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Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2012 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Texte de l'historien Luc Côté
Professeur à l'Université de Saint-Boniface


Au début du 19e siècle, le projet de fonder une colonie de peuplement sur les rives de la rivière Rouge, à des milliers de kilomètres de tout autre établissement d'origine européenne, est perçu par plusieurs comme étant non seulement ambitieux ou démesuré, mais aussi chimérique et irréaliste. C'est pourtant ce que met en branle l'Écossais Thomas Douglas, comte de Selkirk.

Thomas Douglas, 5e lord Selkirk
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Thomas Douglas, 5e lord Selkirk

Aristocrate, propriétaire terrien, homme politique, réformateur et homme d'affaires, Lord Selkirk (1771-1820) est témoin des transformations du monde rural et agraire qui entrainent l'expropriation d'un grand nombre de paysans en Irlande et en Écosse. Il est l'un des partisans de l'émigration comme solution à ce « problème » social. Il dirige lui-même en 1803 des projets d'émigration et de colonisation à l'Île-du-Prince-Édouard et au Haut-Canada (Ontario).

À la suite de son mariage à Jean Wedderburn en 1807, Selkirk se lie à une famille engagée dans le commerce et la finance. C'est d'ailleurs avec son beau-frère et le cousin de son épouse qu'il forme un groupe influent parmi les actionnaires de la Compagnie de la Baie d'Hudson. En vertu de la charte royale de 1670, ce groupe revendique le contrôle sur la vaste Terre de Rupert, et le droit exclusif d'y faire le commerce des fourrures avec les nations amérindiennes du Nord-Ouest.

En 1811, Selkirk obtient de la Compagnie la concession d'un territoire d'un peu plus de 300 000 km2 afin d'y mettre sur pied une colonie de peuplement. En plus de contribuer à l'implantation de la civilisation impériale britannique dans une contrée « sauvage », la colonie promet d'éventuelles économies à la Compagnie de la Baie d'Hudson, en lui servant de source de main-d'oeuvre et d'approvisionnements. Plus concrètement encore, la création d'une colonie s'insère dans la stratégie offensive de la compagnie anglaise face à ses rivaux écossais et montréalais de la Compagnie du Nord-Ouest.

Carte du territoire concédé à lord Selkirk par la Compagnie de la Baie d'Hudson
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Carte du territoire concédé à lord Selkirk par la Compagnie de la Baie d'Hudson

Photo : Société royale du Canada

Au printemps 1811, un contingent d'artisans ouvriers d'Irlande et d'Écosse quitte le port de Stornoway pour la rivière Rouge, sous la direction du premier gouverneur de la colonie, Miles MacDonell, afin de préparer le terrain à la colonisation. Après une traversée difficile en mer, le groupe atteint York Factory dans la baie d'Hudson, trop tard dans la saison pour poursuivre sa route vers le sud. L'hivernage sur les rives de la rivière Nelson est marqué par la faim et le froid, en plus des tensions et des désertions. C'est finalement avec dix-huit hommes que MacDonell atteint la rivière Rouge à la fin août 1812.

Le gouverneur choisit la pointe de terre, qui prendra le nom de Pointe Douglas, comme site principal de la colonie. Deux mois plus tard seulement, le premier contingent d'une centaine de colons, composé à nouveau d'Irlandais et d'Écossais, y compris des femmes et des enfants, arrive à la rivière Rouge. Les nouveaux venus constatent rapidement l'absence de la moindre infrastructure et vont rejoindre leurs prédécesseurs réfugiés auprès de la communauté de chasseurs métis de Pembina. Au printemps de l'année suivante, les colons reviennent à la Pointe Douglas pour les semences et l'érection de maisons en rondins. Les récoltes sont cependant mauvaises, forçant à nouveau le groupe à passer l'hiver à Pembina.

À l'automne 1813, un deuxième contingent de colons, majoritairement des Écossais originaires de la localité de Kildonan, débarque accidentellement à Fort Churchill plutôt qu'à York Factory. Plusieurs sont malades et affaiblis et l'hivernage à la rivière Churchill n'est pas de tout repos. Au printemps, le groupe entreprend de se rendre en raquettes vers York Factory pour poursuivre ensuite sa route vers le sud. 88 colons atteignent la rivière Rouge en juin 1814. Un dernier groupe de quatre-vingt-quatre colons arrive dans la colonie à l'automne suivant, en compagnie de Robert Semple, appelé à succéder à MacDonell comme gouverneur.

Commerce des fourrures au Canada à la fin du XVIIIe siècle
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Commerce des fourrures au Canada à la fin du XVIIIe siècle

Photo : Wikimedia Commons

Le caractère improvisé et précipité de l'établissement, en plus des conditions environnementales peu propices à une économie agricole autosuffisante, contribuent à la forte précarité de la colonie naissante. De fait, il est impossible d'imaginer comment ces colons auraient pu survivre dans leur nouveau milieu sans l'aide et le soutien d'Amérindiens, notamment les Ojibwa-Saulteux. Les Métis de la région les aident à s'approvisionner en vivres, dans leurs déplacements, ils les initient à la chasse, à la pêche, à la cueillette et à l'utilisation de plantes médicinales. En bref, les nouveaux venus tirent des avantages de cette économie mixte, qui constitue une composante fondamentale du mode de vie dans la prairie pendant presque tout le 19e siècle. Mais la relation entre les Métis et les colons européens se détériorent rapidement avec l'intensification de la lutte entre les deux compagnies commerciales.

Dès le début, les dirigeants de la Compagnie du Nord-Ouest s'opposent au projet de fondation d'une colonie à la rivière Rouge, y voyant une stratégie délibérée de la part de la Compagnie de la Baie d'Hudson pour compromettre leur réseau commercial dans l'Ouest.

Lorsque la direction de la colonie entreprend de vouloir exercer un pouvoir sur le territoire, les Métis manifestent leur opposition en faisant valoir leur droit autochtone et leur autonomie dans le pays. Ils mettent en évidence la proclamation interdisant toute sortie du pemmican et autres ressources alimentaires en 1814, sous prétexte d'assurer la subsistance des habitants.

Principaux producteurs de pemmican et fournisseurs auprès de la Compagnie du Nord-Ouest pour leurs équipées de traite à partir de la rivière Rouge jusque dans l'Athabasca, les Métis s'allient aux Nor'Westers dans une campagne d'intimidation et de saccage visant à provoquer le démantèlement de la colonie de Selkirk.

Affrontement aux Sept Chênes, en 1816 - Toile de C. W. Jeffreys
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Affrontement aux Sept Chênes, en 1816 - Toile de C. W. Jeffreys

Le point culminant survient lors de l'affrontement armé non prémédité entre Métis et colons aux Sept Chênes (la Grenouillère) en juin 1816. Plusieurs familles écossaises cherchent alors à fuir la région. Sans doute, l'arrivée de Lord Selkirk, l'année suivante, assure le maintien de la colonie. Selkirk est d'ailleurs accompagné d'une centaine de mercenaires suisses-allemands, combattants pour les Britanniques lors de la guerre contre les États-Unis en 1812. Ces derniers se voient offrir des terres et serviront pour un temps de force policière dans la colonie.

Au cours de son seul séjour à la rivière Rouge, Selkirk s'efforce d'y jeter les bases d'un système légal et judiciaire. Il conclut un traité avec le chef saulteux Peguis pour la location et l'usage du territoire. Il entreprend également des démarches pour l'établissement de missions religieuses en vue de « pacifier » et de « civiliser » les populations amérindienne et métisse.

La mort de Selkirk survient en France en 1820. Les négociations entre les deux compagnies de fourrures deviennent alors possibles et conduisent ultimement à leur fusion en 1821. Cette même année, Nicholas Garry, de la nouvelle Compagnie de la Baie d'Hudson, chiffre à 221 le nombre d'Écossais dans la colonie. En 1835, la Compagnie de la Baie d'Hudson prend la direction de la colonie des mains des héritiers de Selkirk. La colonie de la Rivière-Rouge, contrairement à l'idée que s'en faisait son fondateur, devient de plus en plus métisse, métissée et multiculturelle.


Bibliographie

  • Bumsted, J. M. (2000), Thomas Scott's Body and Other Essays on Early Manitoba History, Winnipeg, University of Manitoba Press.
  • Bumsted, J. M. (2008), Lord Selkirk : A Life, Winnipeg, University of Manitoba Press.
  • Dick, Lyle (1991), « The Seven Oaks Incident and the Construction of a Historical tradition, 1816 to 1970 », Journal of the Canadian Historical Association/ Revue de la Société historique du Canada, 2; 1, p. 91-113.
  • Ens, Gerhard J. (1996), From Homeland to Hinterland. The Changing Worlds of the Red River Metis, Toronto, University of Toronto Press.
  • MacEwan, Grant (1977), Cornerstone Colony. Selkirk's Contribution to the Canadian West, Saskatoon, Western Producer Prairie Books.
  • Morton, William L. (1967), Manitoba. A History, Toronto, University of Toronto Press.
  • Shilliday, Greg (dir.) (1993), Manitoba 125. A History. Volume 1 : Rupert's Land to Riel, Winnipeg, Great Plains Publications.

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