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Des prix à la livre et au kilo qui alimentent la confusion

Même si le montant à payer revient au même, l’affichage à la livre est perçu moins cher que celui au kilo.

Une balance avec un prix à la livre, un autre au kilo

L’un de ces prix vous semble-t-il plus élevé que l’autre? Attention aux perceptions!

Photo : Radio-Canada / Josselin Pfeuffer

Un contrefilet de bœuf à 16,99 $ la livre ou à 37,46 $ le kilogramme : malgré l’adoption du système métrique au Canada, les détaillants continuent à mettre d’abord en évidence le prix de la majorité de leurs produits frais à la livre plutôt qu’au kilo. Une pratique leur permettant de faire paraître leurs prix moins élevés qu’ils ne le sont réellement.

Je n’ai pas le moindre doute sur le fait que les prix paraissent plus bas à la livre, indique Mrugank Thakor, l’un des auteurs d’une étude sur la perception des prix qu’ont les consommateurs selon leur affichage à l’épicerie.

Même si le montant à payer revient au même une fois à la caisse, l’affichage au kilogramme est perçu plus cher que celui à la livre par les consommateurs.

Les travaux menés par l’équipe de l’Université Concordia ont montré que les consommateurs accordent en fait plus d'importance aux chiffres qu’à l’unité de mesure à laquelle les prix sont pourtant rattachés. Les prix à la livre leur paraissent donc moins élevés que ceux au kilo, mais seulement parce que le chiffre devant l’unité de mesure est moindre.

De plus, les consommateurs évaluent souvent mal le prix réel d’un aliment affiché au poids avant d’arriver à la caisse, et ont parfois une mauvaise surprise.

L’impression que les aliments à la livre sont moins chers qu’ils ne le sont perdure jusqu'à la caisse. Puis, vous payez, et c’est le prix au kilo qui se retrouve sur la facture.

Une citation de Mrugank Thakor, Université Concordia

Mais je pense que la plupart des gens ne regardent pas les prix réels de ce qu’ils achètent au poids sur leur reçu, convient le chercheur.

Système métrique... ou impérial?

Au Canada, le système métrique a cours depuis maintenant 50 ans. Mais, dans les faits, son usage varie selon les unités de mesure.

La longueur, la température tout comme la masse sont tantôt mesurées selon le système métrique – en mètres, en Celsius et en grammes –, tantôt selon le système impérial – en pieds, en Fahrenheit et en livres.

C’est notamment le cas à l’épicerie, et dans les circulaires où se retrouvent les rabais, pour les aliments frais, comme les fruits et légumes, les viandes et les poissons.

La loi stipule que les quantités nettes associées aux aliments doivent être affichées selon leur poids ou leur volume. Même si le système métrique a cours, le poids des aliments qui ne sont pas emballés peut aussi être affiché à la livre, à condition que les deux unités de mesure soient combinées.

La plupart du temps, c’est toutefois le prix à la livre qui est mis en évidence, en étant affiché en plus gros caractères par exemple, et non celui au kilo (souvent écrit plus petit ou encore dessous) comme on pourrait s’y attendre.

Ils ont le droit de le faire, précise Mrugank Thakor, et c’est ce qui permet aux détaillants de faire paraître leurs aliments frais comme étant moins chers. Si ce n’était pas le résultat, l’affichage à la livre aurait disparu depuis longtemps des épiceries, croit-il.

Les chercheurs de l’Université Concordia ont également démontré que l’écart dans la perception des prix diminuait lorsque le chiffre et l’unité de mesure avaient une taille identique, contrairement à la pratique courante d'afficher le prix plus gros.

Les consommateurs semblaient également comprendre davantage que les prix à la livre et au kilo étaient équivalents lorsqu’ils avaient la même importance dans l’affichage.

Mrugank Thakor suppose que de modifier l'affichage ainsi pourrait éventuellement permettre au système métrique de prendre le dessus sur le système impérial au Canada.

Une question de perception

Le PDG de l’Association des détaillants en alimentation du Québec, Pierre-Alexandre Blouin, estime en effet que tout est lié à la perception des prix par les consommateurs.

Selon lui, leurs habitudes peuvent aussi expliquer pourquoi les détaillants font ce choix. Les consommateurs ont toujours ce réflexe-là, évoque-t-il, en parlant de l’achat à la livre. Mais il évoque l'idée que l’affichage puisse éventuellement s’adapter aux changements générationnels.

Les auteurs de l’étude ont également noté que les commerces affichant leurs prix au kilo étaient perçus plus élevés par les consommateurs que ceux qui privilégiaient le système impérial. Ils ont donc tout avantage à continuer d'afficher leurs prix à la livre.

Ces tactiques, bien que légales, peuvent-elles se rapprocher de la tromperie? C’est ce qu’on pourrait penser, reconnaît Mrugank Thakor. Mais, en réalité, c’est aussi une pratique qui incite les gens à acheter plus de fruits et légumes frais que d’aliments transformés, affichés à l’unité et selon le système métrique.

L’expert estime donc que ce n’est pas une si mauvaise chose pour la santé du public, contrairement à son portefeuille.

À chacun sa tasse à mesurer

Une tasse à mesurer.

Combien de millilitres fait votre tasse? Tout dépend où vous cuisinez!

Photo : iStock

Il n’y a pas que le poids qui peut causer de la confusion auprès des consommateurs.

Au Canada, les volumes sont aujourd’hui mesurés en litres, contrairement à d’autres pays du Commonwealth et aux États-Unis, où les onces ont cours, mais n’ont pas la même valeur.

L’once impériale équivaut à 28,4 ml, alors que l’once américaine, à 29,6 ml.

Les États-Unis ont pensé uniformiser les mesures en faisant adopter un système universel à la fin des années 1960. Ce système international d’unités allait se baser sur le système métrique, avec ses mètres et ses kilogrammes.

Au moment de passer des onces aux litres, le Canada a arrondi, en 1972, la tasse impériale de 227 ml à 250 ml, soit le volume de la tasse métrique, plus répandue dans le monde et plus pratique dans la cuisine.

Les États-Unis, quant à eux, n’ont finalement pas adopté le système qu’ils avaient proposé.

Ainsi, même si une tasse fait 8 onces partout sur la planète, cela correspond à 236 ml aux États-Unis, à 250 ml au Canada et à 227 ml dans d’autres pays qui ont maintenu le système impérial.

Quand la réduflation s’ajoute à l’équation

Pas évident, dans ce contexte, de suivre une recette canadienne, américaine ou britannique qui demande d’ajouter une tasse d’un des ingrédients.

D’autant plus que la réduflation (eh oui, encore!) se met parfois de la partie, rappelle Jordan Lebel.

Il y a des produits qui sont des ingrédients dans des recettes qui voyagent à travers Internet et dans les livres, explique l’expert spécialisé en marketing alimentaire.

Un bon exemple est la crème, que des recettes demandent parfois en quantité d'une ou deux tasses.

Auparavant, on l'achetait au Canada en berlingot de 250 ml ou de 500 ml. Puis, son format a été réduit à 237 ml et à 473 ml – ce qui n’est pas le format de l’ancienne tasse canadienne, mais plutôt celui de la tasse américaine.

On doit depuis acheter deux contenants pour équivaloir à une ou deux tasses canadiennes, au risque de gaspiller le reste du deuxième. Il y a des conséquences comme ça auxquelles on ne réfléchit pas nécessairement, intervient Jordan Lebel.

Ben & Jerry a réduit l'an dernier son contenant de crème glacée de 500 ml à 473 ml, dans un effort d’en uniformiser le format avec celui vendu dans d’autres pays (473 ml équivalent à la chopine de 16 onces, ou deux tasses, vendue aux États-Unis).

Même principe chez Saugeen Country : en voulant remplacer son contenant de yogourt pour qu'il compte 40 % moins de plastique, l’entreprise a dû procéder à une réduction de 9,2 %.

Pourquoi? Parce que ledit contenant n’est fabriqué qu’aux États-Unis, qui privilégient aussi le système impérial pour le poids, dans un format de 2 lb, soit 908 g (plutôt que celui de 1 kg vendu auparavant).

Un effort de mémorisation

Un extrait de journal.

Extrait du Deseret News intitulé « ENQUÊTE SUR LA CONSPIRATION : QU'EST-IL ARRIVÉ À LA CANNE DE 1 LIVRE », 1988

Photo : Archives

L’un des premiers cas documentés de réduflation, en 1988, montre bien l’enjeu de la perception des unités de mesure par les consommateurs.

L’entreprise américaine Chock Full o’ Nuts avait réduit son emballage de café d’une livre à 13 onces, plutôt que 0,8 livre. La réduction, combinée au changement d’unité de mesure, avait alors de bonnes chances de passer inaperçue aux yeux des consommateurs.

Identifier les cas de réduflation est une tâche complexe. Les réductions ne sont pas annoncées et les formats réduits et ceux d’avant se côtoient rarement sur les tablettes.

On se fie à la capacité des consommateurs à mémoriser les quantités et volumes inscrits sur le recto des emballages et leurs prix.

En règle générale, la réduflation suppose que le format diminue alors que le prix reste le même, ou augmente légèrement. Il arrive parfois que le prix diminue, mais la quantité perdue du produit reste habituellement supérieure aux économies consenties aux consommateurs.

Quand on fait l’épicerie, on achète un grand nombre de produits, souvent plus qu’une centaine dans notre panier, rappelle Maryse Côté-Hamel. On ne prendra pas nécessairement le temps d'analyser le prix de chacun d’entre eux.

L’experte en science de la consommation évoque, par exemple, la psychologie du prix, alors que les consommateurs sont plus susceptibles de mémoriser les prix se terminant par 0, 5 et 9 que les autres.

C’est plus facile de se rappeler que le produit est à 3,99 $ qu’à 3,86 $

Une citation de Maryse Côté-Hamel, Université Laval

La professeure à l'Université Laval rappelle toutefois que les consommateurs ont un outil, au Québec du moins, pour surveiller et comparer les prix : l'affichage du prix par unité de mesure.

Si l’information est clairement indiquée au 100 g, c'est quand même possible pour le consommateur de comprendre combien ça lui coûte, explique-t-elle. Ça devient un choix personnel.

Reste qu’à travers la multiplication des formats et des unités de mesure, qui s’additionnent aux réductions de formats et aux augmentations de prix, faire l’épicerie n’a jamais été une tâche aussi complexe pour le consommateur.

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