Québec poursuit l'industrie du tabac pour 60 milliards

Les ministres Fournier et Bolduc en point de presse
Photo : La Presse canadienne / Clement Allard
Prenez note que cet article publié en 2012 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Québec a annoncé vendredi qu'il poursuit l'industrie du tabac pour un peu plus de 60 milliards de dollars en raison des coûts de santé liés au tabagisme. Sans surprise, sa décision a été saluée par les militants antitabac, mais critiquée par Imperial Tobacco, l'une des compagnies visées par la poursuite.
Selon le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, le montant réclamé couvre les frais que le gouvernement du Québec a engagés depuis l'entrée en vigueur du régime québécois d'assurance maladie, en 1970. Il a ajouté que la réclamation comprenait également des dépenses que le gouvernement prévoit faire à l'avenir. « Ceci s'explique par le fait que les fumeurs continuent d'éprouver des problèmes de santé importants tout au long de leur vie », a-t-il déclaré. Pour cette raison, Québec a choisi d'estimer les coûts de santé liés au tabagisme jusqu'en 2030.
Nous sommes très préoccupés par les effets du tabagisme auprès de la population du Québec et des coûts qu'il engendre dans notre système de santé. Pour nous, il est temps que les fabricants des produits du tabac assument leurs responsabilités.
En appui aux propos de son collègue, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a de son côté expliqué que les maladies causées par le tabagisme, comme les maladies cardiovasculaires, le cancer du poumon ou encore les maladies pulmonaires obstructives chroniques, entraînaient des traitements extrêmement dispendieux qui pèsent à long terme sur le système de santé. « Quand vous regardez cela en perspective, ces gens-là ne sont pas seulement malades dans le passé, mais également vont continuer d'être malades jusqu'à facilement 2030, pour ceux qui vont survivre jusque-là », a dit Yves Bolduc.
Dans sa requête, Québec soutient que les fabricants de tabac ont fait de fausses déclarations au sujet de la dangerosité et de l'effet addictif des produits du tabac. Le gouvernement juge aussi qu'ils ont omis d'informer les consommateurs sur les caractéristiques véritables de leurs produits et qu'ils les ont induits en erreur sur les effets nocifs. « Nous croyons que ces agissements ont été faits volontairement et de façon concertée », a dit le ministre de la Justice.
La poursuite ne vise pas seulement les fabricants canadiens de tabac, mais également des compagnies étrangères et le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac.

Une requête « très élaborée »
Le gouvernement qualifie la poursuite de « démarche judiciaire sans précédent pour le Québec ». Il dit déposer une requête très élaborée qui cite plus de 1300 documents émanant des compagnies de tabac et qui présente une évaluation rigoureuse des coûts des soins de santé reliés au tabac.
« Cette évaluation, en tout début de procédure, nous distingue et nous permet aujourd'hui de présenter une réclamation, bien qu'impressionnante par son montant, réaliste quant à son évaluation », a déclaré le ministre de la Justice.
Le ministre Fournier a tenu à préciser que la démarche du gouvernement était différente des deux recours collectifs intentés contre les fabricants des produits du tabac au Québec quant à l'objet des réclamations. Il a affirmé que ces deux recours pouvaient donc continuer à cheminer en parallèle avec l'action gouvernementale.
D'autre part, le ministre Fournier a affirmé que l'industrie du tabac engendrait des profits importants. Il a avancé qu'en 2011, les multinationales auxquelles appartiennent les compagnies défenderesses ont fait des profits totalisant environ 20 milliards de dollars canadiens, ajoutant du même souffle que ces compagnies ont fait d'énormes profits au cours des 60 dernières années.
Selon le gouvernement du Québec, l'industrie du tabac a agi de façon à rendre la consommation de tabac attrayante, et à amoindrir la portée des messages de prévention exigés par les autorités de santé publique.
Québec avait adopté, en juin 2009, un projet de loi lui permettant de poursuivre, au nom de la collectivité, les compagnies de tabac afin de récupérer une partie des coûts des soins de santé liés au tabagisme. Il avait ensuite annoncé, en octobre de la même année, qu'il comptait aller de l'avant avec une poursuite.
Le fabricant canadien Imperial Tobacco Canada Ltée a dénoncé « l'hypocrisie » du gouvernement du Québec. Dans un communiqué, le vice-président aux affaires juridiques du cigarettier, Donald McCarty, a accusé Québec de chercher « à se faire du capital politique tout en oubliant qu'il a été un partenaire principal de l'industrie du tabac pendant des décennies ».
Les gouvernements nous ont mis sous licence, ils nous ont taxés, de même que nos consommateurs, et ils nous ont réglementés alors qu'ils étaient pleinement conscients des risques associés à l'usage du tabac.
Les militants antitabac ont de leur côté salué l'initiative du gouvernement. La Société canadienne du cancer s'est dite « soulagée que le gouvernement du Québec intente enfin un procès aux fabricants de produits du tabac ». L'impact du tabagisme est de 4 milliards de dollars par année en coûts directs et indirects, alors que les taxes ne rapportent au coffre québécois que 850 millions de dollars, a-t-elle souligné.
Québec emboîte le pas à d'autres provinces
En 2005, la Cour suprême du Canada avait statué que la Colombie-Britannique avait le droit de poursuivre les compagnies de tabac pour leur réclamer le coût des traitements reliés au tabagisme. Ce jugement reconnaissait la validité de la loi adoptée par Victoria pour récupérer les coûts des traitements liés au tabagisme. Il avait ouvert la porte à l'adoption de telles lois dans les autres provinces canadiennes.
D'autres provinces poursuivent l'industrie du tabac pour les coûts de santé reliés au tabagisme :
- La Colombie-Britannique, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nouveau-Brunswick n'ont pas chiffré le montant des poursuites;
- En septembre 2009, l'Ontario annonçait une poursuite de 50 milliards de dollars;
- À la fin mai 2012, l'Alberta a annoncé le dépôt d'une poursuite de 10 milliards de dollars.
Les gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba ont aussi récemment adopté une loi qui leur permettra de poursuivre l'industrie du tabac.
Par ailleurs, en juillet dernier, la Cour suprême a statué que le gouvernement fédéral n'avait pas à participer aux frais de santé liés au tabagisme qui pourraient devoir être payés par les cigarettiers.
De son côté, l'industrie du tabac se défend en disant que la cigarette est un produit légal en vente libre, et que le gouvernement fait preuve d'une certaine hypocrisie en poursuivant l'industrie du tabac tout en permettant la vente du produit.
Rappelons qu'en 1998, aux États-Unis, une entente à l'amiable avait été conclue entre les procureurs généraux de 46 États et les grandes entreprises du tabac. Ces dernières s'étaient engagées à verser 256 milliards de dollars sur 25 ans pour payer les coûts des soins de santé liés au tabagisme.
À l'époque, le gouvernement ontarien de Mike Harris avait tenté d'obtenir 40 milliards de dollars américains, mais les tribunaux des États-Unis avaient statué qu'une telle poursuite devait avoir lieu au Canada.