au cours des prochaines semaines.
Avec les informations de Martin Bégin