AnalyseL’arrogance de la CAQ, le dilemme du PQ
S'il y a une leçon à retenir de l'élection partielle de lundi dans Jean-Talon, c'est qu'en politique, vient un moment où faire le contraire de ce que l’on dit entraîne des conséquences. Surtout lorsque c'est teinté d'arrogance.

Le premier ministre François Legault a assumé la responsabilité de la déconfiture de ses troupes dans Jean-Talon. La candidate caquiste défaite, Marie-Anik Shoiry, l'a accompagné sur la scène.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
La Coalition avenir Québec (CAQ) a la meilleure machine électorale, devant celle de Québec solidaire. Ce sont les deux seuls partis actuellement en mesure de remporter des batailles serrées dans les circonscriptions où ils ont des chances de vaincre. Vous savez, ces élections qui se décident rue par rue, ruelle par ruelle, maison par maison…
Mais l’élection partielle dans Jean-Talon, à Québec, lundi, n’a pas été serrée. Même pas proche. La victoire décisive du Parti québécois (PQ) n’est pas la conséquence de l’échec ou du succès des machines électorales. La meilleure opération de sortie de vote au monde ne peut contrer la colère des électeurs.
Lundi, ce que les organisateurs de la CAQ ont constaté, à leur grand désarroi, ce sont les répercussions de plusieurs mois d’incohérence et d’arrogance de la part de leur gouvernement.
S'il y a une leçon à retenir pour les troupes de François Legault, mais aussi pour tous les partis politiques qui tendent parfois à l’oublier, c’est celle-ci : en politique, vient un moment où faire le contraire de ce que l’on dit entraîne des conséquences.
On ne peut pas promettre un troisième lien routier entre Québec et Lévis pendant huit ans, puis laisser la ministre Geneviève Guilbault aller seule au front annoncer en conférence de presse que la promesse phare du parti prend le chemin des poubelles… sans avoir d’abord prévenu les députés de la région.
La décision était probablement la bonne, puisqu’un tunnel à 10 milliards de dollars, qui n'aurait pas pu être emprunté par les camions en raison de la pente trop abrupte, n’avait plus aucun sens. Mais où était la contrition de François Legault? Et où était-il, tout court?
Il y a d’autres exemples. Pourquoi le ministre responsable de la transformation numérique au gouvernement, Éric Caire, a-t-il été incapable d’accepter la moindre part de blâme pour le fiasco informatique à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ)? Et pourquoi a-t-il laissé sa collègue Geneviève Guilbault gérer seule cette débâcle? (Il est possible ici que vous voyiez un modèle qui se répète... dans le cas contraire, lire le paragraphe précédent.)
Comment a-t-on pu voter une hausse de salaire immédiate de 30 % pour les députés, sans ajustement du généreux fonds de pension, et tenter ensuite de convaincre la population que les employés de la fonction publique qui s'échinent dans les hôpitaux et les écoles méritent une augmentation de 9 à 12 % sur cinq ans? D’ailleurs, où y a-t-il le plus de fonctionnaires au pied carré, si ce n’est dans la Capitale-Nationale, où se déroulait l’élection partielle?
Et par souci de cohérence, qui a eu l’idée d’offrir 21 % sur cinq ans aux policiers de la Sûreté du Québec… pour ensuite se faire dire cavalièrement par les agents que ce n’était pas encore assez?
Une députée, Joëlle Boutin, insatisfaite de son sort au sein de la députation et amère de ne pas avoir obtenu de portefeuille au Conseil des ministres, a préféré claquer la porte à peine six mois après les élections générales, en laissant pantois les électeurs de Jean-Talon qui lui avaient fait confiance et qui devaient ainsi vivre une neuvième élection québécoise dans leur circonscription en seulement 15 ans…
La CAQ ayant conservé le comté avec seulement 32,5 % des voix en 2022, c’était demander beaucoup aux électeurs de Jean-Talon que de refaire confiance à une députée du même parti.
Il y a aussi le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qui n’a pas cru bon de se retirer complètement du processus de sélection d’un juge (Nouvelle fenêtre) qui a mené à la nomination de l’un de ses meilleurs amis à la magistrature. Même s’il a suivi les règles en vigueur et si l’ami en question est compétent, l’apparence de conflit d’intérêts ne semble pas lui avoir causé le moindre souci.
Il y a la ministre de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, qui semble plus préoccupée par la cession de bail et la clause G que par la crise aiguë du logement qui frappe toutes les villes du Québec. Pour l'empathie, faudra repasser.
Et ainsi de suite.
Même cette idée de révéler au grand jour les tractations secrètes, survenues avant les dernières élections générales, entre le candidat péquiste lors de la partielle, Pascal Paradis, et la direction de la CAQ suintait une forme d’arrogance. L’air de dire : Voyez, il a d’abord voulu venir chez nous… il s’est maintenant trouvé un plan B…
Les stratèges de la CAQ voulaient dépeindre M. Paradis comme une girouette sans conviction, mais l'effet aura été inverse. Les électeurs de Jean-Talon se sont visiblement dit que si Pascal Paradis était assez compétent pour être potentiellement recruté par le gouvernement au pouvoir, qui avait alors l’embarras du choix des candidats, il devait l’être suffisamment pour les représenter au sein du PQ.
Lundi soir, meurtri par la défaite, François Legault a tenté de casser cette séquence malheureuse en faisant acte d’humilité. En se tournant vers sa candidate, Marie-Anik Shoiry, il est revenu aux racines de son succès : assumer la responsabilité de ses fautes, demander une forme de pardon aux Québécois, pour ensuite espérer reprendre l’offensive.
Tu n’as pas perdu, c’est la CAQ et moi qui avons perdu
, a dit M. Legault à Mme Shoiry, promettant de tirer des leçons de ce scrutin
. Les gens de Jean-Talon ont été les porte-parole de tous les citoyens de la région de Québec pour nous dire : vous devez faire un examen de conscience. C’est ce qu’on va faire dans les prochains mois, rebâtir ce lien de confiance avec les gens de Québec.
Le risque pour la CAQ est que cette insatisfaction dans la grande région de Québec s’étende ailleurs dans la province, où la CAQ reste solidement en tête. Cette crainte semble inquiéter le premier ministre et son entourage au point de semer un vent de panique parmi les troupes. Certains laissent flotter l’idée d’un remaniement ministériel d’urgence, et même, de l’aveu de François Legault, la possibilité de relancer le projet de troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis! Rien de moins.
Or, plutôt que de relancer un projet de tunnel bancal, François Legault devrait profiter du temps qu’il possède – il reste trois ans avant les prochaines élections – pour recentrer son message sur le coût de la vie, la création de la richesse, la crise du logement... et tenter de redresser la barque en santé et en éducation. Si son gouvernement ne change pas de ton et ne réduit pas les incohérences, ce pourrait être trois longues années.
Le dilemme du PQ
Au PQ, malgré la fête suivant la victoire, une préoccupation différente va inévitablement se montrer le bout du nez si le parti réussit à s'ancrer comme la solution de rechange à la CAQ pour prendre le pouvoir.
Ce soir, le Parti québécois est de retour à Québec. Le Parti québécois est de retour au Québec
, a lancé avec enthousiasme le chef, Paul St-Pierre Plamondon, lundi soir. Il a raison. Cette victoire inespérée lui permet de rêver à un retour en grâce de sa formation auprès de la population québécoise.
Mais cette réalité vient avec un dilemme, qui suit sa formation depuis sa création ou presque : que faire avec l’article 1 du programme, la quête de l’indépendance?
En prenant les rênes du parti, en octobre 2020, Paul St-Pierre Plamondon a promis que plus jamais le PQ ne reléguerait son option souverainiste à l’arrière-plan. L’indépendance du Québec serait au centre du discours et des actions de la formation politique, coûte que coûte, même si les sondages montrent que la majorité des Québécois demeure tiède envers cette avenue.
Trois mois avant le déclenchement de la précédente campagne électorale générale, à la fin de mai 2022, devant les militants péquistes réunis en conseil national à Boucherville, Paul St-Pierre Plamondon affirmait garder le cap sur l’indépendance malgré l’adversité
à laquelle fait face le projet. On ne recule pas, on ne dévie pas, on ne s’excuse pas, on ne change pas d’idée. On s’en va se battre
, avait-il déclaré dans une salle de l’hôtel Mortagne (Nouvelle fenêtre), où il avait été ovationné par la foule.
Or, lorsque la circonscription de Jean-Talon a été jugée à portée de victoire, la stratégie qui consiste à mettre la souveraineté à l’avant-plan a pris le bord. Le PQ n’a pas fait campagne sur la souveraineté dans le dernier mois, mais plutôt sur le coût de la vie, le troisième lien, le tramway, les promesses brisées de la CAQ, les soins aux aînés, la crise du logement…
Le PQ a même choisi de reporter une nouvelle fois la publication du budget d’un Québec souverain, d'abord prévue en septembre, c'est-à-dire pendant l’élection partielle. Le document est prêt. Un local avait été réservé. Paul St-Pierre Plamondon a reculé, invoquant un manque de ressources
, le parti étant, selon lui, incapable à la fois d’organiser une conférence de presse sur le budget de l’an 1 du Québec durant un avant-midi et de faire campagne pendant 36 jours.
Selon le chef du PQ, pourtant, le dévoilement du document aura un effet positif pour le parti
. Si c’est le cas, pourquoi s’en priver? Une formation politique engagée dans une course serrée pour ravir une circonscription au parti au pouvoir qui refuse un effet positif
sur ses chances de l’emporter serait une première.
Le PQ a repoussé le dévoilement du budget de l’an 1 d’un Québec indépendant au 23 octobre, pour ne pas brouiller le message. Paul St-Pierre Plamondon a avoué plus tard vouloir davantage parler d’autres sujets pendant la partielle. On craint que notre espace médiatique, au lieu d’être consacré à notre partielle dans Jean-Talon, soit consacré à un tout autre sujet, ce qui nous empêcherait de facto de mener campagne
, a-t-il dit le 31 août dernier (Nouvelle fenêtre).

Pascal Paradis et Paul St-Pierre Plamondon célèbrent la victoire du Parti québécois dans Jean-Talon.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Mardi, en entrevue à Midi info, le nouveau député Pascal Paradis a soutenu la même chose. Même s’il n’a pas évité le sujet, il n’a pas spontanément parlé d’indépendance aux électeurs pendant la partielle qui vient de prendre fin. Si on avait dévoilé le budget de l’an 1 du Québec pays, on n'aurait parlé que de ça pendant une semaine ou deux, mais on a décidé de faire une campagne de contenu qui traite d’enjeux qui touchent directement les gens.
Les problèmes concrets
de la population ont pris le dessus, a-t-il ajouté.
Difficile de mieux résumer le dilemme du PQ. Comment mettre la souveraineté au centre de tous les discours et de toutes les actions, comme promis, alors que ce sont d’autres sujets qui mobilisent les électeurs? Quand ce n’est pas le coût de la vie ou le troisième lien, c’est le système de santé ou le réseau de l’éducation, ou la lutte contre les changements climatiques, ou le fardeau fiscal…
Et quand l’indépendance prend toute la place, comme lors de la campagne électorale de 2014, lorsque le poing levé du candidat vedette Pierre Karl Péladeau et la semaine de campagne de Pauline Marois sur la monnaie, le passeport et l’armée d’un éventuel Québec indépendant ont été au centre de l’attention, les appuis dans l’électorat se sont mis à vaciller.
L’ancien député péquiste et ministre dans le gouvernement Marois, Pierre Duchesne, l’a bien résumé à mon émission mardi midi. C’est une vieille maxime au PQ : plus on est loin du pouvoir, plus il est facile de parler d’indépendance. Plus le pouvoir se rapproche, plus c’est difficile. Provoquer une transformation sociale d’envergure comme la souveraineté dans un Québec devenu plus conservateur, c’est plus compliqué à vendre que prendre le pouvoir pour tenter de régler les problèmes de l’heure
, a-t-il dit.
Le PQ n'en est pas là, bien sûr. Il n'a que quatre députés. Paul St-Pierre Plamondon a brillamment réussi à canaliser la colère contre la CAQ dans Jean-Talon. Toutes les formations ont connu un recul de leurs appuis, sauf le Parti québécois. Le vote de protestation s’est rangé dans un seul camp.
Mais si cette tendance se maintient, à mesure que le PQ reviendra sur le devant de la scène, Paul St-Pierre Plamondon fera face au même dilemme que tous ses prédécesseurs depuis Lucien Bouchard : comment coller aux préoccupations quotidiennes des électeurs tout en faisant la promotion de son option fondamentale sans effaroucher la grande majorité des gens?
Si la partielle dans Jean-Talon nous enseigne quelque chose, c'est que ce problème demeure entier.
Ouch!
Quelques mots en terminant sur Québec solidaire (QS) et le Parti libéral du Québec (PLQ).
Québec solidaire souhaitait progresser, ou à tout le moins maintenir ses appuis dans Jean-Talon, mais sans le vote des jeunes sur les campus lors d'une partielle, contrairement aux élections générales, la tâche s’annonçait ardue. C’est ce qui s’est produit : QS est passé de 23,8 % à 17,5 % des voix.
Plutôt que d’y voir un vice de forme ou un problème logistique qui a plombé les appuis du parti, les stratèges de la formation devraient s’interroger sur la dépendance de QS envers les moins de 35 ans. Dans le sondage Léger (Nouvelle fenêtre) paru le 26 septembre dernier, QS récoltait 37 % des intentions de vote chez les 18-34 ans, loin devant la CAQ à 20 %... mais la formation était créditée de seulement 6 % d’appuis chez les plus de 55 ans, bonne pour le dernier rang, et de loin. Corriger ce déséquilibre s’impose comme une tâche urgente si le parti veut continuer de croître.
Dans le cas du PLQ, je serai bref, en y allant avec une équation simple : pas de chef + absence de boussole politique = aucun progrès possible.