Numériser les épaves des Grands Lacs avant qu’elles ne disparaissent

Des plongeurs numérisent en trois dimensions de nombreuses épaves accessibles dans les Grands Lacs.
Photo : 3Dshipwrecks.org
Des archéologues, historiens et plongeurs tentent de numériser plus de 1000 épaves accessibles qui gisent au fond des Grands Lacs avant qu’elles ne soient méconnaissables. Leur détérioration s’accélère sous l'effet d’espèces invasives de moules et du changement climatique.
La région des Grands Lacs est réputée comme l'une des meilleures au monde pour explorer les épaves en raison des eaux froides qui offrent des conditions idéales de préservation, y compris à faible profondeur.
Changement climatique et moules invasives
La dégradation de ces reliques sous-marines s’est accélérée non seulement à cause des tempêtes plus fréquentes liées au changement climatique, mais surtout par la colonisation des lacs par les moules zébrées et moules quagga, des espèces invasives venues d’Europe.
Elles ont vraisemblablement été introduites depuis les années 1980 dans l’eau dont se délestent les cargos internationaux.

Le gouvernail de l'Oliver Mowat est désormais recouvert de moules zébrées. La goélette à trois mâts a coulé en 1921 dans le lac Ontario.
Photo : Fournie par Kayla Martin
Ces coquillages ont transformé les Grands Lacs, en poussant les moules locales au bord de l’extinction et en rendant plus transparentes les eaux autrefois troubles et turquoise.
Dans le même temps, ces mollusques ont recouvert toutes les surfaces, comme celles des ports ou des centrales hydrauliques.
Les épaves réduites à des tas de bois
Au cours de sa carrière de 30 ans comme plongeur, Durrell Martin a observé de près cette évolution. Celui qui est aussi président de l’organisation à but non lucratif Save Ontario Shipwrecks raconte que les moules invasives ont modifié la pratique.
À ses débuts, des éclairages étaient nécessaires pour bien voir dans les profondeurs des lacs. Les plongeurs devaient s’approcher pour distinguer les épaves. Une fois à proximité, ils pouvaient observer la vaisselle, les boîtes de conserve et même le bois d’époque, parfois vieux de 200 ans.

Durrell Martin a vu les espèces de moules progressivement recouvrir les épaves des Grands Lacs de l'Ontario tandis que la visibilité dans l'eau s'est améliorée.
Photo : Fournie par Kayla Martin
Aujourd’hui, l’eau est si claire qu’il n’y a plus besoin de projecteur. Les vestiges sont recouverts de dizaines de milliers de coquillages.
Notre dilemme c’est que, certes, la visibilité est excellente pour les plongeurs et maintenant on peut davantage profiter des épaves, mais elles se désintègrent plus vite qu’avant
, explique Durrell Martin.
Nous réalisons que, d’ici 10 ou 20 ans, des épaves que nous pensions voir pendant encore 200 ans auront disparu. Il ne restera que des tas de bois.
Les moules s’accrochent aux surfaces grâce à un faisceau de fils qu’on appelle les filaments. Elles utilisent ces vrilles pour creuser dans le bois, ce qui leur permet de bien s’attacher et affaiblit l’intégrité du bois. Elles produisent un acide dans leurs excréments, qui ronge l’acier.
Avec les années, les filaments et l’acide endommagent les bateaux et la coque s’écroule sous les poids des moules.
Un manque de données sur les 6000 épaves
Le problème est documenté dans de nombreuses études (Nouvelle fenêtre), depuis des décennies, mais les gouvernements américains et canadiens ont peu agi selon Ken Meryman, un chasseur d’épaves à Duluth, dans le Minnesota. Il répertorie ces reliques des Grands Lacs depuis 50 ans.
À ce jour, 1400 épaves sont répertoriées, mais leur nombre total est estimé à 6000. (Nouvelle fenêtre) Elles sont parfois à de très grandes profondeurs.

Les moules détériorent les navires soit à cause de leurs filaments et de leur poids, soit à cause de l'acide qu'elles produisent.
Photo : Fournie par Kayla Martin
M. Meryman ajoute que des études suggèrent que les bactéries sont plus destructrices sous l’effet du changement climatique (Nouvelle fenêtre). Sur l’acier, on a répertorié des bactéries qui mangent l’acier dans le lac Supérieur
, explique-t-il. Cela provoque des détériorations.
Le problème, selon M. Meryman, est le manque d’informations historiques et écologiques sur les fonds des Grands Lacs.
La quête pour tous les numériser
C’est pourquoi M. Meryman, un ancien programmeur informatique, a consacré de nombreuses années à cartographier ces épaves avant qu’elles ne disparaissent. Il utilise la photogrammétrie, une technologie de numérisation qui utilise une série d’images pour créer une visualisation en trois dimensions.
Des plongeurs, historiens et archéologiques ont travaillé avec Ken Meryman pour l’aider à mettre en ligne ses productions sur son site 3Dshipwrecks, où l’on peut observer en détail 160 vestiges, comme le Katie Eccles, qui a coulé dans le lac Ontario en 1922.
Vous pouvez les comparer, faire une carte des différences ou observer quel côté du navire gonfle et commence à s’affaisser. Si le pont s’est écroulé, vous pouvez dire si quelqu’un a pris un artéfact
, affirme Ken Meryman.
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Il ajoute que les données peuvent être utiles pour montrer aux autorités quelles épaves valent d’être sauvées, en particulier si elles se trouvent sur un axe majeur de commerce.
M. Merymen espère cartographier les 1400 épaves, qui sont à des profondeurs tolérables pour les humains, d'ici 20 ans.
Plus on en sait sur l’histoire sous-marine, estime-t-il, mieux on peut informer le public sur ce qui peut ou doit être sauvé.
Il pense que les informations pourraient aussi aider les chercheurs à trouver des moyens de débarrasser les épaves des moules zébrées.
Avec les informations de Colin Butler, de CBC