AnalyseClimat : les limites d’une économie électrifiée

Les gouvernements Trudeau et Legault ont annoncé en grande pompe, jeudi, des investissements totalisant 7,3 milliards de dollars pour attirer l'entreprise suédoise Northvolt.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Le grand intérêt que porte le gouvernement du Québec à l’électrification des transports et de l’énergie est une bonne nouvelle pour l’environnement, mais il ne doit pas occulter les moyens les plus efficaces pour réduire les émissions de GES et pour protéger l’environnement.
François Legault s’est dit ému
de présenter aux citoyens le projet de giga-usine
de Northvolt, le plus grand projet d’investissement privé de l’histoire du Québec. La compagnie suédoise compte créer jusqu’à 3000 nouveaux emplois dans la banlieue sud de Montréal, où elle va s’installer.
On peut comprendre la réaction du premier ministre. Le développement de la filière batterie sur le territoire québécois avance à un rythme spectaculaire depuis quelques mois et on ne peut que s’en réjouir. Le Québec deviendra un acteur de premier plan dans un secteur de pointe qui devrait modifier le cours des choses en matière d'émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Mais il n'y a pas que ça : la filière batterie qui va se développer au cours des prochaines années au Québec devrait permettre de s’affranchir de deux produits relativement indésirables pour la planète.
Premièrement, ce projet devrait nous libérer un peu des piles produites en Chine, de loin le leader mondial de cette industrie, dont les normes environnementales sont opaques et laxistes.
En imposant les règles appropriées sur l’extraction des ressources minières et en approvisionnant les usines en énergie verte, Québec pourrait produire des composantes de batteries avec une empreinte environnementale plus faible, même si, on le sait, le procédé n’est jamais à coût nul pour la nature.
Deuxièmement, l’évolution de l’électrification des transports au Québec permet de s’affranchir graduellement du pétrole importé par le Québec, qui provient en bonne partie de l’Ouest canadien et du pétrole de schiste des États-Unis.
Cette double autonomie – industrielle et énergétique – est une bonne nouvelle pour l’environnement.

Au Québec, 43 % des émissions de GES proviennent du secteur des transports. (Photo d'archives)
Photo : getty images/istockphoto / Marcus Lindstrom
Les limites du tout-électrique
Le développement rapide de la filière batterie incarne bien la passion qui anime François Legault pour l’électrification de notre structure économique.
Ces investissements, conjugués aux projets d’éventuels nouveaux barrages hydroélectriques, matérialisent la vision qu’il a de la lutte contre les changements climatiques : celle selon laquelle la décarbonation du Québec est surtout une occasion de créer des emplois et de faire croître l’économie du Québec, pourvu que le tout se fasse en respectant la nature.
On ne peut pas lui reprocher son enthousiasme. La structure économique du Québec, comme celle de la plupart des pays dans le monde, est à redessiner. Et le faire en offrant aux citoyens de nouvelles avenues d’emploi est tout à fait souhaitable.
Cependant, la fixation de l’administration Legault pour le tout-électrique fait naître des angles morts qu’il faut souligner.
Bien entendu – et c’est une évidence –, le développement de ce chapelet d’usines qui va sortir de terre au cours des prochaines années devra se faire dans le respect des règles environnementales les plus strictes. Les citoyens auront les autorités à l’œil à cet égard.
Mais il y a beaucoup plus.
L’électrification des transports est devenue au fil des ans le socle fondamental de la politique de lutte contre les changements climatiques de François Legault.
Après avoir défendu sans succès la construction d’un troisième lien routier dans la région de Québec, l’électrification des transports, individuels et collectifs, est devenue le fondement de son action pour protéger le climat.
Toutefois, cette politique n’est pas suffisante, et la vérité est sortie de la bouche même du ministre québécois de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, il y a quelques semaines : si on veut atteindre nos cibles de réduction des émissions de GES, il faudra réduire de façon significative la grandeur du parc automobile du Québec.

Le Plan québécois des infrastructures 2023-2033 prévoit des investissements de plus de 30 milliards pour la bonification et le maintien du réseau routier, contre 14 milliards pour les transports en commun. (Photo d'archives)
Photo : iStock
Les subventions pour inciter les gens à acheter un véhicule électrique, tout comme les investissements massifs dans un réseau de bornes électriques sur tout le territoire, ont fait du Québec la locomotive de l’électrification des transports au pays.
Ce n’est pas une tare, car les transports seront à peu près tous électriques dans un proche avenir.
Là où le bât blesse, c’est qu’en se focalisant sur la voiture électrique individuelle, le gouvernement contribue à perpétuer le modèle de développement qui est en partie la cause de la crise climatique : la croissance constante du nombre de voitures sur les routes, l’étalement urbain toujours de plus en plus imposant, la construction de nouvelles infrastructures lourdes pour accueillir les voitures, l’effritement des terres agricoles sacrifiées à la construction de nouveaux quartiers, la destruction de milieux naturels qui jouent le rôle de puits de carbone, et j’en passe.
Le problème n’est pas tant de favoriser la voiture électrique, comme me le disait Catherine Morency, sommité en génie des transports à Polytechnique Montréal et membre du comité consultatif sur les changements climatiques du gouvernement du Québec :
C’est clair que c’est une solution, et il n’y a même pas de doute que les transports vont être électriques plus tard. Affaire classée! Mais ce que je dis, c’est que, dans la hiérarchie des solutions, l’électrification ne devrait pas être la priorité.

Le service rapide par bus (SRB) sur le boulevard Pie-IX à Montréal (Photo d'archives)
Photo : STM / Julien Perron-Gagné
Que dit la politique de mobilité durable du Québec?
Catherine Morency souligne qu’en priorisant la voiture électrique individuelle, le gouvernement applique mal sa propre politique de mobilité durable, dans laquelle il est écrit noir sur blanc que l’amélioration énergétique des véhicules arrive au troisième rang des priorités d’action.
C’est la fameuse approche R-T-A élaborée par Québec, qui se décline en trois étapes : Réduire d’abord, Transférer ensuite et Améliorer enfin.
Selon la politique du gouvernement, la priorité absolue doit consister à réduire les besoins en déplacements motorisés et à réduire leur distance.
Cette approche appelle à revoir en profondeur l’aménagement du territoire dans les villes, notamment dans les banlieues, pour que les citoyens aient accès à la majorité des services dont ils ont besoin sans devoir prendre une voiture.
La deuxième étape vise à favoriser chez le citoyen le transfert d’un mode de transport motorisé à un mode moins énergivore, comme le transport collectif, la marche ou le vélo. Cette stratégie commande la mise en place de réseaux de transport structurants (transport en commun, voies cyclables, espaces pour les piétons) qui permettraient à la plupart des citoyens de se rendre là où ils veulent au quotidien de façon sécuritaire et efficace, avec confort et à haute fréquence.
Ces deux premières stratégies ont pour but de modifier la structure des déplacements. Elles appellent à de grands changements et à de gros investissements.
Et la troisième étape, alors qu’on a enclenché les deux premières, vise à améliorer l’efficacité énergétique des véhicules. C’est à cette ultime étape que la politique d’électrification des transports devrait trouver sa place.
On le comprend, Québec semble faire les choses à l’envers.

La piste cyclable en bordure de la rue Rachel, à Montréal. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Un des exemples que je donne souvent pour illustrer les lacunes de cette politique est celui-ci : on a beau aider financièrement les villes pour qu’elles achètent des autobus électriques, si la fréquence de ces autobus n’est pas améliorée et si les autobus continuent à ne passer qu’une fois l'heure plutôt qu’aux dix minutes, les citoyens ne les prendront pas plus.
Électrique ou pas, si l’autre option qu’on offre aux propriétaires de voitures complique et ralentit leurs déplacements, il n’y aura aucun transfert de l’auto individuelle vers les transports collectifs.
Donner les moyens de changer les habitudes
Lors de son élection en 2018, François Legault avait promis de rétablir l’équilibre pour ce qui est des investissements dans le réseau routier et dans le réseau de transport collectif.
Or, au cours de la prochaine décennie, le Plan québécois des infrastructures 2023-2033 prévoit des investissements de plus de 30 milliards pour la bonification et le maintien du réseau routier, contre 14 milliards pour les transports en commun.
Au Québec, 43 % des émissions de GES proviennent du secteur des transports, un ratio qui augmente d’année en année.
S’il y a toujours plus de voitures électriques sur les routes du Québec depuis quelques années, il y a aussi toujours plus de voitures en général, qui sont toujours de plus en plus grosses. Et François Legault refuse d’imposer des contraintes financières pour décourager ceux qui achètent ces rutilants véhicules.
Si le gouvernement du Québec veut se donner les moyens d’atteindre sa cible de réduction des émissions de GES, soit une baisse de 37,5 % d’ici 2030, il devra donner aux Québécois les moyens de changer leurs habitudes, et pas seulement en les incitant à acheter un nouveau véhicule, tout électrique qu’il soit.
On peut demander autant qu’on veut aux citoyens de changer leur mode de vie et de délaisser la voiture. Ces choix individuels ne seront possibles que s’ils sont soutenus et accompagnés par des choix collectifs conséquents.