Russie : deux ans de prison pour les chanteuses de Pussy Riot

(De gauche à droite) Yekaterina Samutsevich, Maria Alekhina et Nadezhda Tolokonnikova enfermées derrière une vitre dans la salle du tribunal de Moscou
Photo : La Presse canadienne / Misha Japaridze
Prenez note que cet article publié en 2012 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les trois chanteuses du groupe russe Pussy Riot ont été condamnées à deux ans de prison pour avoir chanté une « prière » contre le président Vladimir Poutine en février dans la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou
Au terme d'un procès qui a connu un retentissement international, Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, Ekaterina Samoutsevitch, 29 ans, et Maria Alekhina, 24 ans, ont été reconnues coupables de « hooliganisme » et d'« incitation à la haine religieuse ».
Elles ont « violé l'ordre public » et « offensé les sentiments des croyants », a déclaré la juge Marina Syrova, soulignant qu'il n'y avait pas eu de « repentir » de la part des accusées. Elle a insisté sur le caractère « sacrilège » de leur geste et leur « haine de la religion », citant abondamment des témoignages d'employés et de membre de la sécurité de la cathédrale.
La juge a pour l'essentiel repris l'argumentaire du procureur qui avait réclamé trois ans de prison contre les trois jeunes femmes détenues depuis six mois à Moscou.
La peine maximale « pour hooliganisme » est de sept ans de pénitencier, mais le procureur avait dit avoir tenu compte de leur casier judiciaire vierge et du fait que deux des femmes avaient des enfants en bas âge. Les avocats de la défense avaient de leur côté demandé l'acquittement.
L'Église orthodoxe prône la clémence
Tout en disant ne pas vouloir mettre en doute la légitimité de la décision de justice, l'Église orthodoxe russe a demandé « aux autorités de l'État de faire preuve de clémence envers les condamnées dans l'espoir qu'elles renonceront à toute répétition de ce genre de sacrilège ».
Cette position tranche avec celle, plus intransigeante, prônée auparavant par la hiérarchie orthodoxe russe dans l'affaire Pussy Riot. Le porte-parole du patriarcat, Vsevolod Tchapline, avait estimé que les jeunes femmes avaient commis un « crime pire qu'un meurtre » et qu'elles devaient être « punies ».
Dans la cage vitrée des prévenus, les trois jeunes femmes ont écouté calmement la lecture du jugement, qui a duré trois heures. À l'extérieur du tribunal, un important contingent policier était déployé et des barrières étaient installées de chaque côté de la rue, empêchant la tenue d'éventuels rassemblements.
Les faits reprochés aux membres de Pussy Riot remontent au 21 février lorsque, vêtues de minijupes, elles avaient pénétré dans une zone de la cathédrale de Russie interdite aux laïcs, où elles ont dansé sur l'autel et chanté « Mère Marie, chasse Poutine ».
Les accusées ont déjà affirmé qu'elles n'avaient voulu offenser personne et qu'elles étaient motivées par la colère que leur inspirait le soutien du patriarche Cyrille à Vladimir Poutine lors de la campagne présidentielle. Depuis, ce dernier a remporté les élections.
Les Pussy Riot dans la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, le 21 février 2012
Une peine durement critiquée en Occident
La décision du tribunal de Moscou a été sévèrement jugée par les Occidentaux, Washington, Paris, Berlin et l'Union européenne ayant unanimement jugé démesurée la peine de deux ans de détention.
Tandis que le département d'État américain s'est dit préoccupé par « l'impact négatif [du jugement] sur la liberté d'expression en Russie », Paris a souligné que « la procédure n'est pas terminée, les voies de recours en Russie et à Strasbourg n'ayant pas été épuisées ».
De son côté, la chancelière allemande Angela Merkel a estimé que la peine imposée aux jeunes femmes « n'est pas en harmonie avec les valeurs européennes d'État de droit et de démocratie pour lesquelles la Russie s'est prononcée en tant que membre du Conseil de l'Europe ».
« Une société civile dynamique et des citoyens engagés politiquement sont une condition nécessaire à la modernisation de la Russie et pas une menace pour ce pays », a poursuivi Mme Merkel, ancienne citoyenne de l'ex-RDA communiste.
La chef de la diplomatie de l'Union européenne, Catherine Ashton, s'est quant à elle dite profondément déçue par la condamnation « contraire aux obligations internationales de la Russie en matière de respect de la liberté d'expression ».
L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) craint pour sa part que plusieurs pays tendent maintenant à restreindre la liberté d'expression.
« Les charges de hooliganisme et de haine religieuse ne doivent pas être utilisées pour limiter la liberté d'expression. Des déclarations, aussi provocantes, satiriques ou sensibles soient-elles, ne doivent pas être restreintes ou supprimées et, dans aucune circonstance, elles ne devraient amener à la prison », a plaidé la Bosnienne Dunja Mijatovic, représentante pour la liberté de la presse à l'OSCE.
Un procès « inéquitable » et « disproportionné »
Le procès des trois jeunes femmes, qui a débuté le 30 juillet, a fait les gros titres dans la presse internationale et a provoqué un tollé en Russie. Leurs avocats ont estimé que les jeunes femmes n'avaient pas eu droit à un procès équitable et que le verdict sera « dicté par le Kremlin ».
L'avocat de la défense Nikolaï Polozov a comparé les audiences du tribunal aux procès de l'époque stalinienne en référence à leur côté expéditifs. Il a aussi accusé les autorités russes de maltraiter les jeunes femmes en les privant de sommeil et de nourriture.
De nombreuses personnalités russes et étrangères, dont plusieurs députés allemands, ont également pris la défense des jeunes chanteuses, estimant que les poursuites et leur maintien en détention étaient disproportionnés avec les faits.
Des dizaines d'artistes comme la chanteuse américaine Madonna, la veuve de John Lennon Yoko Ono, l'ex-Beatles Paul McCartney, le chanteur de Sting, les Red Hot Chili Peppers ou le guitariste des Who ont également appelé à la clémence de la justice russe dans ce dossier.
Même le président Poutine, qui estime qu'il n'y avait « rien de bon » dans ce que les jeunes femmes avaient fait, a déclaré au début du mois qu'elles ne devraient pas être jugées « trop sévèrement ».
Les partis d'opposition se sont aussi mêlés de l'affaire, estimant que le procès est l'une des manoeuvres orchestrées par le président russe pour faire taire la contestation antigouvernementale. Des allégations que démentent ses partisans, jugeant plutôt que les chanteuses ont tenu des propos blasphématoires destinés à leur propre promotion.
Le procès a été également suivi de près par les Occidentaux, car il est considéré comme représentatif de la façon dont la Russie traite ses opposants.
Des manifestations à l'occasion du dernier jour du procès des jeunes femmes ont eu lieu dans plusieurs villes du monde. Au Canada, une manifestation s'est tenue à Toronto devant le consulat russe.
Avec les informations de Agence France-Presse et Reuters