Des mesures musclées pour en finir avec la cyberintimidation

Au Canada, un jeune sur trois dit avoir été victime de méchanceté et de cruauté en ligne.
Photo : iStock / SB Arts Media
Un peu partout dans le monde, le harcèlement à l’école et le cyberharcèlement sont des fléaux qui causent des ravages chez les jeunes. La France s’est attaquée de front au problème en adoptant des sanctions sévères à l’encontre des harceleurs qui, dans les cas les plus graves, pourraient même écoper de peines d’emprisonnement. Ces mesures inspireront-elles le gouvernement Legault face à un phénomène qui prend de l’ampleur au Québec?
Mercredi dernier, la France dévoilait son plan interministériel pour lutter contre le harcèlement. À la suite du suicide de deux adolescents qui étaient victimes d’intimidation, le gouvernement français était pressé de durcir le ton envers les jeunes harceleurs, et c’est précisément ce qu’il a fait.
Parmi les mesures adoptées, il y a l'évaluation judiciaire automatique des cas de harcèlement, la confiscation du cellulaire, le bannissement des réseaux sociaux, l’imposition d’un couvre-feu numérique, l’obligation de suivre des stages de citoyenneté ou de participer à un processus de justice réparatrice. Dans les cas les plus graves, dont ceux ayant causé un suicide, le harceleur pourrait même écoper d’une peine aggravée allant jusqu’à 10 ans de prison.

En France, près d’un million d’enfants ont subi une situation de harcèlement au cours des trois dernières années, ce qui représente en moyenne deux élèves par classe. Le même phénomène s’observe un peu partout dans le monde. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), plus de 130 millions d’élèves, dont un sur trois âgés entre 13 et 15 ans, sont victimes d'intimidation.
Le Canada n'échappe pas à cette tendance, qui semble s’être accentuée avec la pandémie. En 2021, 32 % des jeunes Canadiens âgés de 9 à 17 ans ont déclaré avoir été victimes de méchanceté et de cruauté en ligne, selon un récent sondage du Centre canadien d'éducation aux médias et de littératie numérique, HabiloMédias. Un jeune sur deux dit avoir été témoin d’intimidation et un jeune sur cinq affirme avoir harcelé un autre élève.
Le poids de la pandémie
Depuis la pandémie, on voit une recrudescence. Je ne pourrais pas dire si c’est dans le nombre, mais à certains égards, dans l’intensité de ce qui est manifesté, c'est plus présent
, remarque Jean-François Collard, directeur général du Centre de services scolaire des Affluents, dans Lanaudière.
On est en train d'évaluer les dommages psychologiques causés par la pandémie. On sait qu'il y en a, a indiqué le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. On pense qu'il y a une partie des gestes violents, des gestes d'intimidation qui ont cours dans les écoles, qui sont probablement des contrecoups de la pandémie. On continue de suivre ça de très près. Et s'il faut en faire davantage, on en fera davantage.

Le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Mais même avant la pandémie, l'intimidation avait pris une nouvelle dimension, encore plus redoutable, avec l'avènement des médias sociaux.
Ça prend énormément de place
, soutient Rafaël Provost, directeur général d'Ensemble pour le respect et la diversité, un organisme qui offre des ateliers de sensibilisation dans les écoles du Québec.
Il y a un climat particulier sur le virtuel, sur les plateformes telles qu'Instagram, TikTok, Facebook, dit-il. Les gens ne se cachent plus derrière des photos de chats pour dire ce qu'ils pensent.
À une autre époque, l'intimidation prenait une pause à 4 h quand l'école se terminait. Aujourd'hui, elle nous suit 24 h sur 24. C'est ça, la cyberintimidation. Elle n'a jamais de fin [...] Il n’y a pas un jeune que j'ai rencontré dans les dernières semaines qui me dise ne pas l’avoir vécu. C'est près de 100 % des jeunes que je rencontre.
Un plan à bonifier
Au Québec, depuis l’adoption de la Loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école en 2012, chaque établissement scolaire doit posséder son propre plan pour lutter contre le phénomène.
Mais selon Claire Beaumont, professeure titulaire à l’Université Laval et chercheuse à la Chaire de recherche Bien-être à l'école et prévention de la violence, ces plans d’intervention ne se valent pas tous d’une école à l’autre.
C'est à géométrie variable. Les plans de lutte sont vraiment suivis par certaines écoles qui ont des projets très créatifs et qui revoient chaque année leur plan de lutte contre la violence et l'intimidation. Dans d’autres écoles, ce n’est pas le cas
, dit-elle.
Mme Beaumont croit que le gouvernement du Québec aurait tout intérêt à actualiser son plan, à le bonifier avec de nouvelles mesures et à faire un suivi auprès des écoles.
On prend ça au sérieux, mais ce que je déplore, c'est qu'on agisse après ou lorsqu'il y a des événements dramatiques
, indique Claire Beaumont.

Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), plus de 130 millions d’élèves, dont un sur trois âgés entre 13 et 15 ans, sont victimes d'intimidation.
Photo : Shutterstock / Champion studio
L’intimidation et le harcèlement ont de sérieuses conséquences pour les victimes. À court et à moyen terme, leur souffrance peut se manifester de diverses manières.
Parmi la longue liste de maux associés à l’intimidation ayant été répertoriés par l’Institut national de santé publique du Québec, il y a notamment des problèmes de consommation de drogue ou d’alcool, de la détresse psychologique, des problèmes de comportement, des épisodes de dépression et d’anxiété, le stress, la tristesse, l’isolement social, l’absentéisme scolaire, le suicide et l’idéation suicidaire.
[Le harcèlement et la cyberintimidation] sont des problèmes incroyables qui vont nuire à la santé physique, mentale et aussi au rendement scolaire. Et c'est accompagné de beaucoup de souffrance. Pas juste pour le jeune, mais aussi pour les parents.
Un projet de loi attendu
De son côté, le ministre de la Sécurité publique du Québec, François Bonnardel, prépare un projet de loi sur la cyberintimidation.
J’ai souhaité, dès le début du mandat, que la cyberintimidation et la haine en ligne soient parmi les priorités de mon ministère
, a indiqué le ministre Bonnardel dans une déclaration transmise par courriel.
Après en avoir parlé au premier ministre, il nous a confié le mandat de préparer un plan et d'identifier les mesures législatives nécessaires pour s'attaquer à ce fléau. Nous sommes d'ailleurs à analyser les pratiques partout dans le monde à cet effet. Nous attendons aussi de voir la position du gouvernement fédéral sur le sujet
, a indiqué M. Bonnardel.

Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel
Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz
Le Québec pourrait choisir d’adopter la même approche que la France en judiciarisant les jeunes harceleurs. Mais selon Claire Beaumont, la voie de la prévention n’est pas à négliger.
Plutôt que de se centrer d'abord sur la punition, on peut partir de la prévention en enseignant les comportements qu'on veut voir. Parce qu'on ne peut pas prendre pour acquis que les jeunes ont appris chez eux comment se comporter.
D’ailleurs, elle trouve particulièrement inspirant l’intégration de cours d’empathie au programme scolaire français pour prévenir le harcèlement et le cyberharcèlement.
C’est ce qu’on appelle ici des cours de compétences socio-émotionnelles, c'est-à-dire d'apprendre aux élèves à bien se comporter, qu’ils soient face à face ou en ligne [...] C’est quelque chose, je crois, qui devrait vraiment être dans le cursus scolaire au Québec.
Avec les informations d'Elyse Allard