Réfugiés : augmentation des demandes en provenance de l’Inde depuis l’élection de Modi

Randhir Singh, 70 ans, affirme avoir été torturé en Inde.
Photo : Radio-Canada / Charles Contant/CBC News
Le nombre de demandes d'asile en provenance de l’Inde reçues par le Canada a commencé à augmenter après l'accession au pouvoir du premier ministre Narendra Modi, en 2014, indiquent les données du gouvernement fédéral.
En fait, le nombre de réfugiés indiens acceptés depuis le début de l'année arrive au troisième rang derrière ceux de l'Iran et de la Turquie.
Certains de ces demandeurs d'asile affirment avoir été torturés. Ils m'ont tellement battu que j'étais inconscient la plupart du temps
, explique Randhir Singh, qui habite Montréal.
Selon un avocat spécialisé en immigration, les minorités religieuses comme les sikhs, les musulmans et les chrétiens sont exposées à une discrimination accrue en Inde.
Traumatisé
M. Singh affirme que des policiers indiens l’ont frappé au visage, ce qui lui a fait perdre deux dents, et l’ont battu avec des bâtons de bois pendant qu'ils le détenaient dans un poste de police en mai 2015. Il y est resté incarcéré pendant trois jours.
L’homme de 70 ans ajoute avoir été victime d’un écartèlement. Ils m'ont presque déchiré. [...] Ils m'ont étiré des deux côtés
, a-t-il déclaré, s'exprimant en pendjabi, lors d'une entrevue avec CBC News.
Il ajoute que la police l'a libéré parce que sa femme avait demandé l'aide des responsables du gurdwara, le temple sikh de Nijampur, le village du Pendjab où ils vivaient.
M. Singh et sa femme, Rajvinder Kaur, 67 ans, vivent maintenant à Montréal. Ils peuvent rester au Canada en vertu d'un permis de résidents temporaires délivré en août par le ministre fédéral de l'Immigration. Leur cas avait fait les manchettes puisqu’ils étaient sur le point d’être expulsés du pays.
La torture hante toujours M. Singh. Il souffre d'un trouble du stress post-traumatique aigu, selon les dossiers médicaux déposés à la Cour fédérale.
C'est une des personnes les plus traumatisées que j'aie vues au cours des dix dernières années environ
, a déclaré Stewart Istvanffy, avocat des droits de la personne à Montréal, qui représente le couple dans sa demande d'asile.
Le couple espère toujours que sa demande d’asile sera acceptée.
Afflux de réfugiés indiens
Jusqu'à présent cette année, le Canada a accepté 1344 demandes d'asile en provenance de l'Inde. Ce total figure au troisième rang après celui de l'Iran, avec 2730 demandes acceptées, et celui de la Turquie, avec 1993 demande acceptées, selon les données de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada.
Le pays a accepté 3469 demandes d'asile en provenance de l'Inde en 2022, le total le plus élevé depuis au moins 20 ans, selon les données fédérales.
Il y en a eu moins de 20 acceptées en provenance de l’Inde en 2014. La CISR ne fournit pas de chiffres exacts lorsque les totaux sont inférieurs à 20.
Le taux de demandes acceptées en provenance de l'Inde a également augmenté régulièrement au cours de la dernière décennie.
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Ce taux – les demandes acceptées par rapport aux demandes rejetées – est passé de moins de 20 % en 2014 à près de 50 % en 2022, selon Sean Rehaag, directeur du Refugee Law Lab, un portail de données et de documents en ligne.
Le Canada reconnaît qu'il y a des persécutions et des violations des droits de la personne en Inde
, a déclaré M. Rehaag, professeur agrégé à l'école de droit Osgoode et directeur du Centre d'études sur les réfugiés de l'Université York, qui héberge ce laboratoire.
Cette combinaison – une augmentation du nombre de personnes qui font des demandes et une augmentation des taux d’acceptation – m'indique que la situation des droits de la personne en Inde s'est détériorée au cours de cette période.
Intolérance religieuse
En 2019, le nombre de demandes d'asile acceptées en provenance de l'Inde a dépassé les 300 pour la première fois depuis plus d'une décennie, selon ces données. Après une petite baisse en 2020, année de pandémie, le nombre de demandes acceptées a dépassé 1000 en 2021.
La corrélation n'implique pas la causalité, mais ici, il y a certainement une causalité
, affirme Raj Sharma, avocat en immigration au cabinet Stewart Sharma Harsanyi à Calgary.
Selon Me Sharma, les minorités religieuses comme les sikhs, les musulmans et les chrétiens sont exposées à une discrimination accrue en Inde.

Raj Sharma affirme voir plus de cas de demandeurs d'asile en provenance de l'Inde qui affirment être persécutés en raison de leur religion.
Photo : Radio-Canada / Justin Pennell/CBC News
Une chose que nous n'avons pas vraiment vue dans le passé mais que nous voyons davantage maintenant, c'est l'augmentation de l'intolérance religieuse
, a-t-il déclaré, ajoutant que le gouvernement Modi prône une vision beaucoup plus musclée et agressive de la majorité hindoue
.
Problèmes dans le monde
Ce n'est pas la première fois qu'une vague de demandeurs d'asile d'Inde – en particulier de confession sikhe – cherche à se réfugier au Canada.
Les conflits entre les autorités de l'État indien et les séparatistes sikhs au début et au milieu des années 1980 ont déclenché une vague de demandes, explique Me Sharma.
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Cela a conduit au "premier exode"
, dit-il.
Cet exode
a également conduit à une décision historique de la Cour suprême en 1985 qui a jeté les bases de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. L'affaire impliquait six plaignants sikhs et une femme de la Guyane, explique Barbara Jackman, avocate torontoise qui a représenté certains des intervenants dans cette affaire.
Lorsqu'il y a des problèmes dans le monde, il y a des répercussions au Canada. Nous voyons le mouvement de personnes qui viennent et demandent à être protégées
, a déclaré Me Jackman.
D’une vie paisible au harcèlement
M. Singh et Mme Kaur menaient une vie paisible en Inde, expliquent-ils dans une déclaration sous serment déposée le 29 juin devant la Cour fédérale. M. Singh était le gardien du temple du village et Mme Kaur était une sarpanch, ou leader élue du village.

Rajvinder Kaur (à gauche) et Randhir Singh.
Photo : Radio-Canada / Charles Contant/CBC News
Les événements qui les ont chassés du pays ont commencé une nuit de mai 2015 lorsque deux hommes sikhs qui affirmaient que leur camion était en panne ont demandé à dormir au gurdwara.
La police locale s’est présentée au gurdwara pendant la nuit. Les deux hommes ont fui et M. Singh a été détenu.
Les policiers lui ont dit que les hommes qu'il a hébergés étaient des activistes.
La police m'a interrogé avec brutalité. [...] Mes symboles religieux m'ont été irrespectueusement retirés. On m'a tiré la barbe. J'ai été maltraité, humilié et battu. [...] La police m'a forcé à avouer mes liens avec les activistes. J'ai nié toutes les allégations.
M. Singh a dit que la police a continué à le harceler, l'accusant d'héberger des activistes à d'autres occasions.
Cinq mois plus tard, M. Singh et Mme Kaur sont arrivés au Canada.
Leur fils, Sikander Singh, vit toujours dans l'État du Pendjab. Sa maison a été perquisitionnée deux fois cette année par des agents de la police fédérale qui ont prétendu que ses parents étaient impliqués avec des activistes du Khalistan, a expliqué le fils dans une déclaration sous serment devant la Cour fédérale soutenant la demande d'asile de ses parents.
La [National Investigation Agency] a accusé mes parents de blanchiment d'argent et de complot contre l'Inde, ce qui est totalement faux
, peut-on lire dans la déclaration.
Pour M. Singh et Mme Kaur, la vie au Canada comporte ses propres luttes.
Parfois, [ma femme] va à la bibliothèque ou ailleurs. Je suis seul et je reste déprimé sans parler à personne
, raconte M. Singh.
Il a tenté de se suicider cet été lorsqu’ils faisaient face à un risque d'expulsion du Canada. La mort ici est meilleure que la mort là-bas
, dit-il.
Ils m'auraient tué
, explique M. Singh. Ils tuent beaucoup de gens là-bas.
Le gouvernement Modi a réagi avec fureur à l'affirmation du Canada plus tôt ce mois-ci selon laquelle le gouvernement indien était impliqué dans le meurtre en juin de l’activiste pro-Khalistan Hardeep Singh Nijjar (Nouvelle fenêtre) à Surrey, en Colombie-Britannique.
Le gouvernement indien a suspendu le traitement des visas au Canada – interdisant du même coup aux Canadiens de se rendre en Inde – et a émis un avertissement aux voyageurs indiens selon lequel ils pourraient être exposés à des crimes de haine politiquement approuvés et à des violences criminelles au Canada
.
Avec les informations de Jorge Barrera, de CBC News