Le PQ propose une charte de la laïcité

Entourée de candidats de la région, Pauline Marois s'est engagée, à Trois-Rivières, à faire adopter une charte de la laîcité si elle est élue.
Prenez note que cet article publié en 2012 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Au jour 15 de la campagne électorale, le Parti québécois a remis le thème des accommodements raisonnables à l'avant-plan, mardi, à Trois-Rivières, à une cinquantaine de kilomètres d'Hérouxville, dont le code de vie à l'intention des nouveaux arrivants avait fait grand bruit en 2007.
Accusant le gouvernement libéral de n'avoir rien fait dans ce dossier, la chef de la formation, Pauline Marois, a promis de faire adopter une charte de la laïcité dans les services publics et parapublics advenant l'élection de son parti.
Accompagnée de candidats de la région, Pauline Marois en a, ironiquement, fait l'annonce dans la circonscription de Maskinongé, au moulin seigneurial de Pointe-du-Lac, sur un terrain appartenant à une communauté religieuse.
L'auteure et militante anti-islamiste Djemila Benhabib, qui fait depuis des années de la laïcité un cheval de bataille et qui se présente dans la circonscription voisine de Trois-Rivières, était parmi les candidats à ses côtés.
La charte proposée par le PQ reposerait sur les principes de neutralité de l'État et de prépondérance de l'égalité entre les femmes et les hommes, a expliqué la chef péquiste.
« « Des milliers de gens viennent vivre au Québec pour ce que nous sommes : une terre de liberté dont le coeur bat en français, où les droits des gens sont protégés, où les femmes et les hommes sont égaux et où la religion n'intervient pas dans les affaires publiques. » »
La liberté de religion ne pourrait pas être invoquée pour enfreindre l'égalité hommes-femmes ni pour nuire au « bon fonctionnement des institutions publiques et parapubliques ».
Pas de signes religieux « ostensibles »
En vertu de cette charte, les employés de l'État ne pourraient pas porter de signes religieux « ostensibles », comme comme le hijab ou le turban. Ils ne devraient pas non plus accommoder un usager qui voudrait se faire servir par une personne du sexe opposé.
La récitation de la prière avant l'ouverture d'un conseil municipal - comme à Saguenay - ne serait pas tolérée non plus.
Cette charte, qui aurait « force de loi » viendrait « préciser le cadre dans lequel les dirigeants d'organisme peuvent fonctionner », a spécifié Mme Marois. Elle permettrait ainsi « d'interpréter les lois, d'interpréter les règlements », a-t-elle soutenu, ajoutant que la charte aurait le mérite d'être « claire ».
Mme Benhabib a estimé qu'il était « temps de poser un geste politique concret, ce qui a manqué au gouvernement Charest », ajoutant qu'« aucune société n'[était] à l'abri de la régression ».
« « C'est pour cela que nous voulons prendre les mesures qui s'imposent, en étant responsables, en étant respectueux, pour consolider cet héritage de la révolution tranquille. » »
« C'est rassurant de savoir dans quelle société on arrive, dans quel pays on choisit de vivre, avec quelles valeurs on va évoluer », a de son côté argué la chef péquiste.
Pauline Marois a, au passage, critiqué « le Canada qui prône l'idéologie du multiculturalisme qui invite les gens à vivre dans des ghettos ». Interrogée sur son intention de recourir éventuellement à la clause dérogatoire si la charte de la laïcité était jugée contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, Pauline Marois a répondu « absolument, sans aucune réserve ». « Si elle devait être contestée - pour l'instant, c'est une question hypothétique -, nous ferons la bataille qu'il faut parce que nous croyons que c'est essentiel pour notre vouloir-vivre collectif », a-t-elle déclaré, précisant que la liberté de religion serait aussi incluse dans la charte.
Sans préciser les délais de l'éventuelle adoption de la charte, la chef péquiste a par ailleurs affirmé que ce serait « le plus rapidement possible » au cours d'un premier mandat.
La charte ferait l'objet d'un débat public pour clarifier certains points, mais il n'y aurait pas de nouvelle commission sur ce sujet.
Pauline Marois s'est en outre défendue d'avoir fait de l'obstruction, comme l'accuse le Parti libéral, dans le processus d'adoption du projet de loi 94, déposé en 2010 dans la foulée du rapport de la commission Bouchard-Taylor sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles. Plusieurs groupes s'y étaient opposés, a-t-elle rappelé, estimant que la mesure péquiste « répondra[it] vraiment aux inquiétudes des Québécois en matière d'accommodements raisonnables ».
Le projet de loi du gouvernement libéral, qui prévoyait que les services publics devaient être offerts et reçus à visage découvert, n'a pas franchi l'étape de la commission parlementaire.
Crucifix à l'Assemblée nationale: le PQ persiste et signe... malgré Djemila Benhabib
Pas question, toutefois, de retirer le crucifix de l'Assemblée nationale, perçu par la formation comme un symbole de l'héritage historique du peuple québécois.
Connue pour ses prises de position pour la laïcité, Mme Benhabib, auteure de Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident et de Ma vie à contre-Coran, avait pour sa part déjà pris position en faveur de son retrait.
Se définissant comme une « intellectuelle engagée », la candidate vedette a d'ailleurs assuré qu'elle ne reniait pas ses convictions.
« Lorsqu'on s'engage en politique, on ne s'attend pas de son parti qu'il endosse les engagements d'une personne », a-t-elle répondu à un journaliste. « S'il y a des batailles à faire au sein de mon parti je les ferai, mais aujourd'hui j'endosse totalement les prises de position du Parti québécois ».
Le son de cloche des autres partis
En point de presse, le chef du Parti libéral, Jean Charest, a pour sa part estimé que son gouvernement avait permis des avancées importantes en matière d'encadrement des accommodements raisonnables. « On a fait la mise en oeuvre de la majorité des recommandations du rapport Bouchard-Taylor », a-t-il dit, faisant par exemple valoir que la Charte québécoise des droits et libertés avait été amendée.
S'il ne s'oppose pas à une charte de la laïcité, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, pense de son côté que « le Parti québécois va trop loin en disant que tous les employés de l'État ne doivent pas avoir de signes religieux ».
Une bon véhicule à la laïcité de l'État, cette charte?
Selon Pierre Bosset, professeur de sciences juridiques à l'UQAM, la charte proposée « changerait assez peu de choses » dans l'état actuel du droit. « Dans notre système juridique, on reconnaît que l'État a une obligation de neutralité depuis au moins une trentaine d'années », fait-il valoir, même si le principe n'est pas enchâssé dans un texte de loi.
Il souligne en outre que la charte équivaudrait à un texte de loi. « La seule charte qui a une valeur véritablement constitutionnelle, juridiquement parlant, c'est la Charte canadienne des droits et libertés, explique-t-il. Quand on emploie ce genre de terme, c'est généralement parce qu'on veut donner une certaine solennité à un texte, mais ça ne change pas sa nature juridique. »
M. Bosset ajoute cependant que la mesure proposée va « plus loin » que ce qui a été « reconnu jusqu'à maintenant ». La promesse péquiste « établit une certaine hiérarchie entre la liberté religieuse et l'égalité hommes-femmes, qui semble être supérieure », un choix qui pourrait poser problème, estime-t-il.
« « Les enseignements de la Cour suprême du Canada dans ce domaine sont toujours qu'on ne peut pas établir de hiérarchie entre les droits et qu'il faut trouver un équilibre entre eux. » »
Viser l'ensemble des fonctionnaires pose aussi un risque de contestation constitutionnelle, croit M. Bosset, qui a agi à titre de membre du comité conseil de la Commission Bouchard-Taylor. Le rapport des commissaires, rappelle-t-il, « ne ciblait que ceux qui incarnaient, de par leur fonction, l'autorité même de l'État, comme les juges, les policiers, les gardiens de prison ».
« Pour protéger la neutralité ou la laïcité de l'État, est-il vraiment nécessaire, par exemple, d'interdire à un commis magasinier qui travaille dans un entrepôt du ministère des Transports et qui n'a aucun contact avec le public de porter des signes religieux même s'ils sont ostentatoires? » demande-t-il.
Pierre Bosset se montre également sceptique devant la clarté qu'apporterait la charte. « Je pense que c'est un peu un miroir aux alouettes que de faire miroiter l'idée que dorénavant, on aura des règles claires. Il y aura toujours place à une certaine subjectivité », conclut-il.
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