AnalyseRenégociation avec Terre-Neuve : le temps presse
Le contrat qui lie le Québec à Terre-Neuve-et-Labrador pour l’exploitation de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls n'arrivera à échéance qu’en 2041, mais les deux voisins auraient tort d’étirer indûment les négociations qu’ils ont entamées.

Le premier ministre du Québec, François Legault (à gauche), s'est rendu à Terre-Neuve en février dernier pour rencontrer son homologue Andrey Furey (à droite).
Photo : La Presse canadienne / Paul Daly
Lorsqu’ils s’étaient rencontrés au début de l’année, François Legault et son homologue terre-neuvien, Andrew Furey, avaient présenté la renégociation de l’entente qui lie leurs gouvernements respectifs comme une perspective lointaine. Après tout, le contrat présentement en vigueur sera valable jusqu’en 2041.
Les choses déboulent toutefois encore plus rapidement que prévu. Si François Legault et Pierre Fitzgibbon se sont montrés rassurants quant à la capacité du Québec à alimenter en énergie la nouvelle « giga-usine » de Northvolt annoncée la semaine dernière, le sort de bien d’autres projets de développement est beaucoup plus incertain.
Le ministre de l’Économie a été clair : il y a encore pour 15 milliards de dollars de projets à annoncer dans la filière batterie, auxquels s’ajouteront bientôt des projets dans d’autres filières industrielles. Hydro-Québec, qui n’avait pas tenu compte d’une telle hausse de la demande industrielle dans ses projections, est pressée de refaire ses plans à toute vitesse.
Si François Legault ne s’est pas gêné pour mettre de la pression sur son homologue terre-neuvien lorsque celui-ci est venu à Québec, il y a quelques jours, c’est que le temps presse.
Renégocier pour produire plus
Il est de plus en plus clair que la prolongation de l’entente actuelle au-delà de 2041 n’est qu’un aspect parmi d’autres des pourparlers en cours. François Legault s’est montré transparent ces derniers jours : il est prêt à rouvrir l’entente dès maintenant si les deux provinces se mettent d’accord pour rehausser les capacités de production de la centrale existante et pour réaliser le projet de Gull Island.
Dans son plus récent plan stratégique, Hydro-Québec estime pouvoir accroître ses capacités de production de 2000 MW uniquement en remplaçant les turbines de ses installations actuelles par des équipements plus performants. Cette opération est beaucoup moins coûteuse que la construction de nouveaux barrages. François Legault souhaite en faire autant à la centrale de Churchill Falls le plus rapidement possible, mais encore faut-il d’abord s’entendre.

Les barrages de Churchill Falls et de Muskrat Falls se situent sur le fleuve Churchill à Terre-Neuve-et-Labrador.
Photo : Reuters/Greg Locke
Québec a aussi les yeux sur le potentiel hydroélectrique du bas Churchill. Aménager une nouvelle centrale à Gull Island, en aval de Churchill Falls, permettrait d’ajouter près de 2500 MW de puissance. Le projet comporte un avantage de taille comparativement aux projets potentiels qui pourraient voir le jour en territoire québécois, puisque le travail préparatoire a déjà été amorcé par le gouvernement terre-neuvien. Des études environnementales ont été réalisées et des permis, obtenus. C’est sans compter que les Innus du Labrador avaient déjà signé une entente avec le gouvernement terre-neuvien, même si des différends perdurent.
Du point de vue québécois, l’affaire peut donc se résumer simplement : Terre-Neuve produit beaucoup d’énergie et pourrait en produire encore plus alors que les besoins sont ici. Partant, il s’agit donc simplement de déterminer quelle part de la valeur créée par cette énergie le Québec est prêt à partager avec sa voisine. Et le plus tôt sera le mieux.
Un avantage pour Terre-Neuve
Les choses se présentent différemment du côté terre-neuvien où, depuis son accession au pouvoir, le premier ministre Andrew Furey s’est montré très méthodique. Il a créé un comité d’experts chargé d’explorer tous les scénarios potentiels avant d’entreprendre des discussions avec le Québec et il a laissé le premier ministre Legault venir à lui, à Saint-Jean, faire acte de contrition devant la population terre-neuvienne.
Andrew Furey se fait maintenant tirer l’oreille en laissant au Québec le soin de prendre l’initiative. Show me the money!
a-t-il lancé la semaine dernière, insistant sur le fait que d’autres clients potentiels avaient démontré un intérêt pour l’électricité produite au Labrador. Terre-Neuve, on le comprend bien, ne veut pas rater son coup une nouvelle fois et prendra tout le temps voulu pour bien faire les choses.
Il n’empêche que chaque jour qui passe est un jour de moins où Terre-Neuve-et-Labrador peut espérer obtenir davantage que des miettes pour l’exploitation d’une des plus grosses centrales hydroélectriques en Amérique du Nord.
C’est sans compter que la province retirerait aussi des bénéfices à lancer le projet de Gull Island en partenariat avec son voisin puisqu’elle aurait ainsi accès à l’argent et à l’expertise d’Hydro-Québec. Compte tenu de son haut niveau d’endettement et des dépassements de coût faramineux qu’a connus le projet de Muskrat Falls, qu’elle avait entrepris seule, développer le plein potentiel du bas Churchill sans un autre partenaire pourrait s’avérer ardu pour Terre-Neuve.

Le barrage hydroélectrique de Muskrat Falls, au Labrador, a été construit par Terre-Neuve-et-Labrador sans l’aide du Québec.
Photo : Danny Arsenault/CBC
À quand une entente?
Bien sûr, prendre quelques mois de plus ou de moins pour négocier une entente ne changera pas grand-chose à très long terme, mais à voir les surplus d’Hydro-Québec fondre comme neige au soleil, chaque mois de retard sera un mois de perdu. Et il ne faut pas non plus oublier les impératifs électoraux : un changement de garde à la tête de l’une ou l’autre des deux provinces pourrait retarder le processus et freiner l’élan des négociations actuelles.
Si Andrew Furey se laisse désirer, François Legault envoie au contraire le signal qu’il est pressé de sceller l’affaire. Il ne faudrait toutefois pas brusquer le premier ministre terre-neuvien, comme cela a failli être le cas la semaine dernière en conférence de presse. Évoquant le projet de Gull Island, François Legault s’est fait répondre par son vis-à-vis qu’il était prématuré de parler de ces choses publiquement.
En effet, cette question ne revêt pas la même importance de part et d’autre de la frontière du Labrador. Le premier ministre québécois pourrait certes ajouter la signature d’une nouvelle entente à la liste de ses bons coups, mais la conclusion des négociations en cours pourrait s’avérer plus déterminante pour l’avenir politique d’Andrew Furey. Une réouverture de l’entente avec le Québec, bénéfique aux Terre-Neuviens et aux Labradoriens, pourrait rehausser sa popularité et même faciliter sa réélection. L’inverse serait tout aussi vrai si les négociations échouaient ou se terminaient au désavantage de Terre-Neuve.
Un contrat historique payant
En vertu d’un contrat signé en 1969, Hydro-Québec achète actuellement, au tarif de 0,2 ¢ le kilowattheure, presque toute la production de la centrale de Churchill Falls, au Labrador. À l’époque, la société d’État avait assumé les risques financiers associés à la construction de cette centrale.
L’énergie produite à Churchill Falls est intégrée au parc de production d’Hydro-Québec. L’an dernier, l’entreprise a exporté ses surplus d’énergie au prix moyen de 8,2 ¢ le kilowattheure.