La petite séduction de l'école publique

Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Prenez note que cet article publié en 2014 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Après l’exode de nombreux élèves vers le privé, l’école publique fait des efforts pour se réinventer. Troisième reportage de la série de Désautels le dimanche sur le quotidien d’une école secondaire publique de Montréal.
Le moins qu’on puisse dire, c'est que l’éducation est au cœur du débat public québécois cet automne : avenir des commissions scolaires, compressions provinciales en éducation et possible réduction du financement des écoles privées au Québec. Beaucoup de discussions à venir dans les écoles et les chaumières.
Mais sur le plancher des vaches, de nombreuses écoles secondaires tentent en ce moment de séduire les élèves et leurs parents. C’est le grand rituel du « magasinage » d’écoles, particulièrement dans les grands centres urbains du Québec.
En toile de fond : l’exode d’élèves vers l’école secondaire privée dans les dernières décennies.
Jusqu’aux années 80, un élève sur 15 fréquentait l’école privée. Aujourd’hui, c’est un élève sur cinq. Dans les régions de Québec et Montréal, plus de 30 % des parents choisissent désormais le privé au secondaire.
Depuis 20 ans, le public se plaint d’être devenu l’école des pauvres et des élèves en difficulté, et tente de riposter à coups de programmes particuliers, souvent sélectifs : études internationales, sport-études, programmes culturels, etc.
Aujourd’hui, l’exode vers le privé semble avoir été freiné. À la Commission scolaire de Montréal (CSDM), on indique que le « taux de rétention » des élèves est désormais stable.
Regain d’intérêt à Père-Marquette
J’ai voulu vérifier l’effort de l’école publique pour séduire parents et enfants. L’école Père-Marquette, dans le quartier Rosemont-Petite-Patrie, sur l’île de Montréal, est un peu emblématique de cette « petite séduction ».
Ce n’est pas étonnant que la CSDM ait choisi cette école pour mon « immersion » de plusieurs mois au royaume de l’éducation publique.
Le 18 septembre dernier, plus de 1500 personnes ont visité l’école lors des portes ouvertes. Trois ans plus tôt, c’était moins de la moitié.
Les « nouvelles familles » de jeunes professionnels installés dans le secteur au cours des dernières années composent une grande partie des visiteurs.
L’école a mis le paquet pour les accueillir : tout le personnel arborait le t-shirt de Père-Marquette, comme une équipe sportive. Les profs les plus performants étaient mis en valeur. Les parents étaient accueillis par les meneuses de claques et d’autres élèves actifs dans l’école.

Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Père-Marquette part de très loin : il y a 10 ans, l’école était considérée comme un repaire de délinquants et figurait dans les bas-fonds du défunt palmarès des écoles du magazine L’actualité.
Aujourd’hui, elle a profité des lendemains sinistres d’un incendie pour rénover ses locaux et refaire son image, notamment grâce à la création d’un programme d’études internationales.
Dans son discours, le directeur, Martin Lewis, faisait l’éloge des équipements « comparables à de nombreuses écoles privées ». Lewis ne cache pas que l’école publique a longtemps eu du mal à se mettre en valeur, mais que le marketing est désormais incontournable.
Peut-être que le privé a donné le ton là-dessus, je ne le sais pas, mais c’est clair que travailler sur le rayonnement, sur le marketing de l’école, c’est un aspect qui est très cher, très important pour nous.
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Les parents rencontrés ce soir-là sont en pleine frénésie de magasinage, un phénomène devenu incontournable à Montréal et à Québec. Plusieurs vont visiter jusqu’à 10 écoles.
« J’aimerais que ce soit simple comme en région », dit une maman. « Il n’y a qu’un choix : l’école publique ou privée. Ici, on a une vingtaine de possibilités. »
Dans le secteur, une école publique voisine offre un programme enrichi, avec tests d’admission. Une autre se spécialise en théâtre. Il y a l’école alternative, les programmes sport-études et de multiples écoles privées, dont le réputé Collège Jean-Eudes.
« Tout ça peut être très stressant pour nous et pour nos enfants », dit un autre parent.
Toutefois, un quasi-consensus se dégage : il y a un regain d’intérêt pour l’école secondaire publique. Des parents qui auraient autrefois automatiquement écarté l’école secondaire publique sont maintenant curieux et envisagent d’y envoyer leurs enfants. Reste à savoir si ça se traduira en inscriptions réelles.
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Interrogations à Hochelaga-Maisonneuve
Quelques kilomètres plus à l'est, autre école, autres portes ouvertes : l'école secondaire Chomedey-De Maisonneuve reçoit elle aussi les parents, le 22 octobre.
Ici, la foule est beaucoup plus modeste. Certes, l'école est plus petite que Père-Marquette, mais on n'y sent pas la même affluence curieuse.

Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Il faut dire que Chomedey-De Maisonneuve traîne l'image d'une école violente, pour élèves peu doués. « Une image difficile à changer », dit son directeur intérimaire, Éric Sirois.
Dans les faits, plusieurs programmes s'adressent à des élèves en difficulté, mais l'école offre aussi un programme régulier aux élèves du quartier.
Mais des parents nouvellement installés dans le quartier tentent de se regrouper pour reconquérir leur école secondaire. Marie Godbout-Longpré et Julie Verdy, dans la trentaine, ayant chacune trois enfants, ont lancé un groupe de discussion sur Facebook appelé Réflexion secondaire.

Julie Verdy et Marie Godbout-Longpré
Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Leur but : se réapproprier une école de quartier à deux pas de la maison, qui a été délaissée par de nombreux parents inquiets. Et y ramener suffisamment de « bons » élèves pour en rehausser le niveau. Julie Verdy a elle-même enseigné longtemps dans une école élémentaire privée.
Le défi est grand. Nous, on le fait comme peut-être à petite échelle en espérant de semer des petites étincelles parce qu'on voit beaucoup d'avantages à choisir l'école publique.
Pour écouter les commentaires de Julie Verdy sur votre appareil mobile, cliquez ici (Nouvelle fenêtre).
Julie et Marie sont l'incarnation de l'embourgeoisement récent du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Elles défendent farouchement l'idée d'une école publique qui accueille une clientèle diversifiée, mais veulent aussi que leurs enfants, élevés dans un milieu culturellement favorisé, ne soient pas « nivelés par le bas ».
Elles ont entrepris une série de discussions avec la direction de l'école, la commissaire scolaire du quartier et de nombreux parents pour créer un véritable débat sur leur école de quartier. Elles se donnent un an pour voir « ce que l'école aura à nous offrir ».
Écoutez le reportage radio de Michel Labrecque diffusé sur ICI Radio-Canada Première à Désautels le dimanche.
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