Tournages américains : le blues d’la métropole

Simon Poudrette est preneur de son pour de nombreuses productions étrangères. Il s'inquiète pour son avenir à Montréal au moment où les contrats se font plus rares.
Photo : Radio-Canada / Olivier Bourque
Même si la grève des scénaristes est maintenant terminée, les artisans et les techniciens sentent un ralentissement du nombre de productions américaines à Montréal. Certains doivent s’exiler pour travailler, d’autres ont quitté le secteur.
Là, on l’a vraiment dure. Il n’y a rien qui se passe
, lance Simon Poudrette, un preneur de son bien connu dans le milieu des tournages étrangers.
Lorsque Radio-Canada le rencontre dans son bungalow de son quartier paisible de Saint-Bruno, il fait ses bagages, de grosses valises et de l’équipement sonore imposant. Direction : la Belgique, où il va passer les prochaines semaines. Il n’a pas le choix de s’exiler pour travailler, car il n’y a plus de contrat dans la métropole.
Je n’ai pas de revenus, donc on doit en piger dans le petit fonds qu’on s’était mis de côté. J’ai eu recours à l’assurance-emploi. C’est pourquoi je dois prendre les offres pour aller travailler à l’étranger
, explique-t-il, la voix basse.
En effet, si l’année 2021 a fracassé un record en matière de retombées avec la venue de Transformers, depuis 2022, les contrats se sont faits rares. La grève des scénaristes – qui aura duré cinq mois – et celle des acteurs n’auront qu'aggravé la situation.
C’est sûr que je voudrais travailler à Montréal, mais il y a zéro job ici. Et ce n'est pas seulement à cause de la grève. On sent un ralentissement du côté des productions américaines et Montréal a écopé : on est moins attractifs qu’on était
, lance Simon tout en faisant ses valises.
Même constat chez Carl Lessard, un designer graphique qui travaille depuis 30 ans sur des productions étrangères avec une première incursion en 1993 sur le plateau de Highlander 3, avec Christophe Lambert.
Jamais je n’ai eu une baisse aussi importante que cela. À partir de 2022, on a vu un ralentissement. Les projets qui venaient à Montréal en amont n’arrivaient pas. Rien n'atterrissait ici. Ça repartait soit à Vancouver, soit à Toronto, soit ailleurs dans le monde
, se désole Carl.
Les derniers mois ont été difficiles, de son propre aveu. Son dernier véritable contrat avec les Américains date de 2021.
Je suis dans mes économies de subsistance. Je n'ai pas l'assurance-emploi, car je suis travailleur autonome.

Carl Lessard est designer graphique depuis 30 ans pour des productions américaines.
Photo : Radio-Canada / Olivier Bourque
M. Lessard a pensé à quitter le domaine, mais il a encore la passion des grands tournages, des projets fous.
Inévitablement, on pense à un plan B
, dit-il, une boîte de Jos Louis version années 1980 à la main, le seul petit projet qu’il ait réussi à dénicher.
À ses côtés, Simon rappelle que certains de ses collègues ont décidé de quitter le milieu au cours des derniers mois.
Déjà, depuis le début du ralentissement, il y a pas mal de monde, des bonnes têtes, des bons techniciens, qui ont migré vers d’autres secteurs
, lance-t-il.
Des artisans partent
C’est le cas de Laura Noël, qui a longtemps travaillé comme assistante à la production, puis comme costumière pour des productions américaines.
Je sentais une baisse d’appels de mon côté, il y avait moins d’annonces d’emplois de la part de notre syndicat… Je voyais que je n'étais pas toute seule, [il y avait] beaucoup moins de tournages étrangers
, explique-t-elle juste à côté de son centre de formation.
Ces derniers mois, elle a pris une décision qui allait changer sa carrière : quitter ce milieu qu’elle aimait tant pour devenir préposée aux bénéficiaires.

Laura Noël a quitté le milieu des productions étrangères pour devenir préposée aux bénéficiaires.
Photo : Radio-Canada / Olivier Bourque
Je suis en train de digérer cela, c’est une grosse page à tourner. C’est un changement à 180 degrés, car je vais dans le domaine de la santé
, dit-elle.
Aurait-elle pu se diriger vers les productions québécoises et locales en attendant?
On a trop peu de tournages pour le gros bassin de techniciens ici actuellement
, répond-elle du tac au tac.
Alain Massé a lui aussi franchi le Rubicon après presque 40 années derrière les caméras. Il est maintenant facteur. Son dernier contrat a été Home Alone, un tournage compliqué commencé avant la pandémie. Depuis 2020, les seules offres qui lui parvenaient venaient de l’extérieur.
Déjà, avant ce tournage, le nombre et la qualité des projets qui se présentaient en ville ne laissaient présager rien de bon. Moins de superproductions, plus de séries
, explique-t-il.

Claude Sauvageau a été machiniste pendant plus de 30 ans. On le voit ici à Madagascar lors d'un tournage animalier.
Photo : Facebook
Son ancien collègue Claude Sauvageau, qui a travaillé sur des productions tant étrangères que locales comme Les Filles de Caleb, a lui aussi quitté le milieu au cours des derniers jours. La raison principale? Se rapprocher de sa famille à Trois-Rivières. Il sera débardeur lors des prochaines années.
Ma maman a 93 ans, je demeure maintenant à quatre rues d’elle. Toute ma famille est bien contente de me revoir… pour l’instant
, dit-il en riant.
Le machiniste a fait le tour du monde et a participé à des centaines de tournages, mais il a une certaine amertume de cette industrie, un monde qui n’est pas fait pour les travailleurs expérimentés, selon lui.
Il n'y a pas d’ancienneté dans notre [syndicat], tu peux vieillir très mal dans le cinéma. Ils préfèrent avoir quelqu’un qui a moins d'expérience : ils peuvent le payer moins cher
, dit-il, ironique.
Il constate aussi que Montréal est moins attrayant avec un secteur privé moins florissant.
Il manque de studios. Ils sont comme en position de monopole, et ça, les Américains n’aiment pas ça
, raconte-t-il.

L'hôtel de ville de Montréal en vedette dans « X-Men : jours d'un avenir passé »
Photo : 20th Century Fox
Le syndicat inquiet, Québec conscient du problème
Toutes ces défections inquiètent aussi leur syndicat, AQTIS 514 IATSE, qui ne connaît pas l’ampleur de l’exode.
Il y en a certains qui sont relocalisés dans des productions locales, la publicité ou autre, mais la majorité se retrouve sans emploi. Il y a des métiers qui sont uniques pour les productions américaines qu’on ne retrouve pas dans les productions locales
, souligne le président du syndicat, Christian Lemay.
Mais M. Lemay est tout de même positif face au positionnement de Montréal, et ce, en raison de la force des productions locales.
On a un contexte, ici au Québec, qui est différent d’autres [endroits]. On a une production locale, nationale, qui permet de relocaliser son emploi dans d’autres secteurs de l’audiovisuel. On a une capacité de rétention qui est plus grande. On est en meilleure posture pour relancer cette industrie quand les deux grèves seront terminées
, dit-il.
En attendant, le syndicat souhaite que Québec stimule davantage les productions étrangères depuis que Toronto et Vancouver ont pris une avance sur Montréal. Le milieu souhaite une hausse des crédits d’impôt accordés pour la production et pour les effets spéciaux.
On a indiqué au gouvernement qu’on voulait un plan de relance
, assure M. Lemay.
Contacté par Radio-Canada, le cabinet du ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, dit être parfaitement conscient de la problématique
.
Je souhaite trouver une manière de soutenir l’industrie. Mon équipe et moi-même rencontrons actuellement les intervenants dans le milieu pour trouver des pistes de solution
, a souligné le ministre par écrit.
Québec rappelle que les productions étrangères ont enregistré des retombées de 526 millions de dollars l'an passé, en hausse de 12 %. Toutefois, cette donnée est trompeuse, car elle comptabilise en 2022 certaines des retombées de 2021, une année faste après le désert provoqué par la pandémie.
En attendant, plusieurs artisans de l’industrie se regroupent. Simon Poudrette et Carl Lessard ont récemment organisé un symposium afin de cibler les mesures qui pourraient servir à relancer l'industrie. Au total, 31 recommandations ont été transmises aux autorités, notamment au Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ).
Il faut mettre de l’avant des initiatives qui vont nous rendre sexy à l'international. Ça prend du lobbying à Hollywood, ça prend des belles annonces qui montrent que Montréal veut reprendre la pole position
, assure Simon.
Pour Carl Lessard, ce symposium a permis aux membres de se regrouper pour une première fois depuis longtemps. Je crois que plusieurs artisans veulent prendre la parole et que leurs revendications doivent être entendues. Ils veulent être pleinement représentés
, dit-il.
Ce que je souhaite pour mon industrie, c’est de se parler, de se concerter, de travailler ensemble, et que le gouvernement nous voie comme un secteur économique florissant
, conclut Simon.