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Enquête

La firme McKinsey et une formation en humour pour aider les cadres du CHUM

Les gestionnaires de la santé du Québec sont « accros » aux consultants externes depuis la pandémie.

La façade du Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

Le Centre hospitalier de l'Université de Montréal a signé des contrats avec le cabinet-conseil américain McKinsey et l'École nationale de l'humour.

Photo : Radio-Canada / Charles Contant

Les établissements publics de santé du Québec dépensent des millions de dollars pour des contrats avec des firmes et des experts-conseils privés pour faire du travail habituellement dévolu à leurs gestionnaires. La pandémie et la pénurie de cadres seraient à l'origine de cette relation de dépendance toujours plus grande.

En février, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches a signé un contrat avec options, de 415 000 $, avec un consultant externe pour un rôle de cogestionnaire médical. En collaboration avec la direction, cette personne doit notamment assurer la gestion des ressources humaines, matérielles et financières.

Quand le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine a perdu son directeur des ressources humaines (DRH), l'an dernier, l'embauche d'une nouvelle DRH n'a pas suffi. L'établissement a payé 50 000 $ un coach en gestion pour de l'expertise stratégique, tactique et opérationnelle auprès de la direction sur l’ensemble de la gestion des ressources humaines de l’organisation.

Vue aérienne du CHU Sainte-Justine.

Le CHU Sainte-Justine, à Montréal

Photo : Getty Images / Sébastien Saint-Jean

Depuis plus d'un an, Radio-Canada a recensé les contrats accordés en soutien à la gestion par les établissements du réseau de la santé. La facilité avec laquelle ils sont accordés, la plupart du temps de gré à gré, dérange certains gestionnaires du réseau public.

L'influence des cabinets-conseils

Consulter le dossier complet

Une main tenant un stylo signe un chèque.

Une cadre d'un hôpital montréalais qui n'a pas l'autorisation d'aborder cette question avec nous a l'impression que ses supérieurs sont « accros » à ces consultants.

Ils ne font pas vraiment confiance à l’interne et ne croient qu’à ce qui vient de l’extérieur. Mais ne pas faire confiance aux gens, ça coûte très cher.

Une citation de Une cadre d'un établissement de santé de Montréal

Comme association, le sujet des consultants externes nous préoccupe et nous interpelle, nous dit Alain Beauregard, le porte-parole de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux (AGESSS), qui représente 8000 cadres intermédiaires, soit 75 % des gestionnaires du réseau.

Le logo de McKinsey à l'entrée d'un bureau à Zurich, en Suisse.

McKinsey réalise un mandat pour le compte du Centre hospitalier de l'Université de Montréal.

Photo : Reuters / Arnd Wiegmann

Le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) est déjà reconnu comme l'un des meilleurs hôpitaux canadiens pour ses soins spécialisés. Mais ça ne suffit pas au nouveau PDG Frédéric Abergel, qui entend classer son établissement « parmi les meilleurs hôpitaux au monde d'ici 2030 ».

Pour cela, en plus du travail mené à l'interne, il a souhaité « s'adjoindre les services de professionnels pour obtenir un portrait sur la comparaison entre le CHUM et les autres hôpitaux universitaires similaires ». Un contrat de gré à gré de 98 808 $ a été signé avec la firme de consultants McKinsey, en août.

Le cabinet-conseil McKinsey est bien connu au Québec depuis la pandémie, puisqu'il a joué un rôle central dans la gestion de la lutte contre la COVID-19 par le gouvernement de François Legault.

« Par la suite, le travail se poursuivra à l’interne avec l’ensemble des équipes », assure la porte-parole du CHUM, Andrée-Anne Toussaint.

Cette année, le CHUM a aussi signé deux contrats d'un total de 100 000 $ avec la compagnie Hors Piste pour un « mandat d'accompagnement de réflexion et de positionnement stratégique » et un autre pour du « développement des personnes, des organisations et des communautés ».

Un homme sourit derrière un micro dans un studio de radio.

Frédéric Abergel est PDG du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) depuis février 2023.

Photo : Radio-Canada

Juste après l'arrivée du nouveau PDG, en mars, le CHUM a mandaté l'École nationale de l'humour pour une formation baptisée « Compétences humour pour les gestionnaires ». Le contrat, de gré à gré, a coûté 60 000 $.

Le MSSS multiplie lui aussi le recours aux consultants

Depuis un an, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a conclu 52 contrats pour des services de soutien professionnel et administratif et services de soutien à la gestion.

Par exemple, en juin, le MSSS a retenu les services d'« un expert-conseil pour le rattrapage en chirurgie ». Le ministère a justifié la dépense à l'externe de 330 000 $ « en raison de la rareté des ressources » disponibles.

Le mois dernier, le MSSS a aussi mandaté un consultant pour rédiger « des descriptions d'emplois de complexité supérieure et d’encadrement ». Montant du contrat : 60 000 $.

Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, prend la parole.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec Christian Dubé

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Le ministère est aussi en appel d'offres, actuellement, pour un chargé de projet externe qui devra proposer « des pistes d'amélioration » dans le cadre de la gestion et la coordination du projet de vaccination.

Des consultants externes pour gérer des projets de maisons des aînés

Le CISSS de la Montérégie-Centre a sous-traité à une stratège privée la gestion du projet de maison des aînés de Carignan, en soutien et accompagnement de la haute direction. Pour 94 000 $, elle doit planifier, organiser et coordonner les activités menant à la mise en opération de l’établissement.

Maquette de la future Maison des aînés de Carignan, qui devrait voir le jour en 2024.

Maquette de la future Maison des aînés de Carignan, qui devrait voir le jour en 2024.

Photo : MSSS

Chez les voisins du CISSS de la Montérégie-Est, c’est la firme CIM Conseil qui s’est vu confier en urgence, cet été, le rôle de chef de projet pour la mise en service de trois maisons des aînés (Longueuil, Belœil et Saint-Amable). Montant des contrats : 170 000 $. Le CISSS justifie ce besoin d’aide externe par le départ de l’employé responsable du projet.

Même pour la gestion clinique des maisons des aînés, le CISSS a eu besoin de recourir à une consultante, enregistrée sous le nom Les investissements MJPLN inc., au coût de 114 000 $.

Le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal a aussi recours aux services d’une consultante, au coût de 88 000 $, pour le projet de maison des aînés.

Un phénomène exacerbé par la pandémie

Dans les dernières années, les consultants privés ont vraiment pris un rôle plus grand dans des dimensions qui touchent le quotidien, la gestion des ressources humaines, la stratégie, etc., explique Élizabeth Côté-Boileau, professeure adjointe à l’Université de Montréal, experte de gestion et de stratégie en santé.

La lutte contre la COVID-19 a exercé une pression sur les pouvoirs publics pour avoir accès à une large expertise et prendre des décisions rapidement. Or, ces firmes, avec leurs bases de données, se sont positionnées comme première source d’information des gouvernements pendant la pandémie (gouvernance, gestion, analyse, modélisation…) et se sont imposées comme experts de contenu et experts de méthodes.

Les firmes de consultation privée, pendant la pandémie, sont vraiment passées d’un rôle de conseil à un rôle opérationnel dans les fonctions de base de l’administration publique et dans la gouvernance stratégique.

Une citation de Élizabeth Côté-Boileau, professeure adjointe à l’Université de Montréal, experte de gestion et stratégie en santé

Le phénomène n'est pas unique au Québec et n'est pas juste en santé, rappelle l'experte.

En juin 2022, une étude, réalisée en partie par des chercheurs de l’Université de Concordia et de l’Université de Toronto, a montré comment la pandémie a transformé la relation entre les gouvernements et les consultants en gestion, contribuant à renforcer la présence des sociétés de conseil dans l'élaboration des politiques et la gouvernance.

Selon Élizabeth Côté-Boileau, le défi, c’est de réinternaliser ces capacités et ces expertises-là, surtout si on n’a pas non plus contribué à la formation de ces gestionnaires-là.

L'experte rappelle qu'en parallèle, il y a un contexte de crise de ressources humaines des cadres qui sont épuisés.

L’enjeu, c’est de dire où sont la transparence et l’imputabilité des gouvernements, lorsqu’ils dépensent comme ça. Est-ce qu’on a vraiment un rendement sur nos investissements?

Une citation de Élizabeth Côté-Boileau, professeure adjointe à l’Université de Montréal, experte de gestion et stratégie en santé

En mars dernier, quand le ministre Christian Dubé avait déclaré vouloir recruter des « top guns » du secteur privé pour diriger la future agence Santé Québec, l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux avait publié une lettre ouverte pour réagir.

Sa PDG, Danielle Girard écrivait : Il existe déjà dans le réseau public, Monsieur le Ministre, des gestionnaires d’envergure, dignes de l’élite du milieu, et ces derniers ne demandent pas mieux que d’être consultés et intégrés dans l’opération de ce changement de paradigme, aussi nécessaire soit-il.

Dans le cadre de l’étude du projet de loi 15, toujours en cours, l’AGESSS a formellement recommandé (Nouvelle fenêtre) au gouvernement de fournir aux gestionnaires du réseau les ressources nécessaires, dont l'ajout de personnel de gestion des ressources humaines, pour leur permettre d'atteindre les objectifs espérés, accompagner le retour des gestionnaires de proximité et, de manière plus globale, la gestion du changement découlant de ce projet de loi.

La vérité est que les gestionnaires n’ont pas les moyens des ambitions du réseau! Chacun d’entre eux fait face à des enjeux et des défis qui requièrent de se réinventer quotidiennement.

Une citation de Extrait d'un communiqué de l'AGESSS, en décembre 2022

Dans son communiqué, l'AGESSS écrivait que depuis plusieurs années, les gestionnaires doivent composer avec, entre autres, un manque de personnel, des horaires de travail impossibles à gérer, de la gestion d’activités à distance, sans compter le manque de gestionnaires, le haut taux d’encadrement, la surcharge de travail, un achalandage croissant, etc.

D’anciens cadres reviennent comme consultants externes

Linda Bambonye, une ex-gestionnaire de Centre hospitalier de St. Mary, a réalisé quatre contrats comme consultante pour son ancien employeur, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Depuis cinq ans, elle a ainsi empoché 218 000 $. Chaque fois, on lui a remis la charge du plan clinique de son ancien hôpital.

L'an dernier, l'ancien directeur adjoint des ressources humaines du CISSS Montérégie-Est, Guy Bouffard, a été payé par le CIUSSS de l'Ouest-de-l'île-de-Montréal comme « consultant dans la rétention des infirmières ». Un contrat de 30 000 $.

Nous priorisons l’embauche d’employés plutôt que le recours à des consultants, assure le CIUSSS de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal, mais la pénurie de main-d’œuvre qui sévit actuellement nous oblige par contre à recourir à l’occasion à ceux-ci pour bénéficier de leur expertise et nous assurer d’offrir des services de qualité à notre population.

Elle regarde la caméra.

Francine Dupuis, ex-PDG adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, a obtenu un contrat de son ancien établissement, comme consultante.

Photo : Radio-Canada

À peine partie du CIUSSS Centre-Ouest-de-l’île-de-Montréal, à l’automne 2022, l’ex-PDG adjointe Francine Dupuis a conclu un contrat de 252 000 $ avec l’établissement pour un mandat d’une année comme consultante pour la direction générale. Le contrat a toutefois été annulé. Le CIUSSS évoque une erreur découlant d’un bris de communication entre deux services.

Le mois dernier, le CIUSSS a conclu un contrat de 70 000 $ avec une consultante enregistrée sous le nom Services Experts DF inc. Au registre des entreprises, on voit qu’une certaine Francine Dupuis en est la présidente.

Le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal a des besoins grandissants en main-d’œuvre et en expertise afin de répondre à nos divers mandats et responsabilités qui ne cessent de croître.

Une citation de Carl Thériault, porte-parole du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l'Île-de-Montréal

Avoir recours aux gestionnaires à la retraite, c'est une bonne façon de mettre à profit leur expertise et leurs compétences, selon l'experte Élizabeth Côté-Boileau.

De l'aide pour gérer les finances

Les patrons du réseau public ont aussi besoin d’aide de leurs anciens collègues pour gérer les finances. En juin, le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a mandaté une retraitée, Antonietta Adipietro, pour 50 000 $ afin d’assurer la continuité des opérations au niveau de la direction des ressources financières et ainsi prévenir un bris de service.

Au CISSS de Laval, Gilles Bernatchez avait à peine pris sa retraite depuis deux mois, en septembre, qu’il a été rappelé comme consultant pour aider au suivi budgétaire de l’établissement. Montant du contrat : 67 500 $.

Le même établissement a aussi signé un contrat de 68 500 $, l'an dernier, avec une « consultante en suivi budgétaire ».

Le CISSS de Laval n'avait effectivement pas les ressources internes pour combler ces mandats ponctuels et temporaires. La pénurie de main-d'œuvre affecte également le personnel administratif.

Une citation de Marie-Eve Despatie-Gagnon, porte-parole du CISSS de Laval

Cindy Starnino a, elle aussi, enchaîné départ à la retraite et retour comme consultante privée chez son ancien employeur, le CIUSSS Centre-Ouest-de-l’île-de-Montréal, où elle était dans l’équipe de direction. Depuis août 2022, elle a obtenu quatre contrats d’un montant total de 287 000 $. Présentée comme une consultante experte, elle a notamment été chargée de service-conseil en gestion pour la direction générale, de la préparation du plan stratégique et même... de trouver des manières d’assurer la rétention des gestionnaires.

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