AnalyseLe méthane, une cible facile pour réduire les GES
Réduire radicalement les émissions de méthane maintenant serait un des leviers les plus efficaces pour limiter le réchauffement de façon significative, rapide et à faible coût.

Le symbole du méthane (CH4) inscrit sur un tuyau de l'installation de stockage de gaz souterrain de la Conexus Baltic Grid à Incukalns, en Lettonie.
Photo : Reuters / INTS KALNINS
Lors de son passage au Sommet des Nations unies sur l’ambition climatique il y a deux semaines, Justin Trudeau a fait une promesse qui est passée un peu inaperçue : il s’est engagé, d’ici la fin de l’année, à présenter un projet de réglementation qui permettrait au Canada de surpasser sa cible de réduction des émissions de méthane.
En octobre 2021, le gouvernement Trudeau avait promis de diminuer de 75 % les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier d’ici 2030. Voilà qu’il nous annonce qu’il pourrait faire mieux – sans toutefois offrir davantage de détails.
Cette proposition n’est pas la panacée. Au Canada, le méthane est la source d’à peine 15 % des émissions de GES, alors que le CO2 y compte pour 80 %.
Ce n’est donc qu’une petite partie de la solution. Il faudra toujours redoubler d’efforts pour réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2).
Mais agir en force sur le méthane, ce n’est pas que du vent non plus, au contraire.
La science montre que si on s’y attaque avec vigueur, on peut ralentir les pressions qu’exerce le réchauffement des températures.

Une torchère brûle un excès de gaz dans une installation de traitement près de Crossfield (Alberta), le mardi 13 juin 2023.
Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh
Des effets rapides sur le rythme du réchauffement
Pourquoi est-il salutaire, pour l’équilibre climatique, d’agir de façon rapide sur les émissions de méthane? Tout simplement parce qu’on en récolte très vite les bénéfices sur le plan environnemental.
Les connaissances scientifiques qui permettent de comprendre l’importance d’agir promptement sur le méthane sont de plus en plus robustes. Une étude (Nouvelle fenêtre) parue en 2021 sur le sujet dans la revue Environmental Research Letters et un grand rapport (Nouvelle fenêtre) du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ont bien documenté le phénomène.
Le méthane possède deux caractéristiques qui lui confèrent un rôle important dans la réduction rapide des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) : d’un côté, il a un potentiel de réchauffement très puissant. Et de l’autre, il disparaît beaucoup plus vite que le CO2.
En effet, le méthane a ceci de particulier qu’il est surtout actif dans les premières années après s'être échappé dans l’atmosphère. Ses molécules ont une très courte durée de vie, soit de 10 à 15 ans. C’est à ce moment que le méthane produit le plus fort de son effet de serre avant d’être éliminé par oxydation. En comparaison, une molécule de CO2 dans l’atmosphère peut capter
la chaleur de la Terre pendant plus d’un siècle.
Autrement dit, si on arrêtait complètement d’émettre du méthane demain matin, les molécules présentes dans l’atmosphère n’agiraient à leur maximum sur le réchauffement que pendant 10 ou 15 ans, pas beaucoup plus. Pour quiconque souhaite atteindre la carboneutralité d’ici 2040, il s’agit d’une aubaine.
Avec une durée de vie de plus de cent ans, le CO2 est plus têtu. Sa décroissance n’offre le meilleur de ses bienfaits qu’à moyen et long terme. Une raison de plus, cela dit, pour s’y mettre sans tarder…
À cela s’ajoute une deuxième caractéristique du méthane, tout aussi importante : c’est un gaz à effet de serre très puissant.
Il piège 86 fois plus de chaleur que le CO2 sur 20 ans. Son potentiel de réchauffement est décuplé, ce qui en fait un gaz très dommageable pour l’équilibre climatique de la planète.
Ainsi, en réduisant rapidement la quantité d’émissions de méthane envoyées dans l’atmosphère, on fait d'une pierre deux coups : non seulement on élimine un GES au fort potentiel de réchauffement, mais en plus, les effets salutaires se font sentir en quelques années seulement.

Illissa Ocko, une des auteures de l’étude d’Environmental Reasearch Letters et experte en science climatique au Environmental Defense Fund.
Photo : Radio-Canada / Étienne Leblanc
Dans une entrevue qu’elle m’accordait en 2021, Illissa Ocko, une des auteures de l’étude d’Environmental Reasearch Letters et experte en science climatique à l'Environmental Defense Fund, me disait que s’attaquer prestement au méthane est la stratégie la plus efficace pour ralentir rapidement le rythme du réchauffement à court terme.
On sait aujourd'hui que plus on retarde les réductions de méthane, plus on perd ces avantages au fil du temps, dit-elle. En agissant maintenant et vite pour réduire le méthane, nous pourrons voir des effets considérables sur le climat à court terme... Ce que vous n'obtiendrez pas en vous concentrant uniquement sur les réductions de CO2.
Le chiffre à retenir : 0,3 °C
Les experts du Programme des Nations unies sur l’environnement estiment qu’en utilisant des technologies existantes, et ce, pour un coût raisonnable, les pays de la planète disposent des outils nécessaires pour réduire les émissions de méthane d’origine humaine de 45 % d’ici 2030.
Un tel effort de réduction pourrait permettre d’éviter un réchauffement climatique de 0,3 degré Celsius d’ici 2040.
Trois dixièmes de degré, ça peut paraître bien peu pour un tel effort. Mais à l’échelle climatique, c’est énorme.
Depuis l’ère préindustrielle, donc depuis le milieu du 19e siècle, la température moyenne de la planète a augmenté d’environ 1,1 degré. On pourrait donc éviter près du tiers de cette augmentation en à peine quinze ou vingt ans.
C’est loin d’être négligeable.
Car le but ultime de l’action climatique, il est toujours utile de le rappeler, est de contenir l’augmentation de la température moyenne de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Au-delà de ce seuil, les effets du dérèglement climatique sont très incertains. Bien que nous n’en soyons pas encore là, les effets du réchauffement se font déjà sentir, et surprennent même par leur intensité.
Comme le rappellent souvent les experts, chaque petit dixième de degré compte pour l’équilibre climatique de la planète.
Une action en force sur le méthane permettrait donc, à court terme du moins, d’augmenter les chances de rester à portée du seuil du 1,5 degré, ou de ne pas trop le dépasser.
Les choses vont vite. En mai dernier, l’Organisation météorologique mondiale rapportait (Nouvelle fenêtre) qu’entre 2023 et 2027, il est probable à 66 % que la température moyenne annuelle à proximité de la surface du globe dépasse le cap du 1,5 degré pendant au moins une année.
Toutes les mesures qui permettent de ne pas trop s’éloigner de ce seuil, de ne pas franchir un éventuel point de bascule climatique, sont les bienvenues.
Évidemment, pour que les politiques climatiques agissent vraiment à long terme, pour que l’équilibre du climat soit préservé dans le temps, la réduction des émissions de CO2 est vitale.

Un des milliers de puits de pétrole abandonnés au Montana qui continue d'émettre du méthane, un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould
Des technologies de plus en plus raffinées
Les réductions des émissions de CO2 sont complexes, car elles appellent à des changements profonds de nos modes de vie et de la structure de nos économies. D’où l’extrême lenteur avec laquelle les choses évoluent.
Les réductions des émissions de méthane, une partie du moins, s’avèrent moins complexes à obtenir.
Plus de la moitié des émissions de méthane sont d’origine humaine. Au Canada, ce sont les émissions fugitives provenant des puits de pétrole et de gaz qui sont la source principale de méthane (41 % des émissions), suivies par l’agriculture (31 %) et les déchets (20 %).
Dans le secteur des combustibles fossiles, les émissions fugitives proviennent essentiellement des puits en fonction, des pipelines et des puits orphelins, ces derniers étant abandonnés par les compagnies après l’épuisement de la ressource sous terre.
Selon le PNUE, les technologies pour éliminer ces émissions sont relativement simples et peu coûteuses.

Un puits abandonné produit toutes les huit secondes 3 pieds cubes de méthane. Stopper les émissions d’un puits équivaut à retirer de la circulation 1000 automobiles par année.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Arnould
L’action pour colmater les puits orphelins est particulièrement efficace, non seulement pour réduire les émissions, mais aussi pour créer des emplois. Ottawa a donné près de 2 milliards de dollars à l’Alberta, à la Saskatchewan et à la Colombie-Britannique pour colmater les milliers de puits orphelins sur le territoire, mais l’opération semble fastidieuse.
Aux États-Unis, qui comptent des centaines de milliers de puits orphelins, des mécènes participent à l’opération. L’administration Biden va investir à terme environ 3 milliards de dollars, des sommes avec lesquelles Washington espère pouvoir embaucher des travailleurs d’industries en déclin, comme le charbon.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la quantité de ces émissions fugitives est sous-estimée partout dans le monde. Elles seraient 70 % plus élevées que ce que rapportent les pays à l’ONU. Le Canada n’y fait pas exception.
C’est là qu’entrent en scène les nouvelles technologies pour mieux détecter les émissions fugitives. La compagnie montréalaise GHGSat, entre autres, est devenue un chef de file en matière de détection des GES par satellite. La compagnie a notamment détecté récemment une fuite majeure de méthane au Royaume-Uni (Nouvelle fenêtre).
Ces nouvelles technologies de détection à partir de l’espace changent la donne : non seulement elles vont faire en sorte que les États ne pourront plus sous-estimer leurs émissions de méthane, mais elles vont aussi indiquer aux gouvernements et à l’industrie de façon très précise où intervenir pour réduire les émissions.
Avec autant d’outils à leur disposition pour traquer les émissions de méthane et y couper court, les gouvernements et les industries n’ont plus aucune excuse pour traîner de la patte.