Ces jeunes qui vivent comme des pros

Le sport, c'est la santé, dit-on. Si les jeunes ne bougent pas assez, ceux qui vivent leur passion sportive le font de plus en plus sérieusement, de plus en plus professionnellement. Trop? Assez pour sonner l'alarme.
Jeudi après-midi, Axel Côté, 12 ans, participe au Tournoi international pee-wee de Québec avec son équipe, les Conquérants des Basses-Laurentides.
Le lendemain matin, c'est le branle-bas de combat : Axel change de sac de hockey, cette fois, c'est avec son programme scolaire de La Plaine qu'il joue, à 11 h. Puis, en début de soirée, un autre match, à l'aréna Saint-Michel, avec les Conquérants.
En fait, Axel et trois autres de ses coéquipiers jouent pour deux équipes de hockey cette saison. L'horaire a de quoi essouffler ces jeunes sportifs.
« Le lundi, je me lève à 4 h 30, je vais m'entraîner sur la glace. Après ça, je vais à l'école jusqu'à 14 h 30 », précise Daven Castonguay, un coéquipier.
« Le soir, il a un entraînement à 18 h avec son autre équipe. Il fait des devoirs entre les deux », de préciser Sylvain, le père d'Axel.
« Le mercredi, c'est la même chose, mais sans entraînement avec les Conquérants », ajoute Axel.
« Deux entraînements par semaine ici, deux avec l'autre équipe, deux matchs par semaine avec l'autre équipe, plus les tournois », résume son père.
« Le mardi, j'ai aussi un cours de cardiovélo », ajoute Daven.
Les parents
Tout ça au nom de la passion, une passion irrésistible pour les parents.
« C'est un peu difficile de l'empêcher, pense Nancy Hogan, mère de joueur. On dit souvent : "C'est assez; il faut que tu prennes un petit temps de répit. " On l'inscrit moins à des programmes de développement. »
« On aime beaucoup le hockey aussi, mentionne Kathy Boucher, mère de Daven. C'est sa passion, on est derrière lui. On va le suivre dans ce qu'il aime. »
Et le hockey, ça se joue sérieusement pour Daven, cet adolescent de 12 ans qui a décidé de se rajouter une charge de travail dans l'intersaison.
« Je vais avoir un entraîneur privé qui va m'entraîner tout l'été. Je vais peut-être jouer dans le AAA pour garder le rythme du hockey. »
« Aujourd'hui, je vois beaucoup de jeunes qui font l'école à la maison alors qu'ils n'ont que 8 ans. À la maison à 8 ans, parce qu'ils ont trop d'entraînements. »
Pour Séverine Tamborero, entraîneuse nationale à Tennis Canada, les jeunes sportifs sont de plus en plus nombreux à vivre comme des professionnels, ou du moins à se prendre pour des professionnels.
« On fait tout vite et tôt. En plus, on a le nutritionniste, le massothérapeute, le psychologue sportif. À 8 ans, quand tu fais du sport, tu le fais pourquoi? Parce que tu as du plaisir à le faire, parce que tu aimes compétitionner, parce que tu veux te dépasser. Tu n'es pas censé commencer à parler de ta gestion d'émotions. »
Un phénomène qu'on voit pratiquement partout rajoute celle qui compte plus de 20 ans d'expérience. Plus d'encadrement, de plus en plus jeune, ça veut dire plus d'attentes, et fort possiblement de mauvais choix autant de la part des jeunes, des entraîneurs que des parents.
Parlez-en à la nutritionniste Mélanie Olivier.
« Un parent d'un jeune qui fait du hockey récréatif m'a dit que quand son enfant est fatigué avant d'aller jouer, il lui donne une boisson énergisante, à 8 ans. J'étais bouche bée. Comme s'il n'y avait plus de différence entre les enfants et les adultes », lance-t-elle.
Il lui arrive de recevoir des hockeyeurs d'à peine 14 ans qui veulent prendre 8 kg durant l'été ou des jeunes qui tiennent absolument à connaître leur taux de gras.
« Les parents peuvent vouloir qu'on leur recommande des suppléments s'ils ont vu, par exemple, un joueur de hockey qui prend des suppléments. Donc, ils se demandent si ça serait approprié pour leur garçon. C'est un enfant, ce n'est pas un adulte. »
Pourquoi?
« De voir des enfants de 9 ans qui sont obligés de passer presque deux heures en physiothérapie pour rétablir un débalancement à l'épaule ou aux hanches, je trouve que c'est rentrer dans l'excès », pense Mme Tamborero.
Tout ça au nom de la passion, disent-ils, mais la passion de qui?
« Certains parents pensent à la LNH quand leur enfant n'a que 12 ans, mais je sais que ce n'est pas comme ça, estime Sylvain Côté. Ils sont trop jeunes pour savoir s'ils vont aller loin. »
Cette pression parentale qui se conjugue de toutes les façons n'est pas nouvelle. Il reste que le sport est un jeu, qui se joue de plus en plus sérieusement pour ces jeunes, fatigués ou pas.
« Parfois, je me sens fatigué, mais je passe par-dessus. Je recommence les autres matins, je continue », explique Daven.
« On se fait dire souvent que c'est beaucoup, mais on dirait qu'une fois dedans, c'est correct », pense Kathy Boucher, sa mère.
Sauf que vivre sa passion la pédale au fond, ça peut causer des dérapages et mener tout droit à la catastrophe. Séverine Tamborero sonne l'alarme.
« On veut des résultats vite, on veut que les jeunes performent rapidement. Pour ça, on prend des moyens qui deviennent très coûteux et des fois ça coûte une carrière sportive, qui au lieu de s'échelonner sur 20, 25 ou 30 ans, s'arrête à 12 ans. »
Des rêves brisés, des carrières stoppées, au nom de quoi?
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