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Mobilité durable : une politique à 10 milliards $ qui va « dans la mauvaise direction »

Depuis son lancement en 2018, la Politique de mobilité durable n'a pas eu d'effet notable sur la réduction de la quantité de GES, la consommation de pétrole du secteur des transports ou le recours à l'auto solo, d'après les données accessibles.

Une personne attend le métro.

Le gouvernement reconnaît pourtant que le financement du réseau de transport et de la mobilité durable est un besoin criant.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le gouvernement Legault assure qu’il pourra mener à bien sa Politique de mobilité durable, volet indispensable de son plan climat pour diminuer le bilan carbone du secteur des transports d’ici 2030. Or, après cinq ans d'implantation, il ignore l'ampleur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) qu'a permis d'atteindre cette politique.

Née sous la gouverne du Parti libéral de Philippe Couillard en 2018, la Politique de mobilité durable (PMD) vise à développer et à structurer l’offre de transports, pour les personnes comme pour les marchandises.

Tout en réduisant le bilan carbone du secteur le plus polluant de la province – 42,8 % des émissions de GES –, la PMD vise à inciter les Québécois à délaisser les modes de transport polluants pour se tourner vers des options plus vertes au cours de leurs déplacements.

Augmenter l'accès au transport collectif, réduire le temps de trajet entre la maison et le travail, diminuer le nombre de déplacements effectués seul dans son véhicule, couper la consommation de pétrole dans le secteur des transports : voilà quelques exemples de cibles qui se trouvent au cœur de la PMD.

Or, le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD), responsable de cette politique, ne peut faire ni une évaluation totale, depuis 2018, ni une ventilation annuelle des émissions de GES réduites, faute de données accessibles.

Le MTMD affirme avoir commencé la compilation de données pour l'année 2021-2022. Le secteur des transports a ainsi réduit ses émissions de 868 846 tonnes d'équivalent CO2 grâce à la politique, affirme-t-il. Or, les diminutions attendues pour atteindre la cible de 2030 sont de l'ordre des mégatonnes.

Depuis 1990, les émissions de GES issues du secteur des transports ont augmenté, pour passer de 27,2 à 31,6 mégatonnes d’équivalent CO2 en 2020.

Pour que le Québec atteigne son objectif de réduire ses émissions de 37,5 %, les transports devront plutôt représenter 17 Mt d’éq. CO2 d’ici 2030.

La Politique de mobilité durable fait pourtant l’objet d’un suivi annuel. Un plan d’action pour la période 2018-2023, qui comprend 181 mesures, doit permettre la mise en œuvre des 10 principales cibles de la PMD par le ministère des Transports et de la Mobilité durable et trois autres ministères.

ll faut comprendre que la Politique de mobilité durable a été annoncée au milieu de 2018, explique un porte-parole du MTMD. La pandémie a ensuite considérablement modifié les habitudes en matière de transport à l’échelle du Québec et les activités du gouvernement, de sorte que les données qui auraient pu être recueillies auraient fourni un portrait erroné de l’impact réel de la politique.

Le ministère a l'intention de faire un suivi plus serré de l’impact de chaque mesure sur toutes les cibles – dont celle des GES – au moment de la mise en œuvre du prochain plan d’action, affirme-t-il. La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, doit l'annoncer au printemps 2024.

Des cibles qui stagnent, voire qui reculent

Dans sa forme actuelle, la politique fait fausse route, selon des experts consultés par Radio-Canada.

Après cinq ans, on est en droit de se demander si la politique marche ou non, où s’en va l’argent et pourquoi on décide de l’investir là, martèle Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

Un total de 9,7 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent 1,8 milliard en aides d’urgence accordées au transport collectif durant la pandémie, ont été investis par Québec pour la mise en œuvre du plan 2018-2023. Selon le ministère, environ 10 % de ces sommes proviennent du Fonds d’électrification et du changement climatique (ancien Fonds vert).

Lors du Forum annuel sur la Politique de mobilité durable, en octobre dernier, le bilan dressé a permis de constater que plusieurs cibles structurantes, dont la réduction des émissions de GES, de la consommation de pétrole et du recours à l’auto solo, avaient connu des reculs ou ne progressaient pas suffisamment.

Après avoir assisté au forum, Johanne Whitmore définit plusieurs lacunes qui viennent plomber le processus de reddition de comptes, dont l’absence d’un cadre clair permettant le suivi réparti entre les différents ministères et partenaires. Pour chaque dollar investi, quelles sont les retombées? Quelles sont les réductions qu’on arrive à faire? On n’a pas ce genre d’information, constate-t-elle.

Aucun investisseur n’accepterait qu’un projet de plusieurs milliards de dollars se dirige droit dans un mur, plaide la spécialiste de l’énergie. C’est fascinant de voir combien le financement de la lutte contre les changements climatiques est flexible et ambigu, lance-t-elle. Les gens ne se rendent pas compte qu’énormément d’argent est mal géré.

On a une Politique de mobilité durable qui ne fonctionne pas. Le transport collectif est endetté par-dessus la tête et, bientôt, il y aura moins d’argent pour financer le plan d'action de la PMD. On ne s’en va pas dans la bonne direction.

Une citation de Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal

Financement à déterminer

À l'instar de Mme Whitmore, Samuel Pagé-Plouffe, coordonnateur à l’alliance TRANSIT pour le financement des transports collectifs, estime que les cibles les plus structurantes, qui témoignent d'un changement des comportements dans le créneau de la mobilité durable, connaissent une progression insuffisante.

On note dans certains cas des avancées louables, mais ce sont des fruits mûrs, donc là où il y avait des gains plus faciles à réaliser, observe M. Pagé-Plouffe, qui fait partie du comité du suivi de la Politique de mobilité durable.

C'est le cas, notamment, de la première cible de la PMD, qui vise à ce que 70 % de la population ait accès à au moins quatre services de mobilité durable. Au 31 mars 2023, la proportion s'élevait à 63 %.

Le comité constate toutefois que certaines données, qui permettraient à la fois d'anticiper les besoins et de mieux mesurer les avancées, demeurent inaccessibles. Nous appelons à raffiner la reddition de comptes, indique M. Pagé-Plouffe.

Parmi ces grandes inconnues, il y a la question des coûts que nécessite l’atteinte des cibles.

On a de la difficulté à avoir accès à suffisamment de données sur les besoins et sur les moyens à mettre en place pour atteindre les cibles de la Politique de mobilité durable.

Une citation de Samuel Pagé-Plouffe, coordonnateur à l’alliance TRANSIT pour le financement des transports collectifs

Le gouvernement prévoyait mener un chantier pour cerner les sources de financement des réseaux de transport – comme des mécanismes réglementaires et mesures d'écofiscalité – à déployer dans le cadre de la PMD.

Mais après la tenue de consultations et la publication d'un rapport en 2021, le ministère n'a pas encore donné suite au chantier. Un deuxième tour de roue sera donné en 2024, mais il n'y a pas encore eu, concrètement, de mesures pour se donner les moyens financiers de nos ambitions, résume M. Pagé-Plouffe.

Québec reconnaît pourtant que le financement du réseau de transport et de la mobilité durable est un besoin criant appelé à s'accélérer.

Il anticipe que les revenus générés jusqu'ici par la taxe provinciale sur les carburants, qui finance en bonne partie les réseaux de transport de la province, finiront par se tarir en raison de l'électrification des véhicules et de la fin de la vente de voitures à essence.

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault.

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, travaille à l'élaboration du prochain plan d’action de la PMD, qui devrait être fin prêt au printemps 2024.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Les principales sociétés de transport en commun de la province sont dans le rouge et le gouvernement a prévenu qu'il n'épongerait pas la totalité des déficits.

Or, c'est en développant le transport collectif qu'on peut espérer changer les habitudes de la population, observe Samuel Pagé-Plouffe. En font foi les efforts déployés entre 2007 et 2015, qui ont permis de bonifier l'offre de service de transport en commun d'environ 32 %. Sur cette période, l'achalandage a connu une augmentation de 15 %.

Pour atteindre sa cible de réduction de GES en 2030, le Québec devrait augmenter l'offre de service de 5 % par an.

Au-delà de 2015, il a cessé d'y avoir du progrès [...] essentiellement parce qu'on n'y a pas mis suffisamment de ressources, indique M. Pagé-Plouffe, qui rappelle que la pandémie a elle aussi affecté l'achalandage dans les bus et métros.

Alors que Québec est en négociations avec les sociétés de transport en commun pour s'entendre sur un plan de financement de cinq ans, le coordonnateur de l'alliance TRANSIT estime qu'il faudrait plutôt bonifier l'offre de 7 % par an pour rattraper le retard.

Des outils à la portée de Québec, mais négligés

Le gouvernement a pourtant des outils à sa disposition pour financer sa politique, rappelle pour sa part Jean-Philippe Meloche, spécialiste des finances publiques et du transport urbain.

Le gouvernement Legault, qui refuse de taxer l'achat de véhicules polluants, aurait pu augmenter la taxe sur les carburants, mais celle-ci n'a pas bougé depuis 2013. La tarification kilométrique pourrait éventuellement la remplacer, mais Québec s'y intéresse peu, selon M. Meloche.

Les outils sont entre leurs mains, ils en connaissent l'efficacité, mais ils ne veulent pas tirer sur ces leviers, lance M. Meloche, qui enseigne à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal. On le sait pourtant : les mesures d’écofiscalité sont beaucoup plus efficaces pour changer les comportements des gens.

Si le gouvernement se fait frileux à ce chapitre, dit-il, c'est par crainte de brusquer son électorat.

Ça le pousse à prendre de drôles de décisions, comme de faire un cadeau [aux Québécois] en payant une partie du permis de conduire avec les surplus de la SAAQ, cite-t-il en exemple. Je pense qu'il y avait plein de choses plus intelligentes à faire avec cet argent.

Ça montre que le gouvernement ne prend pas ça au sérieux et qu'il ne s’est pas approprié cette politique-là.

Une citation de Jean-Philippe Meloche, professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal

La Politique de mobilité durable, rappelle-t-il, s'appuie sur la séquence « réduire-transférer-améliorer ». Le mot ''réduire'' – ses déplacements, sa consommation d'essence et d'énergie – est en premier dans la hiérarchie, parce qu'il est fondamental dans cette politique, explique-t-il.

Des véhicules sont en file alors que la circulation est au ralenti sur l'autoroute 10, à la hauteur de Brossard.

La quantité de véhicules sur les routes du Québec augmente deux fois plus vite que la population. Les nouveaux véhicules immatriculés fonctionnent encore très majoritairement à l'essence.

Photo : Getty Images / Marc Bruxelle

En misant d'abord et avant tout sur l'électrification des transports, qui s'inscrit dans la dernière partie de la séquence, « améliorer », le gouvernement Legault interprète le principe à l'envers, selon Jean-Philippe Meloche.

Malgré des améliorations en matière d'efficacité énergétique, les voitures, dont la taille a augmenté au fil des ans, se font plus nombreuses sur les routes de la province. Les Québécois en achètent plus et les utilisent plus que par le passé.

Les subventions du gouvernement Legault pour l'achat de véhicules électriques n'auront qu'un effet limité sur l'amélioration du bilan carbone des transports. Des études tendent à montrer que ça ne fonctionne pas très bien et que c'est du gaspillage d'argent, indique M. Meloche.

Il ne faudra pas s'étonner de ne pas atteindre nos résultats, conclut-il. Je ne pense pas qu'on a mis les efforts pour le faire.

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