Milioto dément l'existence d'un cartel de trottoirs à Montréal

Nicolo Milioto devant la commission Charbonneau
Prenez note que cet article publié en 2013 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L'ex-président de Mivela dément formellement avoir constitué un cartel des trottoirs avec les entreprises BP Asphalte, Pavages CSF, ATG et TGA pour faire main basse sur les contrats de trottoirs octroyés par la Ville de Montréal entre 1996 et 2011. Nicolo Milioto balaie par ailleurs du revers de la main les allégations de Michel Leclerc à son endroit.
Des données compilées par la commission Charbonneau à partir d'informations fournies par la Ville de Montréal montrent que les cinq entreprises ont bel et bien raflé la grande majorité des appels d'offres publics lancés par la métropole au cours de cette période.
La procureure en chef, Me Sonia Lebel, a noté que les propriétaires de Mivela, BP Asphalte (Joe Borsellino), Pavages CSF (Domenico Cammalleri), ATG (Alex Sciascia) et TGA (Joey Piazza) sont tous directement ou indirectement originaires de Cattolica Eraclea - le village natal de Nicolo Rizzuto père - et qu'ils fréquentaient tous le café Consenza, le repaire du clan Rizzuto.
Nicolo Milioto n'y voit cependant rien qui explique leur succès en affaires. « Je ne vois pas aucun lien. On est d'origine sicilienne, ok. On va au Consenza. D'après moi, on est plus performants. C'est ouvert à tout le monde. [...] On a travaillé fort. [...] On a réussi à vivre avec les trottoirs, à survivre, jusqu'à date. Je n'ai pas d'autres explications à vous donner à part ça ».
- « Votre survie n'est-elle pas plutôt due à l'entente que vous aviez entre vous, de vous partager les contrats? », lui a demandé la procureure Lebel.
- « Non madame. »
- « Votre survie n'est pas plutôt due au fait que vous avez fermé le marché et empêché d'autres personnes de percer ce marché? »
- « Non madame. »
- « Votre survie n'est pas plutôt due au fait que vous êtes tous de la même origine, que ç'a créé un lien entre vous et que vous avez décidé d'exclure d'autres personnes? »
- « Non madame »
- « Votre survie n'est pas plutôt due au fait que vous avez un lien avec le crime organisé qui vous supervise et vous aide à fermer ce marché-la? »
- « Non madame. »
Une concurrence qui s'évapore
Les données présentées par la procureure Lebel démontrent plus précisément que 53 entreprises ont déjà soumissionné pour des contrats de trottoirs à la Ville de Montréal entre 1996 et 2011. Le nombre de soumissionnaires a cependant commencé à diminuer au début des années 2000.
Dès 2005, le nombre de soumissionnaires faisant concurrence à BP Asphalte, Pavages CSF, ATG et TGA avait déjà considérablement diminué. Seul Asphalte Inter-Canada, une compagnie fondée par le fils d'un dénommé Spagnolo, né à Cattolica Eraclea, selon Milioto, persistait à soumissionner régulièrement. Il s'agissait d'un oncle de Giuseppe Borsellino de Construction Garnier, a-t-il précisé.
En 2009, le milieu était devenu quasiment « désertique », à l'exception des cinq entreprises qui se partageaient les contrats, a noté la procureure Lebel. La part d'ATG a cependant diminué.
En 2011, de nouveaux joueurs ont commencé à réapparaître dans le paysage, montrent les données compilées par la commission. « On dirait que le marché commence à s'ouvrir », a-t-elle commenté.
Lorsque la procureure lui a demandé plus tard pourquoi les cinq mêmes entreprises ont longtemps soumissionné sur tous les contrats de trottoirs de Montréal, Nicolo Milioto a argué que c'était parce qu'elle voulait « une chance à toutes les occasions ». Il a formellement démenti avoir fait des soumissions de complaisance.
Il a ajouté que les cinq entreprises étaient des compétiteurs « purs et durs » lorsque venait le temps de soumissionner, même s'ils entretenaient des liens d'amitié. Le fait que les entrepreneurs qui dominent le marché montréalais soient tous des amis issus du même village est un « hasard », a-t-il ajouté.
Milioto balaie du revers de la main les allégations de Michel Leclerc
En après-midi, la procureure Lebel a longuement interrogé le témoin sur ses liens avec Michel Leclerc, propriétaire de la firme Terramex.
Michel Leclerc avait raconté à la commission en novembre que Nicolo Milioto l'avait convaincu en 1998 d'agir en sous-traitant pour les membres d'un cartel des trottoirs. « Je travaillais sur un petit chantier dans le Vieux-Montréal, puis M. Milioto était venu me voir puis il m'avait dit : "Écoute, les projets de trottoir à Montréal, c'est moi qui s'occupe de ça." »
« Si je voulais travailler puis faire travailler mon monde, là, j'ai compris que je n'avais pas le choix », avait alors expliqué l'entrepreneur, selon qui Nicolo Milioto s'était montré « un petit peu beaucoup » convaincant, voire menaçant.
« À chaque fois qu'il y avait un contrat [...] il fallait que je l'appelle lui, et c'est lui qui décidait des contrats de trottoirs que j'avais », a-t-il dit. « Je travaillais en sous-traitance pour M. Milioto, mais c'est lui qui me donnait les prix des autres entrepreneurs ou le prix que moi je devais soumissionner. »
Nicolo Milioto a nié aujourd'hui l'ensemble des allégations de Michel Leclerc. Il a simplement reconnu que Terramex et son entreprise pouvaient se donner des contrats en sous-traitance, mais sans qu'une entente formelle ait été conclue. Mivela faisait essentiellement de l'agrégat ou du granulat exposé, alors que Terramex faisait des bordures de granit.
La procureure Lebel a présenté des relevés de registre téléphoniques démontrant que les deux hommes se sont parlés 77 fois entre 2004 et 2010. Tous les appels ont duré moins de trois minutes, et la majorité d'entre eux duraient moins d'une minute, a-t-elle observé, en soulignant que cela lui semblait bien cours pour des discussions d'affaires.
Elle a aussi souligné que les deux hommes s'étaient parlés à six reprises avant l'ouverture de deux soumissions publiques de la Ville en septembre 2004, et qu'il s'étaient aussi parlés aussi le jour du lancement d'un appel d'offres et de l'ouverture des soumissions pour un contrat dans le coin de la place Norman-Bethune à l'hiver 2008.
Le témoin n'a pu expliquer l'ensemble de ses appels. Il a soutenu que cela pouvait être le fruit du hasard, ou que les deux hommes pouvaient parler d'un contrat précédent ou s'informer de la disponibilité d'équipements. Mais il a démenti que Michel Leclerc et lui discutaient à l'occasion des contrats à venir.
Les 1001 raisons de Milioto
La procureure Lebel lui a ensuite présenté d'autres extraits de registres téléphoniques illustrant les liens étroits que Nicolo Milioto entretenait avec d'autres entrepreneurs. Elle a ainsi montré qu'entre le 17 décembre 2003 et le 30 mars 2011, il a parlé au téléphone à au moins 691 reprises avec Joey Piazza. Lino Zambito l'a pour sa part appelé 56 fois entre le 27 juin 2007 et le 26 septembre 2009. Sonia Lebel a une fois de plus souligné que tous ces appels étaient très courts.
Malgré les questions répétées de la procureure, le témoin a cependant persisté à dire que ces appels pouvaient être justifiés par « 1001 raisons ». La collusion n'était cependant pas l'une d'elle, a-t-il assuré.
Dans le cas de Joey Piazza, Milioto a dit qu'il s'agissait d'un ami, qui pouvait l'appeler simplement pour lui demander comment il allait, lui souhaiter un joyeux Noël, lui parler d'un évènement s'étant produit en Italie. Dans le cas de Zambito, il a plutôt avancé que ce pouvait être par affaire, par exemple, pour lui demander s'il avait une pelle mécanique disponible ou simplement pour lui demander un prix pour un contrat incluant des travaux de trottoirs. Dans les deux cas, il pouvait aussi être question des activités de l'Association Cattolica Eraclea, a-t-il dit.
Lorsqu'on lui a rappelé que Lino Zambito l'avait clairement identifié comme un collusionnaire, Nicolo Milioto a répondu « Comment voulez-vous que je fasse de la collusion avec lui. Lui fait des égouts, moi des trottoirs ». Il a ajouté : « Dans mon idée, c'est son invention à lui. Ce n'est pas vrai qu'il y avait de la collusion ».
Lorsqu'on lui a signifié que d'autres témoins, dont Michel Leclerc, l'avaient également montré du doigt, l'ex-président de Mivela s'est posé en victime.Il a allégué que la commission lui a donné « une étiquette très facile » dans la foulée de la présentation des vidéos filmées au Consenza, en septembre.
Un témoin toujours fuyant
Plus tôt dans la journée, le présumé intermédiaire entre des entrepreneurs en construction et le clan mafieux Rizzuto s'était révélé une fois encore un témoin fuyant, malgré un interrogatoire serré de la procureure en chef, Me Sonia Lebel.
Nicolo Milioto a cependant admis que Nicolo Rizzuto père lui avait déjà demandé d'aller porter de l'argent à Frank Catania. M. Milioto dit être allé remettre une enveloppe avec de l'argent au bureau de son entreprise, mais sans savoir combien elle contenait, ni pourquoi elle lui était destinée.
La commission avait fait entendre, plus tôt ce matin, une conversation téléphonique enregistrée dans le cadre de l'opération Colisée, le 22 novembre 2005. On y entend Nicolo Milioto s'entretenir en sicilien avec Paolo Renda, gendre de Nicolo Rizzuto.
M. Milioto soutient l'avoir appelé à la demande de Paolo Catania, qui voulait savoir si Renda et d'autres têtes dirigeantes du clan Rizzuto allaient participer à une fête pour le départ à la retraite de son père Frank Catania.
Me Lebel lui demande pourquoi Paolo Catania est passé par lui pour savoir si les Rizzuto viendraient à la fête, mais M. Milioto dit ne pas avoir de réponse à cela. Il a nié qu'il était une porte d'entrée pour le clan Rizzuto. Tout le monde pouvait venir au Consenza, a-t-il dit.
La procureure Lebel a mis en évidence que les personnes que M. Milioto côtoyait au Consenza avaient été condamnées au criminel, et ce, alors qu'il fréquentait l'endroit. Le commissaire Lachance s'est ensuite demandé si ces enfants et sa femme étaient inquiets de ses fréquentations.
Le témoin a admis qu'il ne « se vantait pas » de fréquenter le Consenza et les gens qui s'y tenaient régulièrement. « Je n'ai jamais parlé avec mes enfants de qui je fréquentais. Ils ne savaient pas que j'allais au Consenza », a-t-il dit. Il assure qu'il leur aurait dit s'ils l'avaient demandé.
Sa femme n'y allait pas davantage, d'ailleurs, parce que « le bar sicilien, c'est fait pour les hommes [...] c'est comme les tavernes pour les Québécois ». « Les femmes, ne sont pas bien vues », a-t-il dit. Qui plus est, « ma femme, en bonne Italienne, ne pose pas de questions ».
Liste des appels d'offres, secteur des trottoirs, 1996-2011 :
Milioto : un homme de peu de mots
Depuis son arrivée à la barre des témoins, celui qui a dirigé Mivela Construction jusqu'en janvier 2012 nie fermement les allégations formulées à son endroit. Il dit ne pas savoir ce qu'est la mafia, ni la taxe d'extorsion qu'on appelle le « pizzo ». Il assure ne pas avoir sciemment joué le rôle d'intermédiaire dont il est soupçonné.
Nicolo Milioto fréquentait certes le Consenza, où il côtoyait les têtes dirigeantes du clan Rizzuto, comme l'ont montré de multiples vidéos filmées lors de l'opération Colisée, mais il assure qu'il y allait essentiellement pour boire du café, jouer aux cartes, et collaborer aux activités de l'Association Cattolica Eraclea.
De nombreuses vidéos présentées mardi par la procureure en chef Sonia Lebel le montrent comptant de l'argent en présence de nombreux mafieux, dont le défunt patriarche du clan, Nicolo Rizzuto père, et celui que l'on soupçonne d'avoir été responsable des contrats de construction en son nom, Rocco Sollecito.
Le témoin ne s'est toutefois pas démonté pour autant. Sa défense au sujet des vidéos est toujours la même:
- S'il donnait de l'argent à l'un des deux hommes, a-t-il dit, c'était soit pour rendre service à Lino Zambito, soit pour remettre de l'argent de la remise des billets au nom de l'Association.
- S'il donnait l'argent à Rocco Sollecito, c'était parce qu'il était Italien et qu'il lui faisait confiance. S'il le faisait même en présence de Nicolo Rizzuto père, ce n'était pas pour une question de hiérarchie, mais pour d'autres raisons : il était plus proche, M. Rizzuto n'était pas disponible, etc.
- Si l'argent qu'il remettait à Sollecito était ensuite distribué à d'autres personnes que Rizzuto père, il ne sait pas pourquoi. Peut-être Lino Zambito avait-il une dette envers d'autres personnes, avance-t-il. Mais il n'en sait rien puisqu'il n'a jamais posé de questions.
- Si Nicolo Rizzuto lui a remis de l'argent, ce pouvait être pour un prêt « sans intérêt » qu'il était plus facile d'obtenir auprès de lui qu'auprès de la banque. Il dit se souvenir d'un seul de ces prêts, toutefois. Parfois, dit-il, le patriarche du clan pouvait aussi lui donner de l'argent pour faire des commissions comme acheter de l'eau.
Nicolo Milioto témoignage avec beaucoup de calme, mais répète ad nauseam qu'il ne se souvient pas de la plupart des évènements sur lesquels la procureure Lebel l'interroge. L'affaire a fini par impatienter la présidente de la commission.
France Charbonneau a demandé à son avocat, Me Jean-François Doré, de lui « expliquer ce qu'est un outrage au tribunal, et ce qu'est une accusation de parjure ». Elle a précisé ultérieurement, que « des propos vagues et imprécis peuvent parfois être de nature d'un outrage au tribunal ».
Lire aussi : Milioto, un nom souvent cité à la commission