Le Bixi, ennemi du taxi?

Photo : Radio-Canada / Sophie-Hélène Lebeuf
Plusieurs chauffeurs de taxi déplorent les effets de la popularité du système de vélo en libre-service lancé l'été dernier sur leurs revenus, qui ont selon eux diminué de 10 % à 30 %.
« Le Bixi nous a vraiment assommés », résume le conducteur de taxi Rezki Bachir. Il est loin d'être le seul à déplorer les effets de la popularité du système de vélo en libre-service lancé l'été dernier dans les rues de la métropole.
Pour vous en convaincre, mentionnez ce petit mot de quatre lettres aux chauffeurs de taxi montréalais, et vous verrez à quel point il fait réagir.
« En tant que citoyen, je trouve que c'est une très belle idée, ça donne une belle image à ma ville, ça lui donne une particularité. Mais, en tant que chauffeur de taxi,
ça affecte mes revenus. »
Si les uns croient qu'il est malgré tout difficile de s'opposer à ce projet de transport urbain, les autres continuent de regretter qu'il ait vu le jour. Mais là où le sujet fait l'unanimité auprès des travailleurs de cette industrie, c'est que le Bixi leur a fait mal.
L'impact se fait surtout sentir sur les courses dont le prix varie entre 5 $ et 7 $, précise Wesley, qui ne désire pas révéler son nom de famille. Plusieurs constatent que c'est sur le Plateau Mont-Royal et dans le centre-ville que les clients se font moins nombreux.
« C'est devenu très à la mode à Montréal, remarque M. Bachir. Maintenant, plusieurs de mes clients prennent le Bixi pour aller travailler dans le centre-ville. Je les reconnais ou encore ils n'appellent plus. »
Un autre conducteur, qui veut taire son identité, dresse le même constat. « Juste pour voir, un matin, vers 7 h 30-8 h, j'ai compté le nombre de nos anciens clients au coin Garnier et Mont-Royal. Sur 10 personnes qui ont pris le Bixi, 6 prenaient le taxi avant ».
« On voit toutes sortes de monde là-dessus : des hommes en veston cravate, des dames en robe et en talons hauts qui pédalent... Souvent, vous avez un poste de taxi suivi d'une station de Bixi en arrière. Et là, il fait beau! »
Un impact réel, mais difficile à évaluer
Tous les conducteurs s'entendent pour dire que leurs revenus ont vraiment diminué. Leurs estimations varient toutefois entre 10 % et 30 %.
« C'est difficile de donner des chiffres précis parce que le revenu des chauffeurs de taxi n'est pas comptabilisé par la compagnie », explique Peter Foster, directeur du centre d'appel chez Taxi Diamond, la plus grande compagnie de taxis du Québec. « La majorité de nos chauffeurs, comme dans le reste de l'industrie, sont propriétaires de leurs taxis. »
Daniel Bouchard, directeur général du Comité provincial de concertation et de développement de l'industrie du taxi, invite lui aussi à la prudence lorsqu'on avance des statistiques. « On ne peut pas cibler le Bixi comme étant responsable à lui seul d'une diminution de 30% des appels », juge-t-il.
« Il y a eu une baisse importante de l'achalandage à Montréal, et c'est préoccupant, dit-il, reconnaissant que le Bixi a exercé un certain impact. Mais « c'est impossible d'identifier à quel point un seul facteur peut avoir une influence. » « Il n'y a eu aucune analyse sérieuse sur le sujet » et la météo, très clémente cet été, fait fluctuer l'utilisation des taxis », précise-t-il.
Peter Foster, de Taxi Diamond, renchérit. « Il y a tellement d'éléments qui entrent en jeu. En ce moment, le volume d'appels est à la baisse à cause des conditions économiques, puis il y a l'autobus 747, qui fait la navette entre l'aéroport et le centre-ville. »
« Le problème avec le Bixi, c'est le timing. L'industrie du taxi ne va pas bien. Tous ces développements n'ont
vraiment pas aidé l'industrie. »
Le président de Taxi Co-op, Laval Bilodeau, refuse de parler de concurrence déloyale, « sauf qu'on aimerait que la Ville nous donne quelques avantages comparatifs. Disons que les Bixi sont bien gâtés ». Ses solutions ? Qu'on fasse davantage respecter l'accès aux voies réservées et qu'on autorise davantage de virages à gauche afin que les clients, qui « prennent le taxi pour aller plus vite ne restent pas pris dans le trafic ».
Un chauffeur de taxi dénonce pour sa part les travaux de construction, omniprésents dans certaines rues de Montréal, qui occasionnent la fermeture de rues et de multiples détours, faisant selon lui fuir les clients vers les stations de Bixi.
« La clientèle qui nous a désertés pour se rendre au travail en Bixi va nous revenir l'hiver », fait pour sa part valoir Rezki Bachir. Mais « on en arrache, comme on dit en Québécois, poursuit-il. Ce sont des moments très durs. »
Trop durs, en tout cas, pour Wesly, qui, affirme-t-il, quittera le métier d'ici un an. « Quand on se plaint d'une nouvelle mesure, il en arrive une autre pour nous appauvrir », laisse-t-il tomber. Selon lui, certains de ses collègues envisagent eux aussi cette possibilité. Rezki Bachir pourrait en faire partie.
Y a-t-il un impact sur l'achalandage dans les transports en commun?
La Société de transport de Montréal (STM) assure ne pas avoir constaté de baisse de l'achalandage ou de revenus qui pourrait être attribuable au Bixi au cours des deux derniers étés.
Toutefois, ajoute Isabelle Tremblay, conseillère corporative à la Direction principale des affaires publiques à la STM, « une croissance de l'achalandage a été observée à certaines stations de métro près des supports de Bixi ». « Il est impossible de savoir précisément si cette variation est attribuable au Bixi. Aucune corrélation directe n'a pu être mesurée », précise-t-elle.
Cet article est le deuxième sur l'impact du Bixi dans les transports urbains. Le premier démontrait que les entreprises de vélo ont vu leur chiffre d'affaires diminuer. Non seulement ont-elles constaté un impact sur les locations, mais aussi sur les ventes de vélos et d'accessoires ainsi que sur les réparations.