Le plus gros défi olympique de Despatie

Alexandre Despatie
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Prenez note que cet article publié en 2012 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alexandre Despatie a grandi sous les feux de la rampe. Peu d'athlètes québécois, voire même canadiens, jouissent d'une telle notoriété au Québec... hormis quelques joueurs du Canadien de Montréal.
Un texte de Manon Gilbert (Nouvelle fenêtre)
C'est à 13 ans, quand il a gagné l'or à la tour de 10 m aux Jeux du Commonwealth de 1998, que Despatie a charmé toute une nation. Il n'était alors qu'un enfant parmi des hommes. L'image du Britannique Tony Ali qui le porte en triomphe dans ses bras a marqué l'imaginaire.
Non seulement est-il devenu le plus jeune champion de l'histoire de ces Jeux, mais il a de plus totalisé une note record (652,11). Cela lui avait valu de voir son nom inscrit dans le livre des records Guinness en 2000.
Cette médaille a changé sa vie et celle de ses parents.
« Tout d'un coup, les gens me reconnaissaient dans la rue, les gens savaient qui j'étais. J'ai été chanceux d'être bien entouré, d'avoir ma famille pour m'aider à naviguer dans tout ça », avoue le plongeur qui a ajouté 10 autres médailles aux Jeux du Commonwealth, un record canadien, depuis ce jour de septembre 1998.
D'ailleurs, sa mère et sa soeur aînée Anouk s'étaient fait la promesse de toujours le ramener sur terre dès le jour où la vague médiatique a déferlé sur leur domicile familial.
Despatie, qui a découvert les joies du plongeon dans sa cour arrière à 5 ans, peine à imaginer ce qu'aurait pu être sa vie s'il avait grandi dans l'anonymat. Certes, il y a bien quelques distractions reliées aux exigences de sa notoriété, mais les avantages sont beaucoup plus nombreux.
« Je suis très reconnaissant de tout le soutien que j'ai reçu depuis ce temps et de toutes les expériences que j'ai vécues. J'ai eu la chance de vivre des moments incroyables et de rencontrer des gens de partout dans le monde. »
Souvenirs olympiques

Alexandre Despatie
Photo : AFP / Miguel Medina
Despatie a ajouté bien d'autres récompenses à son palmarès, l'un des plus garnis chez les athlètes canadiens, depuis cette fameuse médaille aux Jeux du Commonwealth : deux médailles d'argent olympiques, huit aux Championnats du monde, sept aux Jeux panaméricains.
Et il a bien vieilli, du double en fait. Pendant cette tranche de 13 ans, le plongeur de 27 ans aura participé à quatre Jeux olympiques. Des Jeux desquels il garde des souvenirs bien différents.
En 2000, à 15 ans seulement, Sydney représentait son baptême. Aucune attente, si ce n'est que de gagner de l'expérience pour 2004. Sa 4e place à la tour s'était donc avérée une agréable surprise.
D'Athènes, quatre ans plus tard, il en est ressorti avec un sentiment mi-figue mi-raisin. D'un côté, la satisfaction du devoir accompli en remportant l'argent au tremplin de 3 m. De l'autre, la déception d'une cruelle 4e position à la tour pour le champion du monde en titre qu'il était alors.
L'année 2008 s'annonçait bien. Despatie était en pleine force de l'âge à 23 ans et en pleine possession de ses moyens. Sauf que quatre mois avant les JO, une fracture du pied droit a complètement chamboulé sa préparation. L'incertitude et la crainte l'ont suivi jusqu'en Chine, où il a rebondi pour décrocher une autre médaille d'argent.
« Je pense que quand je serai plus vieux, je me souviendrai de mes expériences olympiques, plus particulièrement de ma médaille à Pékin, une expérience que je n'oublierai jamais », soutient le Lavallois à la quarantaine de titres nationaux.
Pour Londres, les blessures ont encore marqué sa préparation. Avant de s'ouvrir le front à la mi-juin, il nous avait dit qu'il devait aussi s'adapter à une nouvelle réalité.
« Il faut aussi travailler l'aspect mental parce que ce sont mes derniers Jeux, c'est une autre adaptation. C'est une bonne chose parce que je ne tiens rien pour acquis, même si ce sont mes quatrièmes Jeux. »
Despatie ne pouvait alors mesurer toute la portée de ses propos quand il parlait de l'importance de cette préparation mentale au début avril. Deux mois plus tard, il subissait la plus grave blessure de sa carrière. Il s'est fracassé le front sur le tremplin de 3 m pendant l'exécution d'un triple saut périlleux et demi lors d'un entraînement en prévision du Grand Prix de Madrid.

Alexandre Despatie
Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson
Un accident, il insiste sur le mot, qui lui a laissé une entaille d'une vingtaine de centimètres juste à la base de la ligne capillaire. Cette blessure lui a également fait perdre toute sensation sur le dessus de la tête.
Si sa forme ne suscite guère d'inquiétude, puisqu'il sortait d'un bloc de 12 semaines d'entraînement intensif avant l'accident, l'aspect psychologique représentait toujours un point d'interrogation avant son départ pour un camp d'entraînement en Italie le 9 juillet.
« Il faut rester positif et continuer à travailler. Il faut que je sois constructif et productif dans ce que je fais. Je ne dois pas m'acharner à me demander pourquoi je suis dans cette situation-là. Ça ne sert à rien, ça ne va m'amener nulle part, sinon en arrière. Je ne cache pas qu'il y en a des journées où ce n'est pas facile, ce n'est pas toujours rose », confiait-il lors d'une conférence de presse avant son départ pour les JO le 5 juillet.
Tant sur le plan physique que psychologique, Despatie est très bien entouré. Comme il n'est pas très porté sur la visualisation, le travail de simulation de mouvements proposé par son psychologue Wayne Holliwell l'aide à savoir ce qu'il doit ressentir. Son meilleur ami et entraîneur, l'ancien plongeur Arturo Miranda, gère ses frustrations quand l'entraînement ne se déroule pas à son goût.
Courage et détermination
Nul doute que le plongeur québécois, qui prendra part aussi au 3 m synchronisé avec Reuben Ross, trouve l'art de se compliquer la vie avant les compétitions majeures. C'est un peu l'histoire de sa vie.
Le dos en mars 2005 à la suite d'une entrée plate dans l'eau de la tour quatre mois avant les Championnats du monde. Mais il avait trouvé le tour d'enlever l'or au 1 m et au 3 m à Montréal. Ce qui faisait de lui le seul plongeur sacré champion du monde dans toutes les épreuves individuelles, record qui tient toujours d'ailleurs, puisqu'il avait décroché le titre à la tour deux ans plus tôt. Le pied droit avant les Jeux de Pékin, puis le genou gauche au début 2011 qui l'a tenu à l'écart de la piscine pendant un an.
Bien des athlètes auraient baissé les bras depuis longtemps. Mais c'est mal connaître Despatie. Il a toujours travaillé d'arrache-pied pour se maintenir au sommet de son sport. Il paraît que sa persévérance lui vient de son père.
Preuve de son immense courage et de sa détermination remarquable, chaque fois, il a fait face à l'adversité pour, contre toute attente, revenir avec une médaille au cou. Comme en février dernier, quand il a mis la main sur le bronze à la Coupe du monde de Londres à sa première compétition depuis sa blessure au genou. Du coup, il assurait une place au Canada au tremplin de 3 m aux Jeux de Londres.

Alexandre Despatie
Photo : La Presse canadienne / Mike Ridewood
« C'est un gros défi de me préparer dans ces circonstances-là. L'adversité, je vais en avoir jusqu'à la fin [des JO] aussi. En même temps, ça me donne l'occasion de me dépasser davantage. C'est aussi ça les Jeux olympiques, c'est d'aller chercher plus creux au fond de soi-même pour trouver l'énergie, la performance rêvée. C'est ce que je recherche. J'ai l'habitude de relever les défis et c'est ce que je vais continuer de faire. »
On sent cependant une résistance à parler de résultats. D'autant plus qu'avant son départ pour l'Europe, il n'avait pas recommencé à pratiquer sa liste de plongeons de compétition, dont ce fameux triple périlleux et demi. Chose faite maintenant.
Despatie est toutefois un féroce compétiteur. Et la possibilité d'aller chercher LA seule médaille qui manque à son palmarès a de quoi réveiller son appétit.
« Évidemment, c'est mon objectif, c'est mon rêve depuis que je suis tout petit de gagner une médaille d'or olympique. La médaille va toujours être importante. Je pense qu'avec les récents événements, juste d'être là-bas est un accomplissement. Mais au moment des Jeux, je vais vouloir performer parce que c'est dans ma nature, parce que je suis un compétiteur et ça, ça ne changera jamais. »
En effet. Parce que bien qu'il refuse de se comparer à Greg Louganis, qui avait enlevé l'or aux Jeux de Séoul après avoir heurté le tremplin avec sa tête dans les préliminaires, dans son for intérieur, Despatie voudrait bien suivre les traces du plongeur américain.