Voile intégral : comment s'y prennent les États pour légiférer?

Une femme portant le niqab
Photo : AFP / FRED DUFOUR
Les échanges houleux aux Communes entourant le port du niqab au cours des cérémonies d'assermentation ont ravivé le débat sur la place du voile intégral dans la sphère publique. Au Canada comme ailleurs, les approches réglementaires et législatives, ainsi que les justifications qui les sous-tendent, sont très variées. Tour d'horizon.
FRANCE
La France a été en 2010 le premier pays occidental à interdire dans l'espace public le port de la burqa – un vêtement qui couvre tout le corps, un grillage dissimulant les yeux – et du niqab – un vêtement qui recouvre le visage à l'exception des yeux –, que ce soit dans la rue, dans les parcs, les commerces, les gares ou les institutions publiques. Elle a été suivie l'année d'après par la Belgique (Nouvelle fenêtre).
Les musulmanes françaises ne peuvent donc plus « dissimuler leur visage » en public, sous peine d'une amende de 150 euros (200 $) ou d'un stage de citoyenneté. Cette mesure touche de 2000 à 3000 femmes portant la burqa ou le niqab dans ce pays.
La loi prévoit également une peine d'un an de prison et une amende de 30 000 euros (40 400 $) pour tout homme qui contraindrait une femme à se voiler. La peine est doublée si la personne contrainte est mineure.
Le président Nicolas Sarkozy avait déclaré en 2010 que le voile intégral constituait une « atteinte à la dignité des femmes » et était « le signe d'un repli communautaire et d'un rejet de nos valeurs ».
La France, pays laïque par sa Constitution, contraignait déjà ses fonctionnaires, y compris ses enseignants, à afficher une neutralité religieuse. Il est donc interdit pour une fonctionnaire de porter le foulard islamique (hidjab), par exemple. Cette interdiction a été étendue en 2004 aux élèves des écoles publiques, mais ne s'applique pas dans les universités.
Le port du voile intégral ou même du hidjab continue de soulever des questions au travail, notamment dans le milieu des garderies. Une employée d'une garderie associative a été renvoyée en 2008 pour avoir refusé d'enlever son hidjab au travail, comme l'exigeait le règlement. Elle a par la suite contesté la décision en cour, disant être victime d'« une discrimination en raison des convictions religieuses ». La cour a confirmé son renvoi en 2013 et en 2014. Depuis, les députés français se penchent sur la question : faut-il une loi pour interdire le port du hidjab dans les garderies?
ROYAUME-UNI
Aucune interdiction n'existe au Royaume-Uni – berceau du multiculturalisme – concernant le port de la burqa ou du niqab.
Néanmoins, les écoles ont le droit de définir un code vestimentaire qui peut interdire le port de ces vêtements.
Par ailleurs, une femme devant témoigner en cour peut être contrainte de le faire à visage découvert dans certaines circonstances, selon un jugement rendu en 2013.
Dans le milieu politique, à l'extrême droite, le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) prône l'interdiction du niqab et de la burqa dans certains lieux publics, une mesure qui reçoit l'appui de certains députés conservateurs.
Les parlementaires britanniques ont toujours hésité à légiférer sur cette question. En 2010, le ministre travailliste Ed Balls disait qu'il ne serait « pas britannique » de dire aux gens quoi porter et ne pas porter dans la rue, un principe réitéré par le gouvernement conservateur de David Cameron.
Néanmoins, en septembre 2013, le ministre libéral-démocrate Jeremy Browne a appelé à la tenue d'un « débat national » sur la place de ces vêtements dans les lieux publics, dont les écoles.
Le niqab est porté avec le hijab. Il recouvre complètement le visage et permet à peine d'entrevoir les yeux.
Le hidjab est un foulard avec lequel certaines musulmanes se couvrent les cheveux, les oreilles et le cou.
La burqa (ou tchadri) est un voile intégral qui couvre entièrement la tête et le corps, avec une grille en toile au niveau des yeux. Habituellement bleue ou marron, elle est portée par les musulmanes en Afghanistan et au Pakistan.
Le tchador est un tissu drapé autour de la tête, laissant le visage à découvert. Il est attaché à la taille et maintenu fermé avec les mains. C'est le vêtement islamique porté notamment en Iran.
CANADA
À l'instar du Royaume-Uni, le Canada n'interdit pas le voile intégral dans les lieux publics. Toutefois, certaines exceptions méritent d'être soulignées.
En 2007, lors des élections provinciales au Québec, le directeur général des élections, en réponse aux pressions exercées par les trois principaux partis politiques, a décrété qu'une femme ne pouvait voter à visage couvert (Nouvelle fenêtre), une règle qui reste en vigueur pour les élections provinciales.
Au fédéral, toutefois, il est toujours possible pour les électrices portant le niqab, par exemple, de voter.
Quelques années plus tard, le gouvernement libéral de Jean Charest a tenté, avec le projet de loi 94, de forcer la prestation et la réception de services à visage découvert dans l'appareil public. Cette mesure n'a pu être adoptée avant que le gouvernement soit défait en 2012. Le gouvernement Marois a repris cette mesure dans son projet de charte des valeurs, qui n'a pas non plus été adopté avant les élections de 2014. Quant au gouvernement de Philippe Couillard, il n'a pas encore ramené cette mesure au menu législatif. À la même époque, la controverse sur le port du voile intégral dans une garderie de Montréal (Nouvelle fenêtre) a aussi fait couler beaucoup d'encre.
Pour ce qui est des tribunaux, la Cour suprême du Canada a statué en 2012 qu'il revenait aux tribunaux de première instance (Nouvelle fenêtre) de décider si une femme témoignant dans une cause criminelle devait le faire à visage découvert. Une femme peut ainsi comparaître en portant un niqab, mais dans certaines situations seulement.
Pour sa part, le gouvernement conservateur a émis une directive en 2011 pour interdire le port du niqab ou de la burqa au cours des cérémonies d'assermentation visant l'obtention de la citoyenneté canadienne, une mesure qui est aujourd'hui remise en question par les libéraux et les néodémocrates, et qui suscite des débats houleux à Ottawa.
Le premier ministre Stephen Harper a qualifié récemment le voile intégral de produit d'une culture qui est « antifemme ». Il a aussi affirmé que porter un niqab était inacceptable et contraire aux valeurs canadiennes. Le chef libéral Justin Trudeau l'accuse d'attiser les préjugés contre les musulmans. De son côté, le NPD a accusé M. Harper de présenter « une religion entière » comme antifemme.
Concernant le processus électoral fédéral, les conservateurs n'excluaient pas non plus d'interdire le vote à visage couvert.
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ÉTATS-UNIS
Nos voisins américains sont eux aussi très réticents à interdire de quelque façon que ce soit le port du niqab ou de la burqa en public. Il s'agirait d'un principe contraire à celui de la liberté d'expression, à laquelle ils tiennent ardemment.
Néanmoins, 11 États américains ainsi que le District de Columbia disposent de lois – certaines archaïques et pour la plupart mal adaptées à la réalité d'aujourd'hui – qui interdisent de circuler dans les lieux publics avec le visage voilé. Elles sont du reste très rarement appliquées.
Les dirigeants américains ont ouvertement critiqué la décision de certains pays européens, notamment la France, d'interdire le voile intégral.
En 2012, Hillary Clinton, alors secrétaire d'État, a soutenu que des pays « faisaient marche arrière » sur la question de la protection de la liberté religieuse, et que les pays qui ont des lois restreignant le code vestimentaire « pénalisent des musulmans ». En 2009, le président Obama avait pour sa part affirmé qu' « il était important pour les pays occidentaux d'éviter d'empêcher les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple en dictant les vêtements qu'une femme doit porter ».
Ces positions n'empêchent pas les milieux politique et médiatique de tenir le débat sur le port du voile intégral.
AILLEURS DANS LE MONDE
Si des débats ont bel et bien eu lieu dans plusieurs pays européens sur le port du niqab ou de la burqa, dans la plupart des cas, l'État central s'est refusé à édicter des règles générales et laisse le champ libre à ses juridictions inférieures, que ce soit les länder en Allemagne ou les cantons en Suisse. Dans certains cas, on s'en remet aux directions d'école elles-mêmes.
En Allemagne, depuis 2011, six länder ont voté une loi interdisant aux enseignantes le port de signes ostensibles d'appartenance religieuse. D'autres États ont étendu cette interdiction à tous les agents publics.
En 2006, le canton du Tessin, en Suisse, a voté pour l'interdiction du niqab dans l'espace public.
D'autres pays, comme l'Italie et l'Espagne, laissent aux administrations locales le soin d'interdire ou non le port du voile intégral. Par exemple, en Italie, plusieurs élus municipaux ont adopté des interdictions depuis le début des années 2000 sur la base de deux lois sur la sécurité publique concernant l'interdiction du port de masques et de casques, datant de 1931 et de 1975.
En Espagne, depuis cinq ans, plus d'une douzaine de villes ont adopté des lois interdisant le port du niqab et de la burqa en public, mais la Cour suprême d'Espagne a jugé en 2013 que ces ordonnances étaient inconstitutionnelles.