La saga se poursuit
Prenez note que cet article publié en 2010 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La Société de transport de Montréal retournera en appel d'offres pour le remplacement des voitures du métro de Montréal.
Le feuilleton du remplacement des voitures du métro de Montréal se poursuit. Québec a demandé à la Société de transport de Montréal (STM) de reporter d'une semaine l'appel d'offres international qu'elle devait lancer le 30 septembre.
Ce nouvel appel d'offres avait été annoncé en juillet dernier par la STM. Le conseil d'administration de la société donnait alors suite au rapport que lui a remis la firme Hatch Mott MacDonald sur la conformité de la candidature de l'entreprise espagnole Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles (CAF) aux exigences de son avis d'intention international lancé en janvier 2010.

À la suite de cet avis, deux entreprises avaient manifesté leur intérêt à la perspective de soumissionner, soit le manufacturier chinois Zhuzhou Electric Locomotive et le fabricant espagnol CAF. Pour des raisons de capacités techniques, la candidature de Zhuzhou a rapidement été écartée par la STM. La Société a cependant jugé que celle de CAF devait faire l'objet d'un examen.
Le retour en appel d'offres a été reçu comme un véritable camouflet par Bombardier Transport qui tente d'obtenir ce contrat depuis 2005. Début août, le consortium formé par Bombardier et Alstom a d'ailleurs entrepris des démarches judiciaires pour faire annuler ce nouvel appel d'offres, arguant que cette démarche était illégale.
Bombardier Transport, qui détient 20 % du marché mondial de son secteur, se croyait pourtant au bout de ses peines en fin d'année 2009. En consortium avec l'entreprise française Alstom, la multinationale avait alors enfin réussi à s'entendre avec la STM après neuf mois de négociations sous la houlette de l'ancien premier ministre Lucien Bouchard.
Le lancement d'un nouvel appel d'offres était pourtant loin d'être impossible, au contraire. La porte-parole de la STM, Odile Paradis, confirmait au début juillet, que si la candidature de CAF était jugée conforme, tout le processus d'appel serait repris à zéro.
Selon La Presse Affaires, le président de la STM, Michel Labrecque, envisageait à la fin juin de revoir tout le devis de son appel d'offres de 2008. « On doit aussi revalider avec le gouvernement du Québec les conditions qui avaient été déterminées, comme le pourcentage de contenu canadien, l'assemblage final qui doit se faire ici, l'échéancier pour les livraisons, la quantité de voitures, etc. », indiquait Michel Labrecque au journaliste de La Presse Affaires.
Appelé à commenter cette déclaration, le porte-parole de Bombardier, Marc-André Lefebvre, s'expliquait mal que la STM puisse revoir en partie les exigences de contenu canadien. « Une simple baisse de 5 % de contenu canadien se traduit par la perte de centaines, voire de milliers d'emplois », fait-il valoir.
La préparation de nouveaux devis pourrait entraîner des délais supplémentaires de deux ans.
Un processus coûteux
La STM a déjà dépensé 18 millions de dollars en frais pour le premier appel d'offres. Ces coûts, poursuit M. Lefebvre, s'ajouteront à ceux de la préparation d'un second appel d'offres et aux frais d'entretien de voitures de métro désuètes.
Pour sa part, Bombardier admet avoir dépensé plus de 10 millions de dollars pour répondre aux exigences de la STM.
Marc-André Lefebvre rappelle que le métro de Montréal sera payé à 75 % par le gouvernement du Québec. « Ce sont tous les Québécois qui vont se payer un métro », note-t-il. Et les retombées économiques pour l'ensemble des Québécois sont donc très importantes, ajoute M. Lefebvre.

Le lancement d'un nouvel appel d'offres rend la survie de l'usine de La Pocatière beaucoup plus incertaine. Déjà, Bombardier prévoit qu'elle comptera un peu moins de 180 employés dans cette usine en mars 2011. Née avec le métro de Montréal (Nouvelle fenêtre), l'usine a déjà compté jusqu'à 1200 employés, mais en moyenne 900 personnes y ont travaillé au cours des dernières années.
Le contrat du métro de Montréal serait aussi venu consolider les emplois de l'usine Alstom à Sorel-Tracy.
Les répercussions d'un nouvel appel d'offres se feront sentir aussi à Saint-Bruno, où Bombardier gère son centre d'expertise en ingénierie pour l'Amérique du Nord; 500 personnes y travaillent. « Et ce sont des emplois de haut savoir que l'on va perdre », relève M. Lefebvre.
L'allongement des délais inquiètait aussi l'Association d'équipements de transport et de véhicules spéciaux, qui se demandait, au printemps 2010, si le secteur aurait les moyens de patienter encore longtemps. Le directeur général, Denis Robillard, se demandait d'ailleurs pourquoi le Québec n'imitait pas le Mexique, qui a choisi de ne pas lancer de nouvel appel d'offres pour remplacer les voitures du métro de Mexico, invoquant l'urgence de remplacer des voitures fabriquées en 1967. « Nos entreprises ont besoin de ce contrat pour dynamiser leurs activités et regarnir leurs carnets de commandes », souligne M. Robillard.
Le consortium Bombardier/Alstom, qui a déjà négocié avec d'éventuels fournisseurs, précise que 165 sous-traitants canadiens, dont 90 entreprises québécoises, sont associés à son entente de décembre 2009 avec la STM. Ce sont des retombées annuelles de 250 millions de dollars, estime Marc-André Lefebvre, dont 35 % directement dans la région de Montréal.
Bombardier précise que l'attribution du contrat du métro de Montréal se traduirait par 12 000 emplois, dont 3800 emplois directs, surtout concentrés au Québec. Selon l'étude ADEC, commandée par Bombardier, 5,7 emplois indirects aurait été créés pour chaque million investi pendant les 10 ans de réalisation du contrat négocié en 2009.
En liant ainsi le développement d'un secteur ou celui d'une région à une commande de cette importance, le Québec avait fait un choix économique que bien d'autres ont fait avant lui, souligne le directeur de la Corporation de développement économique (CDE) de La Pocatière, François Gendron. M. Gendron croit qu'il y a tout de même un vrai risque de fermeture pour l'usine de La Pocatière.
Quel intérêt de rester au Québec pour une usine qui exporte 90 % de sa production aux États-Unis?
- François Gendron, directeur de la CDE de La Pocatière
Il ajoute que le développement de la filière en technologie physique dans la région a pu se faire grâce à un grand client comme Bombardier.
La fermeture de l'usine entraînerait inévitablement la disparition de ce pôle de développement pour la région. « En région, les ingénieurs, quand ils partent, ils ne reviennent plus. C'est la matière grise qui nous quitte », déplore M. Gendron.
Un compétiteur inattendu : CAF

(archives)
Le remplacement de 336 voitures qui datent de 1965-1966 et de 423 autres qui ont été livrées entre 1976 et 1981 est aussi un enjeu d'importance pour l'entreprise espagnole CAF, qui espère ainsi effectuer une percée en Amérique du Nord. L'entreprise y a réalisé jusqu'à maintenant des contrats pour cinq villes d'importance dont Mexico, Sacramento et Houston.
CAF, qui a un volume annuel de commande d'environ 6 milliards de dollars (4,1 milliards d'euros), souhaiterait bien mettre la main sur le contrat de la STM, ce qui représente la moitié de son volume d'affaires annuel.
L'entreprise n'avait pas manifesté son intérêt lors du la publication de l'appel d'offres pour le renouvellement de 342 voitures de métro.
Les seuls constructeurs à s'être procuré le devis technique de l'appel d'offres publié par la STM en 2008 demeurent donc Bombardier et Alstom. À la lecture de ce devis, les deux entreprises ont par la suite fait parvenir plus de 230 demandes de précision à la STM.
CAF a toutefois soutenu avoir déposé un volumineux dossier à la STM en réponse à l'avis international publié en janvier 2010 à suite des changements survenus à l'appel d'offres de 2008. La publication de cet avis était requise, puisque la commande de la STM passait de 342 à 765 voitures sur pneumatique.

L'IREC estime qu'un accord de libre-échange avec l'Europe aurait rendu impossible l'octroi du contrat des wagons du métro de Montréal à un consortium formé de Bombardier et d'Alstom.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
C'est ainsi que la STM a mandaté Hatch Mott MacDonald pour vérifier d'abord la capacité de CAF de respecter les exigences de 60 % de contenu canadien. Pour vérifier la conformité de la candidature de CAF, la STM devait vérifier la capacité financière et technique de l'entreprise ainsi que sa capacité manufacturière et organisationnelle de répondre à la commande dans les délais requis. Selon l'avis international de la STM, pour remplir son mandat, la firme Hatch Mott MacDonald pouvait demander à CAF toutes les informations jugées pertinentes à son analyse. La candidature a été jugée conforme.
Un des principaux points en analyse était l'expertise technique de CAF dans la construction de voitures sur pneumatique.
Dans le monde, seules Alstom, Bombardier et CAF ont mis au point une technologie de roulement sur pneumatique. Depuis 1955, Bombardier et Alstom ont obtenu une trentaine de commandes de construction de voitures avec bogies sur pneumatiques, pour un total de plus de plus de 32 400 millions de km roulés. La technologie toute récente de CAF développée pour le métro de Santiago est utilisée depuis novembre 2009.
Le coeur industriel de l'entreprise, soit la conception et la fabrication de wagons, est encore situé principalement dans ses usines espagnoles.
Pour répondre à l'exigence de 60 % de contenu canadien, elle devra tisser des liens avec les différents fournisseurs canadiens. En plus de s'installer au Québec, CAF doit donc y développer une assise industrielle et organisationnelle. Le soumissionnaire devra livrer ses premiers wagons 32 mois après la signature du contrat, et ensuite, à partir de la construction du troisième train, livrer un train par mois. CAF soutient qu'elle pourrait livrer les premières voitures en moins de deux ans.
L'entreprise est par ailleurs en forte croissance : 17,5 % entre 2008 et 2009. Elle a ouvert deux usines de montage et de finition en 2009, en Amérique du Sud, et en a acheté une autre, toujours en 2009, près de New York.
Quelques ennuis
CAF, qui a construit 192 voitures pour le métro de Washington entre 1998 et 2000, a fait l'objet d'une enquête du NTSB aux États-Unis pour une série de déraillements. Le principal déraillement qui a fait une vingtaine de blessés a été attribué à une erreur humaine.
Après avoir remporté, au nez d'Alstom, un important contrat pour la construction de 103 voitures à Houston, CAF vient tout juste de demander à Houston Metro une exemption aux règles de contenu local. Une enquête est aussi en cours auprès de Houston Metro relativement à son entente avec CAF sur la conformité aux exigences de 60 % de contenu américain et d'assemblage final aux États-Unis.
CAF avance qu'elle pourrait livrer les voitures pour 15 % à 20 % moins cher que l'offre du consortium Bombardier/Alstom

Fondamentalement, personne ne connaît le prix négocié entre le consortium et la STM pour parvenir à l'entente de décembre 2009. Le porte-parole de Bombardier, Marc-André Lefebvre, consent à dire que la valeur du contrat est en deçà du chiffre de 3,5 milliards qui a été avancé ici et là dans les médias. Bombardier se défend bien d'avoir voulu saler la facture. « Le prix a été validé par une firme indépendante, et le prix a été jugé particulièrement intéressant et l'entente très convenable », affirme M. Lefebvre.
Ce dernier soutient que lors des pourparlers lancés au printemps 2009 pour parvenir à une entente, Bombardier a même offert à la STM de lui ouvrir ses livres. Il ajoute que depuis le 14 décembre dernier, l'appréciation de la valeur de la devise canadienne permettrait à la STM d'épargner plusieurs dizaines de millions de dollars si le contrat était signé demain matin. De plus, la facture peut aussi grimper avec l'ajout d'exigences en contenu local ou d'entretien à long terme. En cette matière, les exigences de la STM envers Bombardier/Alstom auraient été celles d'un métro de nouvelle génération avec une absence de paroi entre les wagons, des fenêtres arrondies ou la capacité du système d'entretien de générer un autodiagnostic.
Dans un article du 28 avril dernier, Le Devoir avançait que, selon ses sources, le rapport de la STM recommandait la qualification de CAF. Après avoir pris connaissance de cet article, Bombardier et Alstom ont écrit au président de la STM, Michel Labrecque, pour lui faire part de leurs inquiétudes sur les critères de qualification retenus par la firme mandatée par la STM. Ils ont par la suite déposé une requête pour que soit annulé l'avis public international qu'ils jugeaient non conforme à la lettre d'autorisation du ministre Lessard. Pour le consortium, la capacité technique et financière de CAF aurait dû être analysée en fonction des exigences de l'appel d'offres de 2008. Ainsi, le devis de 2008 de la STM exige que la technologie pneumatique ait été éprouvée pendant au moins cinq ans ou 400 000 km, ce que ne spécifie pas l'avis international.
Cette prétention a été rejetée par le juge André Wéry de la Cour supérieure du Québec, le 30 juin dernier.
À la suite de ce jugement, la STM a donc repris le dossier. La société n'est, par contre, pas la seule à avoir voix au chapitre.
La Loi sur les transports en commun confère toujours au ministre responsable des Affaires municipales la possibilité d'accorder un contrat sans appel d'offres. C'est l'article 103 de cette loi qui a permis à la STM de lancer les pourparlers d'abord avec Bombardier, puis par la suite avec le consortium formé par Alstom et Bombardier.
En déboutant Bombardier et Alstom, le juge Wéry a tout de même souligné que, selon la lettre d'autorisation d'avril 2009 sur la négociation d'une entente de gré à gré dans le consortium Bombardier/Alstom, il revient toujours au ministre des Affaires municipales d'autoriser la STM à attribuer un contrat négocié ou au contraire de la laisser lancer un nouvel appel d'offres.
C'est donc le gouvernement du Québec qui a le dernier mot.
Pour le moment, une chose est certaine, si le contrat était signé demain, les premières voitures sortiraient de l'usine au plus tôt en 2013. Les Montréalais continueront donc de voyager dans les plus vieilles voitures de métro au monde pour encore quelques années. Près de la moitié de la flotte a plus de 43 ans.