La diplomatie américaine mise à nu

Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, serre la main du roi saoudien Abdallah le 17 novembre 2007.
Photo : AFP / Hasan Sarbakhshian
Prenez note que cet article publié en 2010 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Cinq quotidiens internationaux entament la publication du contenu de près de 250 000 documents diplomatiques américains transmis par le site WikiLeaks. Les documents, mis en ligne de façon progressive, révèlent notamment que l'Arabie saoudite pressait Washington d'attaquer l'Iran par crainte de son programme nucléaire.
Vous pouvez accéder à la base de données de WikiLeaks en cliquant ici : cablegate.wikileaks.org (Nouvelle fenêtre).
Si vous trouvez des documents pertinents relativement aux relations canado-américaines, envoyez-nous un courriel détaillé à l'adresse suivante : temoin@radio-canada.ca (Nouvelle fenêtre).
Ces documents, qui datent principalement des trois dernières années et dont le contenu sera diffusé au cours des prochains jours, sont des analyses et des notes de fonctionnaires américains échangées entre le département d'État et les diverses ambassades dans un format télégraphique.
L'intérêt de la publication de ces documents est qu'ils révèlent de façon franche les relations diplomatiques américaines. On y parle par exemple de l'hypocondrie de Mouammar Kadhafi, chef de l'État libyen, des « folles soirées » du premier ministre italien, et de l'estime de Washington envers Nicolas Sarkozy.
Les capacités nucléaires iraniennes
On trouve dans ces documents diplomatiques américains « secrets » ou « confidentiels » des informations relatives à des sujets plus sensibles comme celui du dossier nucléaire iranien.
Ces documents montrent que l'Arabie saoudite et le Bahreïn ont fait des pressions auprès des diplomates américains afin que soient imposées des sanctions plus fortes sur l'Iran. La possibilité de faire usage de la force a également été soulevée. « [Le roi Abdallah] vous a demandé de couper la tête du serpent », aurait indiqué l'ambassadeur saoudien aux États-Unis. Les Émirats arabes unis, eux, se sont montrés hésitants par rapport à de nouvelles sanctions contre l'Iran.
On y apprend aussi que les services secrets américains se sont rendu compte que la force de frappe iranienne en missiles était beaucoup plus importante que ce que Washington affirmait publiquement. Ces missiles, dont certains proviennent de la Corée du Nord, pourraient atteindre les capitales européennes ou Moscou ainsi que les États-Unis, à mesure que le programme militaire iranien prend de l'expansion.
Diplomates ou espions?
Une autre note révèle que des diplomates américains ont pour mission d'espionner de hauts dignitaires des Nations unies, y compris le secrétaire général, de surveiller leurs allées et venues, et de connaître, entre autres, leurs numéros de carte de crédit afin d'alimenter la banque américaine de renseignements.
La note du département d'État a notamment été envoyée à l'ambassade américaine située dans la capitale canadienne.
L'analyse de documents qui ont été envoyés aux ambassades américaines du Moyen-Orient, de l'Europe de l'Est et de l'Amérique latine ne permet pas, par ailleurs, de conclure que des diplomates américains ont espionné des pays étrangers, un travail réservé aux agences américaines d'espionnage.
Le fonctionnement des câblogrammes
Les câblogrammes américains - c'est le terme technique pour décrire les documents télégraphiques transmis par câble - sont transmis via le Secret Internet Protocol Router Network. Il s'agit d'un réseau Internet militaire qui est géré par le département américain de la Défense. Il fonctionne indépendamment du réseau Internet civil. Les documents ultrasecrets ne passent cependant pas par ce réseau, ce qui explique pourquoi de grands secrets d'État n'ont pas été dévoilés lors de cette fuite.
Des sujets de toutes sortes
Le quotidien américain New York Times annonce sur son site web que plusieurs articles seront publiés sur divers sujets dont:

Vladimir Poutine et Silvio Berlusconi (archives)
Photo : La Presse canadienne / Mikhail Klimentyev
- des discussions américano-pakistanaises sur le retrait d'uranium pakistanais enrichi;
- des discussions sur l'éventuelle réunification des deux Corées dans l'éventualité où le pouvoir nord-coréen s'effondre;
- des négociations avec la Slovénie, la Belgique et la Kiribati, un petit État de la Micronésie, autour du transfert de prisonniers de Guantanamo;
- des allégations de corruption relativement au vice-président afghan (il s'est rendu aux Émirats arabes unis avec 52 millions de dollars américains en argent comptant);
- une cyberattaque de Pékin envers les serveurs chinois de Google;
- des alliés hésitants dans la guerre au terrorisme;
- une intrigante alliance entre Vladimir Poutine et Silvio Berlusconi;
- la livraison d'armes par la Syrie à la branche libanaise du Hezbollah;
- des discussions avec l'Allemagne afin que Berlin ne porte pas d'accusations contre des agents de la CIA qui n'ont pas respecté les droits d'un Allemand. L'homme, sur l'identité duquel la CIA s'était trompée, a été kidnappé et retenu contre son gré en Afghanistan pendant plusieurs mois.
Le Canada et les fuites
Pour l'instant, aucune histoire majeure touchant le Canada n'a été révélée par les médias. D'ailleurs, le Canada ne se retrouve pas dans la carte du quotidien anglais The Guardian qui montre les pays touchés par cette fuite.
On sait cependant que des 251 287 documents reçus, plus de 2000 proviennent du Canada.
- Ambassade canadienne : 1948
- Consulat de Toronto : 145
- Consulat d'Halifax : 136
- Consulat de Montréal : 82
- Consulat de Québec : 52
- Consulat de Vancouver : 44
- Consulat de Calgary : 14
Le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a déclaré dimanche que « ce genre de fuites irresponsables est déplorable et ne sert les intérêts nationaux de personne. Leurs auteurs risquent de menacer notre sécurité nationale. »
Méthodologie
Les quatre quotidiens choisis par WikiLeaks, soit Le Monde, El Pais, Der Spiegel et le Guardian, ont eu accès à tous les documents confidentiels depuis quelques semaines. Quant au New York Times, c'est le Guardian qui lui a remis les documents. L'équipe de WikiLeaks a boudé le quotidien new-yorkais, apparemment en raison de la publication d'articles sur les difficultés légales et organisationnelles de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, selon Bill Keller, du New York Times.
Les journaux ont affecté au total 120 journalistes pour traiter les milliers de documents révélés par Wikileaks. Les journalistes ont partagé les informations et les expertises. Ils ont également décidé ensemble des sujets qu'ils s'interdisaient de traiter, en raison des sources qui leur paraissaient peu fiables.
Par ailleurs, les journaux ont décidé d'établir des listes de personnes, dont ils ne révéleraient pas les noms pour ne pas menacer leur vie. Il s'agit de personnes provenant de pays dictatoriaux ou en guerre.
De plus, tous les journaux ont prévenu Washington de la publication des documents.
Réactions américaines et britannique
L'administration Obama soutient que la diffusion de ces documents pourrait mettre des vies en danger, compromettre des opérations antiterroristes et nuire aux relations des États-Unis avec leurs alliés.
De son côté, le Pentagone a annoncé la mise en place de mesures afin d'éviter une nouvelle fuite de documents confidentiels. Expliquant que le partage d'informations sensibles s'est grandement amélioré après les attentats du 11 septembre 2001, Bryan Whitman, un porte-parole du Pentagone, a indiqué qu'il ne sera plus possible de copier des informations sur des supports informatiques externes, que la supervision des transferts de données sera augmentée, et des systèmes ont été implantés pour contrôler l'accès aux données confidentielles.
Ces récentes fuites, ainsi que celles sur les missions afghane et irakienne, auraient été rendues possibles grâce à Bradley Manning, un ancien analyste militaire qui a copié les documents confidentiels sur un disque réinscriptible.
Le Foreign Office britannique a emboîté le pas dimanche et condamné toute publication de documents classifiés en précisant que les documents peuvent mettre des vies en danger.
WikiLeaks, victime d'une cyberattaque
Les responsables du site WikiLeaks disent avoir été la cible d'une attaque informatique. Le compte Twitter de WikiLeaks précise que l'attaque a été massive et a pris la forme d'un déni de service, une situation qui s'explique par une quantité massive de demandes d'accès aux contenus du site. La situation s'est rétablie en début de soirée, bien que d'autres interruptions sont à prévoir en raison du fort trafic sur le site.
Avec les informations de Agence France-Presse et New York Times