Haïti toujours aux prises avec une crise du logement

La ville de Port-au-Prince n’a pas été conçue pour les 3 millions d’habitants qui y vivent. Des quartiers entiers de la capitale sont construits à flanc de montagne, sur des terrains instables. Une situation qui date d’avant le séisme.
Photo : Emmanuelle Latraverse/Radio-Canada
« On n'est pas sortis de l'auberge. » Le responsable de la reconstruction en Haïti, Harry Adam, dresse un constat brutal des défis auxquels le pays fait face.
À la tête de l'Unité de construction de logements et de bâtiments publics, l'ingénieur de formation reconnaît qu'il faudra encore des années et des efforts sans précédent pour trouver une solution durable au problème du logement.
« Port-au-Prince n'a pas été conçue pour accueillir les 3 millions de personnes qui y vivent. Il va falloir un certain moment qu'on s'occupe de la ville. Pendant les 30 dernières années, cette thématique-là n'a jamais été traitée. »
Car si 95 % des déplacés ont quitté les camps, une très forte proportion continue de vivre dans des conditions extrêmement difficiles. Maisonnettes insalubres, abris minuscules de moins de 12 mètres carrés, sans cuisine ni latrines, ou encore logements abandonnés en décrépitude.

Le responsable de la reconstruction en Haïti, Harry Adam, dresse un constat brutal des défis auxquels le pays est confronté.
Des milliers de victimes du séisme n'ont toujours pas retrouvé le niveau de vie qu'ils avaient avant le 12 janvier 2010.
« Avant, j'habitais une maison de sept pièces, avec une galerie, une cuisine, des toilettes fonctionnelles », raconte une mère de famille du quartier de Ravine Pintade. Aujourd'hui, elle vit entassée dans un espace de 12 mètres carrés avec sa sœur, sa mère, son mari et les quatre enfants de la famille, en plus d'un bébé d'à peine quelques mois.
Une autre famille habite au-dessus. Les maisons sont cordées bien serré. Et ici, on cuisine à l'extérieur. Un homme qui urine discrètement dans le canal d'évacuation à l'arrière du logement laisse deviner quelles sont les conditions sanitaires. Les odeurs qui émanent du canal d'évacuation jonché de déchets et de détritus laissent imaginer le pire.
Pourtant, le quartier de Ravine Pintade est l'un de ceux qui ont été ciblés par les efforts de reconstruction. La rue a été entièrement refaite et des trottoirs ont été aménagés pour permettre aux gens de circuler. Des lampadaires solaires ont été installés, les systèmes d'approvisionnement en électricité ont été mis à niveau, les murs de soutènement du quartier remis à neuf.
Oui, Ravine Pintade - comme tant d'autres quartiers populaires - est en voie de reconstruction. Mais bien des familles qui y vivent demeurent plongées dans la précarité.
« Je ne serais pas prêt à vivre dans ces maisons »
Joël Jean-Baptiste, de l'Observatoire du logement d'Haïti, connaît ces quartiers, les a visités encore et encore. Et s'il reconnaît les progrès accomplis, à son avis, ils demeurent nettement insuffisants.
« Oui, il y a une amélioration dans l'horreur, mais on reste dans l'horreur. De dire que les gens passent des tentes à ces logements, c'est une amélioration. Mais on ne peut pas dire qu'on construit un pays avec ça. »

Joël Jean-Baptiste, de l'Observatoire du logement d'Haïti, Reconnait les progrès accomplis, à son avis, ils demeurent nettement insuffisants.
Joël Jean-Baptiste reproche au gouvernement de se contenter d'avoir sorti les victimes du séisme des camps sans s'être doté d'une stratégie cohérente afin de profiter des efforts de reconstruction du pays pour s'attaquer une fois pour toutes aux problèmes de logement.
« Je n'aurais jamais construit ces maisons, parce que je ne suis pas prêt à vivre dedans. Si je suis désespéré, je vais vivre dedans, mais si j'ai le choix, je ne vais pas vivre dedans », lance-t-il.
Harry Adam concède d'ailleurs que bien des efforts et des millions de dollars ont été perdus dans des expériences qui se sont soldées par des échecs, mais il croit qu'aujourd'hui, la stratégie est mieux définie.
Il s'agit avant tout de densifier les quartiers, de construire des logements multiples en hauteur pour éventuellement remplacer les minuscules habitations bancales construites sur des terrains instables. « Vaut mieux réhabiliter nos quartiers, densifier nos quartiers où il y a déjà de l'eau, de l'assainissement, des infrastructures déjà l'électricité », dit-il.
« Le plus gros défi, c'est de trouver de la place et de faire en sorte que les gens se retrouvent dans des maisons qui répondent a des critères - je n'ai même pas envie de dire de normes parasismiques -, mais de faire en sorte que les gens puissent trouver un logement digne et qu'ils puissent y rester », renchérit Grégoire Goodstein, chef de mission en Haïti de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Les premières familles à avoir bénéficié de cette stratégie sont celles qui ont été ciblées par l'OIM, et qui vivaient dans les camps.
Avec la réalisation du projet appelé 16/6, les victimes du séisme provenant de 16 camps jugés prioritaires ont été relogées dans 6 quartiers populaires au cœur des efforts de reconstruction de la capitale. Ces familles ont reçu une subvention de 500 $US pour les aider à payer leur loyer pendant un an, des travailleurs sociaux les ont également accompagnées dans la recherche de logement adéquat.
Le Canada s'est révélé un important partenaire de cet effort en finançant la relocalisation des 20 000 déplacés qui vivaient au Champs de mars, à l'ombre des ruines du palais présidentiel, puis en débloquant une autre enveloppe de près de 20 millions de dollars en janvier dernier pour venir en aide à 16 000 victimes additionnelles.
Guerda Louis est l'une des bénéficiaires de ce programme. Elle a ainsi pu regagner son quartier et emménager avec ses fils et sa fille dans un logement de deux pièces.
Cette mère de famille, qui vivote grâce à son commerce de souliers en bord de rue, se plaint que les 500 $US offerts pour lui permettre de refaire sa vie sont loin d'avoir été suffisants. Elle a été forcée d'emprunter une somme équivalente pour payer le loyer de ce logement et financer la scolarisation de ses enfants.
Néanmoins, selon les statistiques officielles, 94 % des familles relogées ont pu conserver leur appartement au bout d'un an. D'autres ont été forcées de retourner dans les camps.
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Trop peu de logements pour les besoins réels
Le chef de mission de l'OIM, Grégoire Goodstein, reconnaît les limites des programmes de relocalisation. Les acteurs humanitaires ont tenté de faire le maximum avec les ressources tout de même limitées dont ils disposent.
« Ce qu'il faudrait qu'on fasse tous, c'est une liaison avec les acteurs économiques. Mais les programmes conçus, c'est uniquement de leur apporter une solution humanitaire pour une situation humanitaire. On ne dit pas que c'est pour une solution à long terme », conclut Grégoire Goodstein.
C'est ainsi que face à l'ampleur du travail à accomplir, les progrès pour résoudre les problèmes de logement demeurent lents.
Dans le quartier de Ravine Pintade, par exemple, une dizaine d'immeubles à logements multiples pouvant accueillir quatre familles chacun sont en construction. Ils seront prêts d'ici le mois de mars prochain.
Mais dans une ville où il manque près d'un million de logements, ces projets de reconstruction éparpillés ici et là sont comme une goutte d'eau dans l'océan, fait valoir Joël Jean-Baptiste.
« Ça va prendre du temps parce qu'en même temps, on ne peut pas isoler la problématique du logement si on ne résout pas d'autres problèmes. Ça marche avec
l'économie, ça marche avec la santé, ça marche avec l'agriculture et donc il va falloir que tout le pays et tous les secteurs bougent pour que la problématique du logement soit résolue », répond Harry Adam, conscient des critiques que formule la population à l'égard de la lenteur des progrès réalisés sur le terrain.
Il croit surtout qu'il faudra une certaine stabilité politique pour que l'État puisse bénéficier de l'appui et des investissements du secteur privé.
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